Cet alphabet qu’on appelle alphabet latin harmonisé est un alphabet qui a été développé en 1928 par le missionnaire allemand Diedrich Hermann Westermann. Il résulte de la fusion entre l’alphabet anglais ou romain de façon générale et l’alphabet phonétique. Le but principal de Westermann était de faciliter la transcription des textes chrétiens dans les langues africaines. Son initiative visait aussi à faire disparaître l’écriture ajami arabe qui prévalait à l’époque dans la plupart des communautés africaines et dont nos parents se servaient avant l’arrivée des colons européens.
Diedrich Westermann avait constaté que les Allemands, Anglais et Français écrivaient les langues africaines de manières très différentes. D’ailleurs, chaque auteur, dès les premières pages de son livre, s’efforçait d’expliquer l’alphabet qu’il utilisait.
Contrairement à une croyance répandue, cet alphabet n’a pas été créé par Amadou Hampaté Bâ, Alpha Ibrahima Sow, ou par un autre intellectuel africain, et encore moins par l’UNESCO. L’UNESCO a simplement soutenu un projet d’harmonisation des différentes méthodes héritées de la colonisation pour écrire les langues africaines.
C’est ainsi qu’en 1966, la conférence de Bamako a été organisée dans le but d’harmoniser la façon d’écrire six langues africaines, dont le Hausa, le Pular, le Manding, le Kanuri, etc. L’alphabet de Diedrich Hermann Westermann fut alors retenu.
Cependant, la Guinée de Sékou Touré avait refusé cette proposition pour des raisons qu’on peut bien deviner. Il y avait aussi le fait que cet alphabet ne pouvait être utilisé pour l’impression de livres à l’époque, en raison de l’introduction de certaines lettres avec des crochets tels que le ɓ, le ɗ, le ɲ, etc. D’ailleurs, moins de deux ans après, lorsque la Guinée a décidé d’introduire l’enseignement des langues nationales en 1968, les autorités guinéennes ont choisi d’adopter un alphabet basé sur les 26 lettres de l’alphabet français. Ce n’est qu’en 1989, que la Guinée va reconnaître cet alphabet de Diedrich Hermann Westermann rebaptisé l’alphabet latin ou harmonisé.
La Conférence de Bamako avait donc pour seul objectif d’harmoniser l’écriture de certaines langues africaines en utilisant l’alphabet romain ou latin, et non de déterminer le système d’écriture le plus adapté. À l’époque, les participants à cette conférence savaient bien que d’autres systèmes d’écriture africains existaient, tels que le Nko, le Tifinagh, parmi tant d’autres. Cependant, ceux-ci n’étaient pas l’objet de cette conférence. En plus, les experts étaient conscients que l’alphabet latin ou romain n’était pas toujours le plus approprié pour transcrire certaines langues africaines, en particulier les langues à tons.
Par ailleurs, malgré cet effort d’harmonisation, cet alphabet n’est toujours pas universellement accepté de façon uniforme par tous les pays africains. Il y a toujours des différences entre les pays. Par exemple, si certains pays utilisent le ñ espagnol, d’autres pays préfèrent encore le ny ou le ŋ.
Étant donné que nous disposons de nos propres systèmes d’écriture qui sont supportés sur toutes les plateformes de technologie, rien ne nous empêche de les embrasser et de les soutenir. En effet, les alphabets ADLaM et Nko qui sont reconnus et codifiés par ISO (Organisation Internationale de Standardisation) sont aussi supportés par les systèmes d’opération Android de Google, Windows de Microsoft, MacOs et iOs de Apple, etc. Le seul obstacle à franchir et à dépasser est ce complexe d’infériorité qu’a l’Africain surtout l’intellectuel africain devant les choses héritées de la colonisation. Que ce soit sur le plan de la langue, de la façon de s’habiller et même de manger de certains de nos intellectuels, l’adoption de ces valeurs étrangères ne reflète que la croyance erronée en supériorité culturelle et civilisationnelle de l’Europe sur l’Afrique.
Aujourd’hui, l’ADLaM, le Nko, le Tifinagh, le Ge’ez et tant d’autres systèmes d’écriture authentiques africains peuvent valablement transcrire et représenter nos langues. Ces écritures sont supportées par Microsoft, Apple, Google, etc. Il ne reste plus que la volonté de nos dirigeants pour prouver au reste du monde que l’Afrique a ses langues et ses écritures sur lesquelles elle peut compter pour se développer et se projeter sur la scène internationale. Là où les Coréens, les Israéliens et les Chinois ont réussi, nous les Africains pouvons aussi réussir. Ces peuples ne sont pas plus intelligents que les africains. Ils ne sont juste pas complexés et ils ont choisi d’embrasser ce qu’ils sont et ce qu’ils ont.
Abdoulaye J Barry
Portland, USA