Le procès des anciens responsables de la Caisse nationale de prévoyance sociale et des agents de l’Etat s’est poursuivi ce 29 juin, à la Cour de répression des infractions économiques et financières, CRIEF. Fodé Cissé, ex-dirlo de la boîte, son informaticien, Fodé Sirikahata Bangoura, sont trimballés devant cette juridiction pour « détournement de deniers publics et complicité ». Des accusations que les prévenus rejettent en bloc. Fodé Cissé qui avait fait sa déposition à l’audience du 15 juin, a répondu ce mercredi aux questions du mystère public, de la partie civile et de la défense.

Dans ce dossier, le représentant du ministère public,  Lazare Mamady Bauret, se dit convaincu que Fodé Cissé a pris l’initiative, sans se référer, de transférer l’argent et la liste incriminée  de pensionnés vers N’Zérékoré dans  le but de l’utiliser à sa guise. Ce que Fodé Cissé dément : «Le chef de l’agence de N’Zérékoré est l’une des personnes les plus faibles dans la Caisse. Avant de transférer l’argent, j’en ai discuté avec la comptabilité, le service de réclamation,  celui juridique…, tous les services techniques de la Caisse.»

«Quelle instruction avez-vous donné à votre informaticien? », lui questionne le parquet. «Il a suggéré d’envoyer l’argent à Matam, je lui ai dit de l’amener à N’Zérékoré pour que les fraudeurs n’aient pas la possibilité de le sortir.»

«Pouvait-il refuser cette injonction? », lui demande son avocat. «Oui, s’il estimait que l’ordre était illégal », répond l’accusé.

«Vous avez déclaré que les gens concernés par ce déplacement sont des fictifs, vous le maintenez? » «Oui la plupart des cas se retrouvait sur la liste des 15 000 pensionnés jugés fictifs.»

«Alors pourquoi avez-vous décidé d’envoyer l’argent à N’Zérékoré ».

«C’est mon pouvoir discrétionnaire, et je faisais confiance au chef d’agence qui est mon ami. Si l’argent restait à Conakry, ils allaient passer par tous les moyens pour le sortir. Je l’ai fait pour préserver les deniers publics. »

La partie civile, elle, s’est employée à démontrer que Fodé Cissé n’a subi aucune pression qui l’a poussé à déplacer les sous : «En principe, l’argent devait rester à Conakry. D’ailleurs, qui vous mettait la pression au point que vous décidiez de délocaliser cet argent? », s’interroge Maître Justin Tambada Tolno. Fodé Cissé de rétorquer : «Lorsque des hauts gradés, des gens des renseignements généraux  vous appellent pour vous menacer, qu’est-ce que vous voulez ? J’ai fait ce que j’ai pu et j’assume, mais il y a des choses que je préfère garder pour ma propre sécurité ».

« Mais vous avez détourné les 1 277 726 940 francs guinéens », enchaîne l’avocat. «Jamais. L’argent dont on parle est au Trésor public », répond l’accusé.

Fodé Cissé révèle que même après son départ, la direction de la Caisse nationale de prévoyance sociale a continué à transférer l’argent vers N’Zérékoré : «Un montant supérieur à celui que vous avez déplacé d’ailleurs.  Mais est-ce que la directrice a été poursuivie? », s’interroge son avocat. «Je ne saurais le dire », répond le prévenu.

Fodé Cissé jure que la magouille continue à la Caisse de prévoyance sociale : «On est en train de tromper le Président de la République. Aujourd’hui, la valeur du point d’indice est passée de 600 à plus de 1 000 points. Le budget a explosé, il risque de dépasser celui des fonctionnaires en activité ». Il égratigne même la CRIEF : « J’appartiens au CNRD, nous avons travaillé très dur pour la mise en place de la CRIEF, peut-être qu’ils font du bon boulot, mais je suis perplexe, parce que quelques esprits sont en train de l’utiliser pour régler d’autres comptes.»

L’autre Fodé à la barre

Fodé Sirikahata Bangoura, lui, est inculpé pour « complicité ». Il rejette cette accusation et déclare n’avoir fait que son travail : «J’ai reçu des instructions de mon directeur. Il m’a remis des fichiers à réunir, je l’ai fait,  je lui ai remis. Il m’a dit de les déplacer vers N’Zérékoré, je l’ai fait, parce que je ne doutais de rien. Mon directeur m’a juste dit de faire ce travail pour une question de contrôle ».

Fodé Sirikahata Bangoura se demande jusque-là pourquoi il fait face à ces ennuis judiciaires : «Le 29 avril, il m’a demandé (l’ex-DG, ndlr) de le retrouver à la Villa 36, j’y suis allé. On me dit qu’on a détourné de l’argent. Les agents ont commencé à me dire de coopérer. Je leur ai dit que moi, je n’ai fait que mon travail. On est resté 12 jours dans ça, avant d’être traduits devant cette Cour. Je me demande comment un simple informaticien peut détourner de l’argent qu’il n’a jamais vu, et de surcroît qui est dans les comptes du Trésor public.»

La Cour a renvoyé l’affaire au 20 juillet prochain, pour plaidoiries et réquisitions.

Fodé Cissé et Fodé Sirikahata Bangoura sont poursuivis, pour avoir déplacé vers N’Zérékoré une liste de 1 178 pensionnés en mars 2022 et d’avoir détourné 1 277 726 940 francs guinéens, sous prétexte de vérification. Ce que le parquet spécial de la CRIEF trouve suspicieux.

Yacine Diallo