Depuis quelques mois, la Cour de répression des infractions économiques et financières (CRIEF) est sur la sellette. Créée pour traquer les « délinquants financiers », cette juridiction a du mal à produire les résultats escomptés. De plus en plus des voix s’élèvent contre elle, pour lui demander des comptes.

Sa création avait suscité l’espoir chez les Guinéens que la corruption, les détournements des deniers publics, la gabegie financière allaient être endigués. Un an après, on est toujours à la case départ. Aucun de ses maux n’a disparu. Au contraire, ils semblent avoir pris plus d’ampleur, alors que le CNRD jurait de mettre fin à ces pratiques. La junte du colonel Mamadi Doumbouya comptait sur la CRIEF, mise en place en décembre 2021, pour mettre au gnouf tous ceux qui sont impliqués dans de telles pratiques. Sauf que la Crief peine à s’affirmer. Elle a du mal à avancer dans tous les grands dossiers qu’elle a enclenchés. Problèmes de procédure, manque de preuves solides…, elle est dans l’embarras. De l’affaire Kassory Fofana, Mohamed Diané et Cie,  à celle concernant Cellou Dalein Diallo et Air-Guinée, en passant par les affaires de Damaro Camara, Louncény Nabé, Ibrahima Kourouma et bien d’autres… Elle ne convainc pas. Et les multiples refus du parquet spécial de cette juridiction d’accéder aux demandes de mise en liberté des anciens dignitaires du régime Condé, ainsi que sa volonté d’allonger les délais de détention préventive prévus par le Code de procédure pénale, viennent conforter ceux qui pensent que la CRIEF n’est rien d’autre qu’un instrument politique. Des hommes de droit estiment d’ailleurs que sa création a été précipitée : «Les difficultés rencontrées par la CRIEF dans son fonctionnement ne sont pas forcément liées à des questions de délais de procédure. Admettons-le. En réalité, on a mis tout simplement la charrue avant les bœufs. Pour que la CRIEF puisse traiter de manière idoine les dossiers de sa compétence, il devait y avoir au préalable un travail minutieux et sérieux effectué par des techniciens ou experts, afin de réunir des éléments concrets sur lesquels le procureur aurait pu se baser pour engager des poursuites », explique Maitre Mohamed Traoré.

L’ancien bâtonnier de l’Ordre des avocats pense que la CRIEF se goure, notamment sur sa ligne de conduite en matière d’enrichissement illicite : « La procédure aurait voulu qu’il y ait un inventaire des biens des personnes mises en cause, l’évaluation de ces biens, leur mise en rapport avec les revenus licites de ces personnes. En cas d’écart entre leur patrimoine et les revenus réels et licites des mis en cause, ceux-ci sont mis en demeure de le justifier dans un certain délai».

Me Mohamed Traoré se demande, lui aussi, si les putschistes n’avaient pas trouvé leurs « coupables» avant même de créer la CRIEF : «Mais on a l’impression parfois que relativement à la mise en place de la CRIEF, des personnes étaient déjà ciblées ou dans le viseur et qu’il fallait rapidement créer un instrument pour pouvoir les neutraliser. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a rien à leur reprocher, bien qu’elles soient présumées innocentes», affirme l’avocat.

Dernièrement, le Procureur spécial près la CRIEF, Aly Touré, a plaidé pour une rallonge des délais de la procédure. Ce qui lui permettrait de garder ses inculpés en détention, en attendant de rassembler d’autres preuves. Mais pour Me Traoré, cela ne doit pas se passer comme cela : «Ce sont donc les conséquences de la précipitation qui se traduisent aujourd’hui par les difficultés de la CRIEF à gérer les dossiers relevant de sa compétence. On n’arrête pas les gens pour chercher ensuite les preuves des faits qu’on leur reproche. C’est le contraire. Et maintenant que cette maladresse a été commise, ce n’est pas une augmentation des délais de procédure qui pourrait la réparer. Si la CRIEF continue à fonctionner de la même manière, une augmentation des délais de procédure ne pourrait nullement la sortir de ses difficultés actuelles. Elle doit totalement changer de méthode. Il n’y a pas d’autres solutions», affirme Me Mohamed Traoré.

Yacine Diallo