UN CONDENSÉE DES TÉMOIGNAGES LORS DE SON DÉCÈS

Compagnon de l’indépendance, Dr Thierno Maadjou SOW fait parti de ceux-qui ont parcouru toutes les régions de la Guinée pour la conquête de l’indépendance en 1958. Il fut président de l’Organisation guinéenne défense des droits de l’homme et du citoyen (OGDH, Président de Forum Démocratique National dans les années 90, Président du Forum des forces vives de Guinée en 2005,Vice Président de la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH) de 2001 à 2004, membre des Bureaux Exécutifs de l’Union Inter-Africaine des Droits de l’Homme (UIDH), des ONGs Arabo-africaines,

Né le 03 novembre 1931 à Mamou dans la Guinée Française d’alors, Thierno Maadjou SOW est le fils de Mariama Bailo Bafing BARRY, descendante des Almamy de Timbo et d’Alpha Midiaou SOW, ancien chef de Canton de Kébaly

Après de brillantes études à l’école primaire de Dabola (1939-1945), Thierno SOW rentre au Collège moderne de Conakry (1945-1948) ou il étudie avec de nombreux condisciples qui deviendront pour la plupart des grandes personnalités de la Guinée indépendante. Le Professeur Djbril Tamsir NIANE fait partie de ces jeunes collégiens de l’époque.

Après le Collège Moderne de Conakry, Thierno SOW fréquentera l’Ecole Normale de Sébikhotane (William Ponty) au Sénégal (1948-1954). A sa sortie, il occupe son premier poste d’enseignant à l’école de Kouroula à Labé. Après un différend avec la direction du Parti Démocratique de Guinée (PDG), il fut muté à Diari, un endroit un peu éloigné du centre ville de Labé, puis à N’zérékoré où il a servi comme premier principal du cours complémentaire nouvellement créé. Pendant les vacances qui ont suivi il épouse Fanta CISSE rentrée de France et ensemble ils rejoindront le Cours Normal de Labé quelques mois avant l’indépendance. Lui, il sera chargé de cours et elle intendante car les élèves étaient à l’internat. Plus tard, le couple ira poursuivre les études à Moscou en 1959. Inscrit à l’Institut des Ponts et Chaussées, Thierno Maadjou SOW suivra également des cours à la faculté des sciences économiques de l’Université Lomonosov de Moscou. Parallèlement à ses études universitaires, Thierno SOW assumait des responsabilités au sein de l’Ambassade de Guinée en Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS).

A Moscou, en compagnie d’étudiants guinéens, dont Elhadj Boubacar DIALLO, ancien Commissaire à la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) et d’autres étudiants africains Camerounais, Sénégalais, Maliens, Ghanéens, Ougandais, Soudanais, Algériens avec le soutien d’étudiants cubains, arabes et indonésiens, ils militèrent pour l’indépendance et l’Unité Africaine.

Au sein de la famille des étudiants africains en URSS, Thierno SOW s’est révélé un grand leader. A ce titre, il réussi à créer, avec d’autres, la Fédération des étudiants africains en Europe de l’Est qu’il va diriger. Son départ précipité pour l’Allemagne de l’Est suite à l’arrestation des membres de la direction du Syndicat de l’enseignement, notamment les leaders Koumandian KEITA, Ray AUTRA, Mountaga BALDE, Djibril Tamsir NIANE, Sidy DIARRA accusés de complot. Thierno SOW et d’autres étaient accusés de complicité. Leurs bourses sont alors supprimées. Sentant sa vie en danger en raison des menaces que proférait le régime de Conakry à son égard et sur conseils et appui de ses proches, il décide de s’exiler en Allemagne de l’Est.

En Allemagne, Thierno SOW fréquente l’Académie allemande de sciences politiques de BABELSBERG (Deutsche Akademie fuer Staats-und Rechtswissenschaft) entre 1963 et 1970 où il obtient une licence puis un Doctorat en sciences politiques et économiques.

Après un rapprochement avec le régime de Conakry, suite à la médiation de certains de ses amis auprès du Président Sékou TOURE, Dr SOW décide de rentrer en Guinée en 1970. Il enseignera les sciences juridiques et économiques à l’Université Gamal Abdel Nasser de Conakry à plusieurs générations d’étudiants occupant de nos jours, de hauts postes de responsabilité.

Pendant la même période il fut successivement chef de chaire à l’Université Gamal Abdel Nasser de Conakry puis Directeur de la Division Coopération au Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique.

Thierno SOW, comme l’appelaient affectueusement ses intimes, était apprécié de tous pour son engagement pour la défense de la liberté, de l’égalité et de la dignité humaine.

Il a vécu dans un environnement familial plein de tolérance et d’acceptation de la différence. Pour preuve dans les années qui ont précédé l’indépendance, son père comme lui militait au sein du Rassemblement Démocratique Africain-RDA, sa mère au Bloc Africain de Guinée ‘BAG), son frère, Ibrahima Kaba au sein du Mouvement Socialiste Africain. Trois partis dont les leaders étaient diamétralement opposés, même si leur option pour l’indépendance de la Guinée ne faisait l’objet d’aucun doute.

Homme de culture, tolérant et courtois, il était plein d’humour et se rendait toujours disponible pour les autres. Il aimait dire qu’il était logé à l’intersection du passé, du présent et du futur. En effet, son domicile était situé entre celui de Bakary DJIBO (symbolisant la lutte d’indépendance des colonies françaises) de la Villa Syli de Bellevue et la Villa Amical CABRALi (symbolisant les résultats positifs de cette lutte d’indépendance). Son sens de l’humour culminait dans le cousinage à plaisanterie « le Sanakouya »hérité de son père, Alpha Midiaou. Les Almamy de Dabola et de Mamou en avaient fait les frais.

Abdoul Gadiry DIALLO, son successeur à la tête de l’OGDH dira de lui à l’occasion de l’oraison funèbre organisée, à rendre hommage au défunt au Palais du Peuple de Conakry le jeudi 19 novembre 2015,  :« Pendant certaines de nos réunions, tu as toujours écouté impassible, les envolées des uns et des autres. Et finalement le dernier mot qui te revient toujours a permis de décrisper l’atmosphère. N’est-ce pas cette tolérance qui t’a permis de supporter les dix (10) dures années d’exil forcé et de rentrer au pays sans jamais t’en prendre à qui que ce soit ? »

Sensible aux souffrances des autres, Dr SOW a toujours défendu les plus faibles. C’est sans aucun doute cette sensibilité qui a guidé ses pas dans sa vocation de défenseur des droits de l’Homme. Une opinion que partage son neveu le Colonel Yaya SOW, qu’il a pris tout jeune des mains de son frère aîné depuis 1954. Parlant de cette compassion pour ceux qui souffrent, la fille ainée de Thierno SOWAdama Hawa Bibi, magistrat témoigne : « Mon père utilisait

sa maigre pension pour fournir des soins d’urgence aux victimes du 28 septembre 2009 qui

défilaient à son domicile pour demander de l’assistance ».

Elhadj Mohamed Mansour FADIGA, Imam de la mosquée « Bilal » de Nongo et chroniqueur islamique à la Radio Télévision Guinéenne pendant plusieurs années dira de lui : « Thierno Maadjou SOW fait partie des grands hommes qui ont accepté de souffrir pour le bonheur des autres »

Mme Souhayr BELHASSEN, présidente d’honneur de la FIDH témoigne «  Dans les nombreuses missions conduites par la FIDH en Guinée, j’ai toujours été frappée de constater que la plupart de nos interlocuteurs, qu’ils soient du gouvernement, de l’administration, ou de la société civile, avaient souvent suivi au moins un cours de Thierno SOW et le saluaient avec la déférence qu’on réserve à ceux qui nous ont durablement marqués par leur enseignement et leur rigueur. D’ailleurs, son titre de docteur allait bien au-delà de la simple distinction universitaire. Tout le monde, à Conakry et en Guinée, de ses collègues de l’OGDH aux partenaires internationaux, appelaientThierno SOW : «  Docteur », « Docteur », «  Docteur » comme pour mieux souligner le respect qu’inspireraient sa stature intellectuelle et son intégrité. Docteur, Thierno SOW l’était également en recevant inlassablement des victimes de violations des droits humains qui venaient, auprès de lui, solliciter l’appui de l’OGDH pour faire valoir leurs droits devant la justice guinéenne ».

GRAND COMBATTANT de la liberté, Thierno SOW fait partie de ces grands intellectuels africains des années « 80 » qui ont milité pour la lutte pour l’instauration de la démocratie et le respect des libertés fondamentales et des droits de l’Homme dans des régimes africains où les rêves des indépendances s’étaient transformés en une désillusion ! Commente un admirateur de Dr SOW rencontré le jour de son oraison funèbre.

Engagé a dénoncer et à lutter contre ces nouveaux régimes autocratiques et dictatoriaux qui oppriment les peuple sur le continent, Thierno SOW, en compagnie d’autres personnalités

de pays comme le Sénégal, le Mali, la Côte d’Ivoire, le Burkina Faso, le Tchad ou encore le Niger s’est battu pour l’émergence d’une société civile avant gardiste de la lutte pour la démocratie et le respect des libertés fondamentales et des droits de l’Homme sur le continent.

L’une des œuvres accompli pour atteindre cet idéal est la création de l’Organisation Guinéenne de Défense des Droits de l’Homme et du Citoyen ( OGDH) en plein régime militaire par un manifeste publié en 1989 et cosignés par lui, Ahmed Tidjani CISSE, écrivain et ancien ministre de la culture, Amadou Oury BAH, acteur politique et Samba TOURE, journaliste. En compagnie, d’avocats, d’universitaires et de militants engagés pour la même cause, l’OGDH est née et Dr SOW en est le premier président.

Sous l’impulsion de Thierno SOW, l’OGDH a toujours participé à la surveillance de l’ensemble

des processus électoraux et a toujours dénoncé et condamné les violences enregistrées, les irrégularités et anomalies recensées, les fraudes, les intimidations, les arrestations et détentions arbitraires d’opposants.

Tantôt taxée d’appendice de l’opposition ou de rouler pour le pouvoir de par ses prises de position, sous l’impulsion de Dr SOW, l’OGDH a toujours a maintenue sa ligne d’organisation non partisane. C’est précisément cette impartialité qui a valu à Thierno SOW d’être élu successivement Président du Forum Démocratique National dans les années 90, Président du Forum des Forces Vives de Guinée en 2005. Des plateformes rassemblant toutes les forces politiques et sociales du pays soucieux de contribuer à une transition politique apaisée sous le régime du Général Lansana CONTEarrivée au pouvoir en 1984 suite à coup d’état. A ce propos, le Professeur Djibril Tamsir NIANE témoigne, «  Acteur discret et efficace, il a été toujours présent chaque fois que le pays s’est trouvé face à son destin et qu’il faille sauver la patrie qu’il a chéri de tout coeur. »

Mohamed Said FOFANA, premier ministre, envoyé par le Président Alpha CONDE pour présenter les condoléances du Gouvernement à la famille dira de lui : «  La mort de Dr Thierno Maadjou SOW est une grande perte pour la Guinée. Nous gardons du défunt le souvenir d’un défenseur des droits de l’Homme, d’un démocrate et d’un patriote qui a donné le meilleur de lui-même et durant sa vie pour la Guinée. Le Président Alpha CONDE dont il fut un ami et un compagnon dans la longue lutte pour l’émergence de la démocratie en Guinée et des droits de l’Homme a ressenti cette mort comme une perte personnelle ».

Profondément marqué par les graves violations des droits l’Homme enregistrées par son pays depuis l’accession à l’indépendance, notamment par les victimes du Camp Boiro, de la répression de juillet 1985, des événements de janvier-février 2007, des événements douloureux du 28 septembre 2009, des violences électorales de 2010, du massacre de Zogota, Dr SOW fait partie de ceux qui ont toujours insisté sur la menace de l’impunité et la nécessité d’engager une lutte contre les auteurs des violations graves des droits de l’Homme afin que la Guinée devienne un Etat respectueux des droits de l’Homme et où il fait bon vivre.

C’est sous son leadership que la Fédération internationale des Ligues des Droits de l’Homme-FIDH, et son organisation, l’OGDH ont mis en place un programme d’assistance judiciaire en faveur des victimes du 28 septembre 2009 avec le soutien de l’Union Européenne dont le procès s’est ouvert le 28 septembre 2022, 13 ans après les faits.

« Mettre un terme à l’impunité qui est le terreau des crimes » a toujours été le rêve de Dr SOW. Selon lui, les événements du 28 septembre 2009 sont les conséquences de la garantie de l’impunité que consacre l’État aux auteurs des violations des droits de l’Homme depuis l’indépendance. C’est pourquoi le procès en cours représente un espoir pour les victimes et le peuple de Guinée dans la lutte contre l’impunité des crimes de sang. Au delà de rendre justice aux victimes, il doit servir de leçon pour l’ensemble des anciens, nouveaux et futurs dirigeants ainsi que l’ensemble du peuple de Guinée en matière de gouvernance démocratique.

Parlant de son intégrité, le Professeur Djibril Tamsir NIANE, ami d’enfance et compagnon d’indépendance a témoigné lors du symposium organisé au palais du peuple de Conakry par l’OGDH : «  Moi, je viens ici mettre en épingle les qualités qui ont fait de toi un homme exceptionnel. Oui je viens m’incliner devant la dépouille mortelle du défenseur intransigeant des valeurs qui distinguent l’homme et le place au haut de l’échelle.

SOW Thierno Maadjou, comme nous l’appelions était l’intégrité en personne, et sa droiture en faisait le défenseur des déshérités. L’homme ne transigeait nullement quand il s’agissait de garantir le bien public ; Quand il fallait combattre l’iniquité ».

Thierno SOW a été rappelé à Dieu le jeudi 12 Novembre 2015 vers midi 30 minutes, soit 9 jours après son 84ème anniversaire.

A la Une du journal « Jeune Afrique », titrait, Guinée : Disparition de Thierno Maadjou SOW, figure de la défense des droits de l’Homme. Il a été de tous les fronts, a tenu tête à tous les régimes politiques pour l’instauration d’une démocratie respectueuse des droits de l’Homme en Guinée. Nombreux sont les médias et ONG qui ont rendu hommage à Thierno SOW.

Après le vibrant hommage qui lui a été rendu au Palais du peuple de Conakry le jeudi 19 Novembre 2015 par l’ensemble des forces vives de Guinée, diplomates, amis et connaissances, sa dépouille a été a ramené à Kebaly, sous préfecture de Dalaba, où il fut enterré le vendredi 20 novembre 2015, après la prière de vendredi a côté de son père, Alpha Midaou comme il avait souhaité.

Avec la disparition de Dr Thierno Maadjou SOW, c’est tout une époque de l’histoire de notre pays qui tire sa révérence  dira Monsieur Amadou Oury BAH, membre fondateur de l’Organisation Guinéenne de défense des droits de l’Homme et du Citoyen-OGDH.

A jamais dans la mémoire collective GRAND COMBATTANT DE LA LIBERTE!

Alseny SALL, compagnon de route