L’ancien criminel de Sékhoutouréya, Alpha Condé, vient  d’accorder à François Soudan de JA une longue interview parsemée de non-dits, de sous-entendus et des demi-vérités sur l’année qu’il a passée hors du pouvoir usurpé en bonne et due forme.  Une année entière de méditation n’a pas permis à cet apprenti-fasciste d’évaluer les chances que le Colonel Doumbouya lui a offertes sur un plateau d’argent. En revanche, il a tout le loisir d’énumérer ses « erreurs » toute honte bue, après une parenthèse toute d’arrogance. Extraits :

 « Monsieur le président, ça ne va pas. C’est pourquoi nous avons fait le coup d’État.

– Comment ça, ça ne va pas ?

– Monsieur le Professeur, si nous sortons tout de suite, la population va nous soutenir. Personne ne va vous faire de mal car vous avez été digne. Mais il faut accepter que vous ne soyez  plus le président de ce pays.

-Moi je veux m’adresser à mon peuple. C’est le peuple qui m’a élu !

– Et si ce peuple-là même souffre ?

– Est-ce que le peuple ne souffre pas aussi au Sénégal et en Côte d’Ivoire ?

– Oui, mais pas dans les mêmes conditions que nous.

– Vous savez où se trouvait ce pays quand je suis arrivé ? Vous savez l’effort que j’ai mené pour que le pays avance ? »

C’était il y a un an, le 5 septembre 2021 au matin. Alpha Condé, qui était monté dans sa chambre récupérer les clés du bunker souterrain de son palais de Sékhoutouréya avant de tomber nez à nez avec un détachement des Forces spéciales, dialogue avec le commandant Alya Camara, venu l’arrêter. Il est pieds nus, en jean et chemise ouverte, assis sur un canapé. À ce moment de la journée, les militaires putschistes qui l’entourent ont déjà razzié sa chambre, emportant avec eux les sacs d’argent liquide qui s’y trouvaient. Alya Camara sera d’ailleurs arrêté pour ces faits, deux mois plus tard, sur ordre du colonel Doumbouya, puis libéré et de nouveau appréhendé début juin 2022, avant d’être détenu au secret.

Quant aux coffres du bureau présidentiel, bourrés de devises et de bijoux, ils ont pris la direction du palais Mohammed-V où réside le nouvel homme fort, manifestement peu enclin à laisser à d’autres que lui le soin de gérer un aussi précieux butin de guerre.

C’était il y a un an donc et, depuis, rien dans le fond n’a changé. Mamadi Doumbouya n’a toujours pas fixé de limites précises à son pouvoir d’exception, et Alpha Condé n’a toujours pas signé sa lettre de démission. On la lui a pourtant présentée, cette fameuse lettre, peu après qu’il avait refusé d’avaliser sa propre abdication à la télévision dans l’après-midi du 5 septembre. Mais il l’a jetée à la poubelle sans même la lire, se contentant de répondre à ses geôliers par un proverbe malinké : « N’hésite jamais, n’aie jamais peur, ne trahis jamais ta parole, ne trahis jamais tes ancêtres. » (Les ancêtres, mon œil !)…

Installé à Istanbul depuis le 21 mai, tout d’abord dans une suite du Conrad Hilton, puis dans une villa mise à sa disposition par des amis turcs avec la bénédiction du président Erdogan qui l’a placé sous discrète protection policière, Alpha Condé est exactement dans les mêmes dispositions d’esprit que le jour de sa chute. Certes, il poursuit sa convalescence, les deux opérations subies début 2022 à Abou Dhabi ayant laissé des traces sur sa carcasse d’octogénaire. Mais son état physique a manifestement peu à voir avec les confidences alarmistes de son ancien médecin personnel, le docteur Kaba, qui lui donnait six mois à vivre et en avait persuadé le colonel Doumbouya. Suffisamment valide en tout cas pour une heure de marche quotidienne sur la plage, l’ex-président passe ses journées à lire, à peaufiner son bilan et à s’entretenir au téléphone avec des amis dont le cercle, inévitablement, s’est restreint.

(Alpha a même le temps de comptabiliser ses bêtises qu’il estime au nombre de trois. Le ridicule ne tue pas)…

– la première est de s’être toujours comporté en président de la FEANF, célèbre syndicat étudiant des années 1960 et 1970, plus qu’en chef d’État. Une attitude « cash », dont la désinvolture apparente a froissé certains de ses pairs.

– la deuxième est d’avoir brusquement changé, quelques mois avant le putsch, ses numéros de téléphones portables auxquels une bonne moitié des Guinéens avaient fini par avoir accès. Cela l’a coupé de précieuses sources d’information qui, il en est persuadé, l’auraient averti de ce qui se tramait contre lui. Conscient de cette lacune, le chef d’antenne de la DGSE à l’ambassade de France à Conakry lui avait conseillé de rapatrier à la présidence les services de la Direction générale du renseignement intérieur et de la placer sous son autorité directe. Il regrette, a posteriori, de ne pas l’avoir écouté.

–  la troisième erreur enfin – et la plus sérieuse – est de ne s’être jamais réellement préoccupé de sa propre sécurité. Cette armée, réformée sous la houlette du général français Bruno Clément-Bollée, Alpha Condé la croyait désormais républicaine et débarrassée de ses démons putschistes, au point de juger impossible l’hypothèse d’un coup d’État. Le seul officier supérieur dont il s’est vraiment méfié à la fin de son second mandat est Aboubacar Sidiki Camara, alias « Idi Amin », dont il avait fait un général quatre étoiles peu après son arrivée au pouvoir, s’attirant au passage les reproches de certains de ses pairs experts en la matière (Blaise Compaoré et Denis Sassou Nguesso, notamment), pour qui un gendarme ne saurait être le chef le plus étoilé d’une armée.

Alpha Condé avait fini par percevoir l’ambition prégnante de ce saint-cyrien, directeur de cabinet du ministre de la Défense, Mohamed Diané, et lorsqu’un jour de 2019 l’attaché militaire à l’ambassade de France est venu lui dire qu’« Idi Amin » faisait tout pour bloquer les réformes lancées par Clément-Bollée, sa décision ne s’est pas fait attendre : il l’a expédié comme ambassadeur le plus loin possible, à Cuba, sans même le recevoir avant son départ, sourd à la requête du général qui souhaitait être affecté dans un pays moins anecdotique…