Cette fois-ci, Juste un mot tombe juste, une fois n’est pas coutume. C’est le titre de l’ouvrage d’un illustre patriote africain, un Nigérien, Bakary Djibo, bien familier des vrais patriotes du continent noir et bien au-delà. Paru le 1er décembre 1992, le livre retrace la longue lutte politique et syndicale du leader du Parti Sawaba,  célèbre pour avoir donné plus d’un fil à retordre au colonialisme français en Afrique en général, au Niger en particulier, qui n’a pas manqué de le lui rendre. Né en 1922 à Soudouré, cet homme politique remarquable est décédé à Niamey en 1998 à l’issue d’une vie faite de clandestinité et d’exil. En 2023, il a tout l’air de prendre via Emmanuel Macron une revanche posthume.

Bakary Djibo a dû se retourner deux fois dans sa tombe quand l’actuel patron de l’Élysée s’est entendu avec son ambassadeur à Niamey, Silvain Ité, pour répondre « non » à l’invitation illégitime du Général Tiani, le chef des putschistes du Niger. Il pourrait difficilement en être autrement vu que feu Bakary Djibo appartient à la génération de l’Ivoirien Houphouët Boigny, des Sénégalais Léopold Sédar Senghor et Mamadou Dia, du Malien, Soudanais à l’époque, Modibo Keita, du Guinéen Sékou Touré et de leurs partenaires français : François Mitterrand, Gaston Deferre, Charles de Gaulle, que sais-je encore.

Pour une fois, les rôles ont été inversés. L’Histoire est formelle. Le partenariat franco-africain, surtout à l’époque, ressemble à s’y méprendre à celui du cavalier et du cheval. Le cavalier prépare les conditions, le cheval s’y conforme. Le Niger de Djibo opposait toujours un « non » qui lui coûtait sa carrière. L’une des plus cinglantes de ces négations aura été réservée à Houphouët Boigny soi-même. On se rappelle qu’à la pointe de la lutte anti coloniale, celui-ci avait créé le RDA à Bamako en 1946, qu’il affilia  au Parti communiste français. Quasi tous les dirigeants nationalistes de l’AOF s’y retrouvent. Le système colonial finit par en ressentir les effets dévastateurs. Comme on peut toujours faire autrement, le plus jeune ministre de la Quatrième République française, un certain François Mitterrand, demande à Houphouët de quitter les Communistes sous la plante des pieds, même s’il faut « parler à gauche et manger à droite. » Ça marche.

Au Niger, Djibo refuse de « changer de cap sans consultations internes.» Populaire à souhait, vice-président du Conseil du Gouvernement de la loi-cadre Gaston Deferre, il est exclu du RDA. Pis encore, malgré la valse des gouverneurs  et les tractations tous azimuts du système colonial, il est évident que le référendum du 28 septembre 1958 se soldera par un « non » retentissant. A Conakry, Sékou Touré aura plus de chance…malchance. La bagarre ne se situe pas  au niveau d’Houphouët, mais de De Gaulle, strictement à cause « des applaudisseurs sonores » du mémorable discours, le 25 août 1958, du futur Responsable Suprême de la Révolution.  Finalement, la Guinée et le Niger voteront négatif, mais les 78,43% de  « oui » nigériens seront convertis en non, les 21,57% de « non, » en « oui ». Quelque 65 ans plus tard, en 2023,  le non de la France au Niger ne passe pas. C’est la revanche posthume de Bakary Djibo. Macron paiera, à titre anthume.

Diallo Souleymane