Le 28 mars, au procès du massacre du 28 septembre 2009, François Lonsény Fall, ancien président de l’ex parti Front uni pour la démocratie et le changement (FUDEC), a témoigné devant la barre. Membre des Forces vives ayant organisé la manifestation, il a narré le déroulement des événements et a formellement accusé le capitaine Marcel Guilavogui des exactions commises au stade ce jour-là. M. Fall considère Aboubacar Sidiki Diakité dit leur sauveur.
Objectif des Forces Vives
François Lonsény Fall a indiqué que les Forces vives ont été formées pour dire non à une éventuelle candidature d’un membre du CNDD ou de son président capitaine Moussa Dadis Camara à une élection. D’autant plus que les membres des Forces vives avaient constaté l’ordre inversé des élections, alors qu’il était question d’organiser les élections législatives avant l’élection présidentielle. Mais selon lui, par des manœuvres, un comité ad hoc avait inversé l’ordre des élections. « Ce que nous redoutions à l’époque. Ce qui s’est produit malheureusement en Guinée, parce qu’après l’élection présidentielle de 2010, il nous a fallu trois ans de douleur pour pouvoir avoir des élections. C’est un ensemble de situations qui nous ont amené à dire qu’il fallait que les Forces vives fassent entendre leurs voix. On vous a parlé de la visite du président Wade, de la réunion des élus locaux, on vous a parlé de la visite du vice du président du CNDD qui a fait un discours de campagne à Macenta, on vous a parlé de Labé, de Fria et moi-même j’étais à Kankan quelques jours avant le 28 septembre, j’ai vu des manœuvres qui étaient en place pour soutenir le président du CNDD. Donc, le dispositif était en place, c’était clair que le CNDD se préparait à participer aux élections ; ce qui était contraire aux engagements qui avaient été pris. Malgré tous les efforts qui avaient été déployés par le Groupe international de contact qui avait été mis en place, le CNDD n’a pas reculé. C’est pourquoi, nous avons décidé de faire ce meeting ; pas pour créer des troubles dans le pays. Nous avons voulu le faire dans un endroit protégé, en appelant l’ensemble de nos populations durant des semaines à travers des campagnes médiatiques. Ce n’était pas caché, parce que nous voulions démontrer à la face du monde ; en réponse à ce que le président Abdoulaye Wade a déclaré ici à Conakry que la majorité de la population guinéenne était en faveur d’une élection démocratique en Guinée. C’est la raison pour laquelle nous avons choisi cette date. »
De la mobilisation
Le matin du 28 septembre 2009, Lonsény Fall affirme avoir reçu à son domicile les responsables de son parti. Ils ont pris le petit-déjeuner ensemble dans une ambiance de confiance, avant d’aller au stade. « Je me suis séparé de mes militants, je suis passé prendre mon collègue Sidya Touré à son domicile. Arrivé au niveau du stade, nous avons vu que le stade était déjà rempli de monde. Il y avait déjà une fine pluie le matin. Nous avons dû contourner, pour aller à Landréah, pour rejoindre les autres leaders au domicile de notre porte-parole, Jean-Marie Doré. Lorsque nous sommes arrivés, nous avons été informés qu’il y avait eu des problèmes au stade ». L’ancien ambassadeur, l’ancien Premier ministre, l’ancien ministre des Affaire étrangères, rappelle que Jean-Marie Doré les avait informés qu’il attendait une délégation des religieux. Mais compte tenu de l’atmosphère à l’esplanade, ils ont estimé qu’il fallait rejoindre les compatriotes. Parce que durant les préparatifs, ils avaient promis que cette fois-ci les premiers responsables des partis politiques seraient présents. Tous les responsables des partis politiques étaient présents, à l’exception du président du RPG qui avait voyagé quelques jours plus tôt, explique le diplomate. « Nous sommes partis du domicile de Jean-Marie Doré à pieds. Lorsque nous sommes arrivés au niveau de la fondation FONDIS, nous avons rencontré un cordon de gendarmerie ; à sa tête : Moussa Tiegboro Camara, il y a eu une longue discussion avec lui. Il souhaitait que nous puissions changer la date. Mais là où nous étions, on ne pouvait pas changer de date étant donné que des milliers de militants étaient déjà réunis. Il n’était plus question de retourner ». Il estime que faire marche arrière signifiait une trahison de leur part, parce que les militants s’étaient déjà mobilisés en masse. « Lorsque les militants se sont rendus compte que nous étions bloqués, il y a une foule nombreuse qui est venue vers nous, qui a fait sauter les verrous. A partir de cet instant, nos pieds n’ont plus touché le sol. Nous avons été pris en triomphe par nos militants. C’était des dizaines de milliers de personnes qui nous ont portés en triomphe vers le stade. Nous ne savons pas comment les portes du stade avaient été ouvertes, mais ce qui est sûr, nous sommes entrés au stade portés en triomphe par cette masse. Nous nous sommes installés à la tribune. L’atmosphère était une atmosphère de grand jour. Les militants avaient pris d’assaut et la tribune et les gradins. Je me rappelle encore de ces jeunes en train d’entonner l’hymne national, d’autres qui s’alignaient sur la pelouse pour prier deux rakats de prière, pour remercier Dieu d’être là et remercier Dieu également qu’il puisse bénir notre pays pour l’avènement de la démocratie en Guinée. J’étais-là, je regardais ce spectacle avec beaucoup d’encouragement pour l’avenir de notre pays ».
Du massacre
« A un certain moment, nous avons vu notre porte-parole faire son entrée par le portail des footballeurs. De là où nous étions, nous avons vu notre collègue Jean-Marie Doré ovationné par les jeunes. Nous étions contents que notre porte-parole ait décidé de nous rejoindre », raconte Lonsény Fall. Le leader des forces vives raconte qu’ils ont aussitôt entendu des crépitements suivis d’une grande ruée de gaz lacrymogènes qui a envahi le stade, qui a inondé le stade. « De là où nous étions, on arrivait plus à respirer. Les jeunes ont formé un cordon pour nous apporter des feuilles, pour nous protéger contre l’effet du gaz. C’est en ce moment que la panique a gagné tout le stade, les jeunes couraient partout. Ces tirs de l’extérieur ont précédé l’entrée des soldats à l’intérieur du stade. Ensuite, les militaires ont fait leur entrée. Quand ils ont fait leur entrée, j’ai reconnu le commandant Aboubacar Sidiki Diakité dit Toumba parmi eux ». Le témoin affirme avoir vu les militaires tirer sur la foule qui était en débandade. « Les gens couraient de partout, ils escaladaient les murs, ils tombaient. J’ai vu des jeunes tomber sur la pelouse, Sidya a dit : ‘’ Tu as vu, ils sont en train de tuer les jeunes’’. Je n’avais jamais imaginé que cela pouvait se produire dans mon pays. » C’est en ce moment, dit-il, Aboubacar Sidiki Diakité dit Toumba est monté vers eux, il a demandé où sont les leaders. Dès qu’ils se sont levés, un groupe de militaires étaient venus derrière Toumba, que lui Lonsény Fall, a reconnu comme étant Marcel, ce groupe s’est emparé d’eux, ils ont reçu les premiers coups. Sidya a reçu un violent coup de gourdin ou de cross de fusils sur sa tête, le sang a jailli, affirme Monsieur Fall qui poursuit : « J’ai reçu un violent coup, je suis tombé sur les gradins, le coude droit s’est déchiré. Le sang, la douleur, je l’ai ressenti vivement. C’est ainsi que nous sommes descendus, certains sont allés à droite, d’autres à gauche. Toujours poursuivis par les assaillants et sur la pelouse, j’ai vu notre collègue Cellou Dalein dans leurs (militaires) mains, qui l’étranglaient en le rouant de coups. Pendant que nous étions arrêtés, j’ai vu Marcel asséner un violent coup sur la tête de Sidya Touré et puis ce sera mon tour, un violent coup de matraque sur ma tête, je suis tombé. Je me suis relevé tout de suite, je me suis accroché sur la ceinture de mon jeune collègue Mouctar Diallo. Mon garde de corps qui était habillé comme les policiers, m’a couvert de son corps, et moi accroché à Mouctar. C’est en ce moment que Toumba nous a difficilement extraits, il nous a demandé de le suivre. C’est ainsi que nous sommes sortis du stade, mais les assaillants nous poursuivaient toujours. Arrivé au niveau du Palais des sports, on a vu des militaires déshabiller des femmes, battre des femmes. Nous avons vu une femme presque nue, qu’ils tiraient vers le Palais des sports. Nous avons marché jusqu’à l’esplanade. Arrivé-là, nous avons retrouvé notre infortuné Jean-Marie Doré qui n’avait plus sa veste, ni sa cravate, il était battu à sang. C’est en ce moment que Toumba nous a embarqués dans son véhicule : Sidya Touré, Mouctar Diallo, Jean-Marie Doré et moi-même. Il est reparti en courant vers le stade, son véhicule était garé au bord de la route.
Pendant ce temps, Marcel et ses soldats tournaient autour du véhicule, ils préféraient des menaces à un moment, il a donné un violent coup de matraque dans le visage de Sidya Touré. Sidya lui a demandé : ‘’ Qu’est-ce que je t’ai fait ? ‘’ Et Marcel a répondu : ‘’Vous, vous ne serez jamais Présidents, nous allons vous tuer tous’’, et il menaçait. Nous étions pris de frayeur, parce qu’il n’y avait personne pour nous protéger. On a vu Toumba revenir en courant également, il s’est mis au volant, il a pris la direction de la clinique Ambroise Paré à une très grande vitesse. Devant la clinique Ambroise Paré, nous sommes descendus, les médecins et les infirmières sont sortis nous accueillir. On a vu Marcel surgir, colonel Tiegboro Camara était présent sur les lieux ; alors, il y a eu une altercation entre Marcel et Toumba. C’est là où nous avons su que celui qui nous battait à l’intérieur du stade s’appelle Marcel, parce que Toumba l’appelait par son nom. Il y a eu une longue dispute, Marcel tenait à ce qu’on nous amène au camp Alpha Yaya, Tiegboro a essayé timidement, il n’a pas pu. C’est en ce moment que Marcel a sorti une grenade, pour dire que ‘’si on nous recevait dans la clinique’’, il allait exploser la clinique. Toumba nous a rembarqués dans son véhicule, direction, l’état-major de la gendarmerie », où ils ont été « déposés », non loin du ministère du Plan où seul Sidya a accepté de recevoir les premiers soins, dont la plaie a été suturée sans anesthésie.
Comme les autorités se sont rendues compte qu’il y avait eu carnage, les leaders ont été transportés à la clinique Pasteur, dans une grande salle, pour des soins, a témoigné François Lonsény Fall.
Mamadou Adama Diallo