Ancien fidèle parmi les fidèles du président de l’UFDG, le docteur Ben Youssouf Keïta a quitté son mentor pour « voler de ses propres ailes ». Ce médecin qui a lancé son propre parti ne fait plus mystère de son soutien à la junte du CNRD.
La Lance : Pourquoi avez-vous quitté l’UFDG ?
Le Dr Ben Youssouf Keïta : J’ai quitté L’UFDG en décembre 2021, pour fonder l’Alliance pour le Changement et le Progrès (ACP) le 21 janvier 2022. Mon départ traduit ma volonté de prendre mon destin en main et de relever un challenge: présider aux destinées de notre Nation, conformément à mon projet de société d’obédience sociale démocrate, ma philosophie. Après 15 ans à l’UFDG, où j’ai forgé mon expérience politique et syndicale, en étant respectivement député à l’Assemblée nationale et secrétaire général du syndicat de la société minière AREDOR, puis 5 ans à la tête de l’ONG ARAPMA, j’ai estimé être suffisamment outillé pour voler de mes propres ailes, relever le défi de la conquête du pouvoir que j’ambitionne. L’exemple de celui qui fut mon mentor politique m’a inspiré.
Comment se positionne votre parti sur l’échiquier politique guinéen ?
L’ACP (Alliance pour le Changement et le Progrès) a choisi de soutenir le CNRD dès les premières heures de la prise du pouvoir. Nous assumons notre décision et continuons dans notre logique, tout en restant vigilants et critiques.
Quel est le regard de l’ACP sur la conduite de la transition (octroi des marchés de gré à gré, récente grogne des magistrats, justice…) ?
Notre regard sur les actions du CNRD est que la transition traverse une zone de turbulences, avec assez de difficultés sociales et politiques. Nous expliquons cela par le malaise qui prévaut entre différentes corporations et l’Etat: situation des enseignants contractuels, grève des hommes en robe, le cadre de dialogue qui a perdu de sa sérénité depuis les déclarations de certains responsables de coalitions qui ont voulu participer dès les premières heures. Il est donc impératif que le CNRD examine ces problèmes avec discernement et y apporte rapidement les solutions idoines.
La levée de ces obstacles permettra l’instauration d’un climat serein, nécessaire pour l’exécution correcte des 10 points du chronogramme et le respect de l’engagement pris par les autorités pour le retour à l’ordre constitutionnel. L’ordre des priorités du CNRD étant décliné, il est clair que les services sociaux de base (écoles-hôpitaux-infrastructures routières-eau- électricité) se taillent la part du lion et occupent une place de choix dans l’agenda du CNRD, reléguant au second plan le financement du politique.
Les marchés de gré à gré dénoncés par la presse et le CNT devraient faire l’objet de vérification par l’Etat afin de déceler tout manquement éventuel, sanctionner toute malversation ou corruption. La CRIEF doit s’autosaisir dès qu’une alerte est donnée dans ce sens. L’ACP tient à la transparence et à la gestion vertueuse des biens publics. C’était un des fléaux des régimes antérieurs.
La mise en place de la CRIEF a été saluée par L’ACP. Vu que les textes qui régissent son fonctionnement ne sont pas connus du grand public, il est impératif qu’elle communique régulièrement afin d’éclairer le citoyen. Le manque d’information amène la désinformation et crée la supputation. L’ACP ne fait pas de procès d’intention et n’affirme que ce qu’elle peut démontrer avec preuve. Les différentes injonctions du procureur général contre les dignitaires du régime déchu, poursuivis pour malversations, doivent être expliquées. Au risque de donner l’impression qu’il s’agit d’une chasse aux sorcières.
Le procès sur les événements du 28 septembre est un ouf de soulagement pour nous les victimes et les nôtres. Une opportunité pour la justice guinéenne de montrer sa capacité à la face du monde, l’occasion rêvée de redorer son blason. Il est impératif que toute la lumière soit faite sur cette macabre journée, que les disparus soient localisés pour permettre aux familles de faire le deuil de leurs proches. L’ACP soutient ce procès et demande à ce qu’il aille jusqu’au bout afin que le slogan plus jamais ça soit une réalité.
Quel bilan tirez-vous des deux ans de gestion du CNRD ?
Le bilan du CNRD est globalement positif. La moralisation de la vie socio-économique, la mise en place de la CRIEF, la réalisation des infrastructures sociales de base, les chantiers routiers, le nettoyage des fichiers minier et de la fonction publique sont des actions positives. Le point noir reste les différentes pertes en vies humaines enregistrées lors des récentes manifestations non autorisées, l’insécurité dans les zones minières comme Siguiri et la recrudescence du phénomène de coupeurs de route.
Le président de la transition a déclaré du haut de la tribune des Nations Unies que la démocratie à l’occidental n’est pas adaptée à nos pays. Quelle lecture faites-vous de ce discours ?
S’il est vrai qu’on ne réinvente pas la roue, on peut quand-même améliorer les qualités. La Guinée, avant la conférence de La Baule, s’était déjà ouverte au multipartisme, à la démocratie, avec le président Lansana Conté (fin 1989). Le modèle amené en 1990 à La Baule par le président François Mitterrand a montré ses limites. Pire, il n’a pas fonctionné en Afrique francophone. Les changements constitutionnels et le truquage des élections ont mis à mal la démocratie au Cameroun, Togo, Gabon, Congo Brazzaville, Tchad, en Guinée et dans un pays hispanophone, la Guinée Equatoriale. Certains sont au pouvoir depuis 40 ans. D’autres pour avoir forcé un mandat de trop ont tordu le coup à cette démocratie. En conclusion, on ne doit pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Améliorons notre démocratie en mettant en place des institutions fortes comme l’a dit Obama, en tenant compte des expériences vécues et en évitant les erreurs du passé, par l’élaboration d’une constitution dynamique, qui nous ressemble, nous rassemble et qui est susceptible de traverser le temps.
Après ce discours, on a l’impression que le retour à l’ordre constitutionnel n’est plus d’actualité. Est-ce votre avis ?
Le Président a décliné son chronogramme de gouvernance. Le social, c’est d’ailleurs la priorité de l’ACP dont la philosophie est la sociale démocratie. La création des infrastructures de base est louable. L’économique, c’est générer, gérer et distribuer équitablement les ressources de la Nation; augmenter substantiellement le PIB du pays; améliorer la qualité des prestations et relever le niveau de vie du Guinéen.
La Politique, c’est concomitamment avec le social. Réaliser les différents points du chronogramme pour le retour à l’ordre constitutionnel sur des bases saines, solides et durables pour enfin aller aux élections inclusives et transparentes.
Le vin est tiré, il faut le boire jusqu’à la lie. Mettons-nous au boulot, serrons-nous les coudes, œuvrons tous ensemble pour la réussite de la transition dans l’intérêt de tous les Guinéens. La Guinée au-dessus de tout.
La démocratie est l’oxygène de la vie en société. Elle doit être adaptée, protégée et encadrée par des garde-fous infranchissables.
Interview réalisée par
Habib Yembering Diallo