Le procès d’Amadou Damaro Camara s’est ouvert le 9 octobre, devant la Cour de répression des infractions économiques et financières (CRIEF). L’ex président de l’Assemblée nationale, jugé pour « détournement de deniers publics, enrichissement illicite, blanchiment de capitaux, corruption dans le secteur privé et public, prise illégale d’intérêt et complicité», plaide non coupable. Mais à la fin de l’audience, le juge a ordonné une mise en liberté du prévenu qui reste toutefois interdit de sortir du territoire ou d’entrer en contact les parties civiles ou les témoins. Le débat a été bien houleux.

Après 18 mois d’incarcération, Amadou Damaro Camara décide finalement d’affronter la CRIEF. Il a finalement comparu devant le juge Francis Kova Zoumanigui pour répondre des accusations articulées contre lui par le parquet spécial près la juridiction. Damaro est arrivé à la CRIEF peu après 10h, visiblement affaibli par les soucis de santé, boitillant, ayant même du mal à se tenir debout. Il est resté d’ailleurs assis durant tout le long de son interrogatoire.

Le ponte de l’ex parti au pouvoir, le RPG arc-en-ciel, nie en bloc tout ce qu’on lui reproche. Il affirme s’être résolu à se présenter devant la justice pour laver son honneur : « Quand tu perds ta réputation, tu as tout perdu ». Dans cette affaire, les accusations tournent essentiellement autour de l’astronomique somme de 15 milliards de francs guinéens allouée à la construction du futur nouveau siège de l’Assemblée nationale à Koloma. L’Etat, représenté par l’Agent judiciaire et le parquet spécial près la CRIEF, estiment que l’ancien président de l’Assemblée nationale a détourné cet argent à des fins personnelles. Ce que Damaro réfute catégoriquement. Selon lui, tout est partie de la décision de l’Etat guinéen de changer le site choisi pour abriter le nouveau siège de l’Assemblée nationale : « Cela n’a pas plu à la partie chinoise (le donateur, ndlr) qui avait déjà effectué des travaux sur le premier site. Elle a exigé qu’on fasse le décapage et le nettoyage du nouveau site. Les Chinois ont également exigé de l’électricité et de l’eau en moins de trois mois ». Sauf que l’Assemblée nationale n’avait pas d’argent, selon le prévenu, et les doléances auprès d’Alpha Condé, ex Président de la République, n’auraient pas prospéré : « J’ai tout fait, il m’a dit de me débrouiller ». A ce moment-là, les 15 milliards n’étaient pas disponibles. Damaro prend dans les fonds de fonctionnement de l’Assemblée nationale, pour viabiliser le nouveau site : « Cette somme nous était allouée comme subvention de fonctionnement. J’ai payé 750 000 000 de francs ont à EDG, 350 000 000 à la SEG et 1 800 000 000 à la société de monsieur Kim (un autre prévenu dans le dossier, ndlr). Les chèques de tous ces paiements existent ».

Quid du reste de l’argent ?

Quand les 15 milliards alloués à la construction du siège ont été versés, les 3 milliards pris dans le fonds de fonctionnement de l’Assemblée pour répondre à la demande des Chinois auraient été remis à leur place. Arrivent dans cette même période les vacances parlementaires 2021. Elles coïncident, selon lui, à un moment où Alpha Condé avait bloqué tout paiement. Les députés restent donc sans primes. Mais ce dernier souhaite malgré tout, la tenue d’une session extraordinaire pour  l’adoption de la loi des finances rectificative et la ratification d’autres accords de prêt. Damaro dit à Alpha Condé qu’il était impossible de les convoquer alors qu’ils n’ont pas leurs primes. Alpha lui dit de se débrouiller : « Des membres du bureau de l’Assemblée nationale me conseillent de payer les députés dans les 15 milliards là. Charge pour nous de reconstituer les fonds, quand la subvention de fonctionnement va tomber. Nous l’avons fait. Mais le coup d’Etat est intervenu avant que l’argent ne tombe. Toutes les preuves sont là. Le 3 septembre 2021, le reste de l’argent, un peu plus de six milliards, était dans le compte de l’Assemblée nationale domicilié à la Banque centrale ».

«Cela s’appelle la justice du vainqueur»

Cet argument ne convainc pas le ministère public. Lazare Bauret tente de démontrer que Damaro a bien détourné de l’argent. Il explique que les fameux 15 milliards existaient déjà avant même que le prévenu puise dans le fonds de fonctionnement. Il lui reproche aussi le fait qu’il n’ait pas parlé d’EDG et de la SEG pendant l’enquête préliminaire et à l’instruction. Cela provoque l’ire du prévenu : « Cela s’appelle la justice du vainqueur. Le vainqueur qui écrit l’histoire, qui distribue les chefs d’accusation ». Le procureur estime également que les pièces comptables fournies par la BCRG ne prouvent pas que les députés ont été payés dans les fameux 15 milliards : « D’ailleurs le compte de l’Assemblée a reçu, le 3 septembre 2021, plus de 4 autres milliards. »   

Griefs contre la CRIEF

Dans cette affaire, l’ancien président de l’Assemblée nationale est en prison depuis fin avril 2022. 18 mois plus tard, il en veut encore au parquet spécial et aux juges d’instructions près la CRIEF. Il considère toujours que sa détention est extrajudiciaire : « A la gendarmerie, nous avons versé les chèques versées à EDG, à la SEG, à monsieur Kim, la liste d’émargement des députés et les traces du solde restant. Les agents m’ont félicité, m’ont dit de rentrer à la maison. Le colonel Sangaré m’a rappelé le lendemain, m’a dit de venir signer mon procès-verbal ». A la place d’une signature, Damaro est déféré devant la CRIEF, inculpé et déposé à la Maison centrale vers minuit : « On m’a envoyé à la CRIEF à 11h, on m’a installé dans un couloir, j’y suis resté jusqu’à minuit avant qu’on ne m’introduise dans une salle. Là, les juges n’avaient que les chefs d’accusation. Ils n’avaient même pas les PV de la gendarmerie. Je suis surpris aujourd’hui que le parquet dise les détenir, alors qu’il les déclarait perdus ». Au lendemain de son incarcération, ses avocats ont écrit à la Cour pour « signaler ce manquement».

Cas Mariam Camara, le marché de trop ?

Quand Amadou Damaro Camaro a pris les rênes de l’Assemblée nationale, la question de la rénovation des locaux s’est posée. La société d’une certaine Mariam Camara, fille du président de l’Assemblée, gagne un des marchés. La rénovation du bureau de son père et celle de quelques autres bureaux lui sont confiées. Cela crée le tollé dans la cité. Beaucoup y voient du favoritisme. A la barre, Damaro minimise cette affaire : « On parle beaucoup, mais Mariam n’a bénéficié ni du premier marché ni du deuxième, mais du cinquième marché. Elle a fait un travail fabuleux avec un montant dérisoire. L’argent était trop petit par rapport au travail effectué. La preuve en est qu’elle travaille aujourd’hui pour des ministères du CNRD ».

En ce qui concerne les biens qu’on lui attribue, le prévenu est sans équivoque : ce ne sont que des affabulations : « J’ai une concession en construction à Conakry, une à Kankan et une autre à Kérouané. Je ne suis pas riche, je n’ai pas d’immeubles comme on le prétend ». Il ne nie pas cependant qu’il a des parcelles à Dubréka ou des champs en Haute-Guinée.

A la fin de l’audience, la défense sollicite une mise en liberté pour le prévenu, le parquet spécial s’oppose, estimant que la question de sa liberté est posée devant la Cour suprême. 

Yacine Diallo