Fin de l’interrogatoire des onze accusés du massacre du 28 septembre 2009 lundi et début, le lendemain mardi 14 février, de l’audition des parties civiles. Ouvrant le bal, Oury Baïllo Bah a fait un émouvant témoignage sur les circonstances de la mort de son frère El Hadj Alhassane Bah, tué au Stade du 28 septembre.

Né en 1970 à Pita, Oury Baïllo Bah, assis sur une chaise roulante, est finalement la première partie civile à comparaître à la barre, pour témoigner sur les événements du 28 septembre 2009. Parmi les 157 morts officiellement au cours de ce carnage, figure son jeune frère, El Hadj Alhassane Bah, fonctionnaire, marié trois ans auparavant, sans enfant.

 La veille, lundi 13 février, une farouche bataille a opposé la partie civile qui sollicitait un renvoi à huitaine pour préparer cette phase et la défense. Selon nos informations, elle voulait que la première victime à déposer soit le leader politique Amadou Oury Bah connu sous le nom de Bah Oury, actuellement en tournée de vulgarisation du rapport des Assises nationales. L’opposition des avocats de la défense a bénéficié, exceptionnellement, du soutien du parquet. Les deux estimant qu’il n’y a pas lieu de renvoyer l’audience, arguant que les parties civiles ont eu 13 longues années pour préparer ce moment. Le juge, Ibrahima Sory 2 Tounkara, les a finalement suivis.  

El Hadj Alhassane Bah, qui habitait au quartier Hamdallaye, devait se rendre à un baptême. A sa sortie de la maison, il a finalement été entraîné par la foule vers le Stade du 28 septembre où se tenait un meeting à l’appel des Forces vives de la nation pour s’opposer à la candidature du capitaine Moussa Dadis Camara, chef de la junte alors au pouvoir. Quand la situation dégénère, Alhassane appelle son frère qui, lui, habite dans le centre-ville de Kaloum. Ce dernier lui conseille d’essayer de s’extirper du bourbier, tout en maintenant la communication téléphonique. « Il m’a dit que les bérets rouges sont entrés, ils tirent. Effectivement, j’entendais les tirs, les cris, son essoufflement… Puis d’un coup, je ne l’entendais plus. Le téléphone marchait, j’entendais les crépitements. Depuis, je n’ai plus entendu sa voix, plus aucune nouvelle, aucun contact », témoigne Oury Baïllo Bah à la barre.

Le même jour, il se rend à la morgue du CHU Donka où il assiste à une scène horrible. Des corps étaient débarqués même dans des magbanas (minibus), du sang coulait « comme dans une boucherie », décrit-il. Il ne retrouve pas la dépouille de son frère. Puis, il reçoit le coup de fil d’un des amis de ce dernier qui lui dit : « J’ai vu Alhassane sur l’esplanade du stade, aligné avec d’autres. Je me suis approché de son corps, j’ai fouillé dans ses poches pour être sûr et y ai retiré 7 000 francs ». Témoignage interrompu par des pleurs. Instants de fortes émotions, alors qu’un silence religieux règne dans la salle d’audience captivée par le récit. « Malgré tout, nous avons poursuivi les recherches dans l’espoir de le retrouver mort ou vivant, notamment dans les casernes où étaient détenus des gens, selon nos informations ». Vaine recherche au camp Alpha Yaya Diallo, le siège de la présidence à l’époque des faits. « Qui les a envoyés là-bas ? Ils ont eu ce qu’ils cherchaient », entendent-ils dire une voix. Tandis que des pleurs de manifestants arrêtés émanaient des cachots placés sous les ordres, selon le témoin, des colonels Claude Pivi et Moussa Tiégboro Camara, deux hommes du pouvoir, aujourd’hui poursuivis pour leurs liens présumés avec le massacre.  

« Il ne nous reste plus que ses souvenirs »

Cinq jours après les tristes événements, des corps sont exposés à la Grande Mosquée Fayçal de Conakry. Ce jour-là également, celui d’Alhassane ne sera pas retrouvé. « Certains corps commençaient à se décomposer et devenaient méconnaissables. Sans aucune dignité. On était obligés d’enlever le linceul et chercher un signe particulier pour tenter de reconnaître. 57 corps avaient été annoncés, il y en a eu moins. Celui de mon frère a tout simplement disparu. Selon des témoins, mon frère a reçu un coup de poignard à la nuque par arme blanche. Nous n’avons pas de tombe où nous recueillir, ce qui nous reste, c’est son souvenir. Je voudrais qu’on nous dise où se trouve le corps de mon frère », demande Oury Baïllo Bah qui sanglote de nouveau, essuie ses larmes avec un mouchoir blanc, avant de poursuivre : « J’ai été obligé de mentir à ma mère pour lui dire que le corps était dans un état tel qu’on ne pouvait pas le transporter. Rien n’y fait. Elle a répondu : ‘’envoyez-le moi, même si c’est dans un plastique’’. J’ai finalement été obligé de lui avouer la vérité. » La mère n’a pas pu supporter la mort de son enfant El Hadj Alhassane Bah. Elle est décédée juste après, selon Oury Baïllo Bah.

Votre frère vous avait-il dit s’il a pu identifier un militaire ? interroge le président du tribunal. « Non, mais il m’a dit que le colonel Tiégboro était présent au Stade du 28 septembre ». Ce dernier aurait même ordonné à ses hommes « de charger » les manifestants. A la suite de quoi, deux morts auraient été enregistrés dans un premier temps (avant le début du meeting) sur l’esplanade du Stade. Même question posée par le tribunal au témoin qui avait préalablement déclaré qu’ils ont été chassés par des militaires à la morgue du CHU Donka alors qu’ils recherchaient le corps de Alhassane. Oury Baïllo précise que la scène s’est déroulée en présence du ministre de la Santé d’alors, le colonel Abdoulaye Chérif Diaby, dans le box des accusés. Avant de pousser son dernier soupir, Alhassane Bah aurait également confié à son frère au téléphone que des gendarmes du service du colonel Moussa Tiégboro Camara faisaient partie des tireurs le jour du massacre du 28 septembre 2009. Au moment d’aller sous presse, le témoin faisait face aux questions de précision des différentes parties.

Diawo Labboyah Barry