Le procès du massacre du 28 septembre 2009 est maintenant à sa troisième phase, celle de la comparution des témoins. Ainsi, lundi 13 novembre, Tibou Kamara, ancien ministre d’Alpha Condé, de Sékouba Konaté et de Moussa Dadis Camara, est passé à la barre pour donner sa version des faits.

En expliquant ce qu’il dit connaître au moment des faits, l’ancien ministre Tibou s’est livré à une rhétorique, en encensant le capitaine Dadis qui apparaît comme un dirigeant modèle.

Difficile exercice du pouvoir

Cité par le parquet comme étant un témoin clé, Tibou Kamara a commencé son témoignage par rendre hommage aux victimes, avant de dire : « Nous sommes ici par rapport à l’enjeu du pouvoir, parce que derrière ce procès historique, en filigrane, il y a l’enjeu du pouvoir, la dispute pour l’exercice du pouvoir, la dispute pour la conservation du pouvoir ». Selon lui, ceux qu’on aidait à rester aux affaires ont été opposés à ceux qui voulaient venir aux affaires. Il estime que c’est ce conflit entre ces deux tendances qui a dégénéré en une bagarre sanglante qui a coûté la vie à beaucoup de compatriotes. Et de définir, ce que c’est que le pouvoir. « L’exercice du pouvoir est complexe, dans la mesure où il y a les faucons et les colombes. Les faucons, ce sont ceux qui croient à la fermeté de l’Etat, ceux qui croient à l’autorité comme moyen de préservation de l’ordre public. L’Etat dont la violence doit s’exercer, pour protéger la vie en commun et assurer aux institutions de la République leur force, leur intégrité et leur puissance. Et puis il y a les petites colombes qui pensent que cela n’est pas incompatible avec la doctrine de paix ; la recherche effrénée et sans relâche du compromis et du dialogue. Au milieu de ces deux courants antagonistes, il y a un homme au cœur de l’action publique qui est le chef de l’Etat. Il consulte, il écoute plusieurs sons de cloches et à la fin, il lui est donné de prendre une décision, de faire un choix. Cette décision qui est la sienne, qui l’engage personnellement, peut-être jugée bonne, pertinente ou mauvaise. Le choix qu’il fait peut être juste ou justifié. Dans tous les cas, à la fin, il lui faudra décider, il lui faudra choisir un chemin, s’il le choisit, ça engage sa responsabilité, s’il ne fait rien du tout, il peut être soupçonné de décidophobie : cette difficulté à ne pas pouvoir prendre des décisions, cette incapacité à trancher pour faire avancer un processus ».

Le voyage de Labé

Dans ce procès, de nombreux acteurs qui se sont succédé à la barre ont parlé du voyage de Labé. Avant le voyage, Tibou Kamara affirme avoir posé la question au capitaine Moussa Dadis Camara pour connaître la motivation exacte de se déplacer sur un territoire, à l’époque, jugé hostile et inhospitalier pour le Président en fonction qu’il était. Moussa Dadis lui aurait répondu : « Qu’il ne voulait pas donner de sentiment d’être Président d’une partie de la Guinée et pas d’une autre. Il ne voulait pas donner l’image d’un Président qui gouvernait une partie de la Guinée contre une autre partie. En tant que soldat, il ne voulait pas donner le sentiment qu’une partie du pays lui serait autorisée et qu’une autre lui serait interdite. Il a donc eu le sentiment que ce déplacement aurait donné le message qu’il n’y avait pas de discrimination entre les différentes régions du pays. Et qu’il voulait être au-dessus de la mêlée et être le Président de tous les Guinéens. Le dernier argument est qu’il a été invité par la notabilité qu’il ne voulait pas ne pas répondre à cette invitation. » L’ancien ministre déclare que le voyage s’est passé dans de très bonnes conditions ; la notabilité, la jeunesse, la population de Labé se sont fortement mobilisées à réserver un accueil chaleureux, dans la ferveur populaire, au chef de l’Etat qui était reçu dans une partie du pays.

De la discussion qui a foiré

Sur le chemin du retour, rappelle Tibou, ils ont fait un arrêt à la station de Labé. C’est à cet endroit qu’il se serait entretenu avec le général Sékouba Konaté, à propos de la manifestation de l’opposition qui était projetée. Qu’il aurait souhaité en parler avec le capitaine Dadis également, « parce que les prémices de la manifestation se dessinaient avec la détermination farouche de l’opposition des forces vives d’alors, d’organiser, vaille que vaille, la manifestation. Et le souci des autorités que la manifestation ne vienne pas troubler l’ordre public et surtout ne coïncide pas avec la date historique du 28 septembre, la confrontation était inévitable. Vous avez d’un côté le souci des citoyens et des organisateurs d’exercer les libertés et des droits reconnus par nos lois et nos textes ; de l’autre côté, vous avez l’Etat quel qu’il soit, qui a le souci que bien que ces droits soient consacrés, que cela puisse s’exercer dans l’encadrement, dans le respect des autres, bref de manière à ce que l’ordre public ne soit pas troublé, pour que ces droits et libertés puissent s’exercer pleinement. J’ai expliqué au général Sékouba Konaté que les deux préoccupations ne sont pas inconciliables. Nous aurions pu, et nous devons parler avec les organisateurs pour engager leurs responsabilités par rapport à l’organisation de cette manifestation, de manière à ce que nous n’allions pas à la confrontation, nous ne tombions pas à une épreuve de force à l’issue incertaine. Le Général Sékouba Konaté était convaincu par l’argumentaire. Il m’a répondu que lui n’étant pas politique, comme le capitaine Dadis n’était pas loin, il va me mettre en rapport avec lui ». Tibou dit qu’il est allé voir le capitaine Moussa Dadis Camara qui a prêté une oreille attentive, mais qu’il était un peu sceptique. « Parce qu’il ne voyait pas de raison de manifester, il ne voyait pas le motif de mécontentement des forces vives d’alors, qui étaient de très bons partenaires avec lui, individuellement et collectivement. Il était étonné des raisons de descendre dans la rue qui était l’expression d’un malaise, d’une distanciation que lui à l’époque jugeait cordiaux et excellents. Que personne ne lui a fait part d’une raison de manifester ».

Appel téléphonique pour dissuader les leaders

 Rentrés à Conakry dans la soirée du 27 septembre 2009, Tibou Kamara a indiqué que la consigne implicite qui avait été donnée, c’est qu’à partir du moment ils rentraient d’un voyage, extenués, c’était de rester à la maison, de profiter du moment. « J’étais à la maison dans mon lit, quand j’ai reçu un appel du capitaine Moussa Dadis me demandant si c’était possible de bien le rejoindre au camp. Je suis arrivé au camp Alpha Yaya. Lorsque j’ai pénétré dans son appartement, j’ai trouvé le capitaine qui n’avait pas de béret, il n’était pas en tenue de travail. Donc, il s’est rappelé de la discussion que nous avons eue à Labé. Il était d’accord d’appeler les organisateurs, pour trouver un accord sur les conditions et les modalités de l’organisation de leur manifestation ».  

Tibou Kamara affirme que c’est à la demande du capitaine Dadis qu’il a appelé l’ancien Premier ministre Sidya Touré, président de l’UFR, avec son téléphone. Le capitaine Dadis aurait dit à Sidya Touré qu’il était d’accord que la manifestation ait lieu, mais qu’il avait deux points qu’il voudrait discuter avec lui. « Le capitane Dadis a estimé qu’à partir du moment où la date du 28 septembre était une date historique qui est réservée à la mémoire des Guinéens, comme étant une fête qui a permis de recouvrer la fierté, il souhaitait que l’on épargne cette date des conflits liés à des protestations, à des manifestations, qu’il agrée toute autre date que les organisateurs choisiraient. Deuxième chose, il a demandé de délocaliser la manifestation vers le stade de Nongo. Parce que le stade de Dixinn était en rénovation, en prélude d’un match international qui devait s’y jouer. Monsieur Sidya Touré a expliqué que l’heure était un peu tardive et qu’il ne pouvait pas discuter avec ses co-organisateurs pour les convaincre d’un report de la manifestation. Il voulait rassurer le capitaine Dadis que la manifestation était pacifique. Le capitaine a insisté sur sa demande. Au moment de la conversation, le téléphone s’est coupé. Deuxième appel, ils ont discuté les mêmes choses face au même blocage, le téléphone s’est coupé. J’ai rappelé, mais le téléphone était éteint. Nous avons tenté de joindre d’autres leaders, coïncidence, les téléphones étaient éteints. Puisqu’on n’arrivait plus à joindre personne. J’ai vu que le capitaine était déçu de n’avoir pas trouvé d’accord. Mais il y avait de l’espoir, parce que les leaders religieux devaient prendre la relève. Je suis rentré chez moi ».  

« J’ai trouvé le capitaine Dadis, les mains sur la tête »

Tibou Kamara est largement revenu sur la journée du massacre. « Dans la matinée du 28 septembre 2009, je dormais lorsqu’un oncle qui avait ses bureaux en ville est venu à mon domicile et a demandé de me réveiller, parce que des choses graves se passeraient en ville. Il m’a expliqué qu’il avait l’intention d’aller à son bureau, mais il n’a pas eu accès à la ville, parce que les premiers incidents de la manifestation des forces vives s’étaient déjà produits. Qu’il avait des craintes d’une déflagration, tant la tension était vive. A partir de là, j’ai écouté la radio. Avec les appels de certains amis, j’ai pu suivre l’évolution de la situation jusqu’à la tragédie. Enfin de journée, j’ai été appelé par le capitaine Dadis, pour me demander si je pouvais le rejoindre au camp. Je lui ai dit que j’ai bien le désir de me rendre au camp, mais la circulation est coupée, je ne pouvais pas prendre le risque de sortir dans un mouvement où il y avait de fortes tensions. Il a envoyé le colonel Issa Camara, qui était le gouverner de Mamou, venir me chercher avec des agents, dans un véhicule. Lorsque je suis arrivé au camp Alpha Yaya, j’ai trouvé le capitaine Dadis Camara dans un couloir, les mains sur la tête. Il s’est écrié : ‘’Tibou, tu as vu ce qu’on m’a fait ? Est-ce que tu as vu ce qu’on m’a fait ?’’ J’étais un peu surpris, parce que c’est une des rares fois que je l’ai vu dans une position de faiblesse.  Il était littéralement dévasté. Je n’avais pas de mots… »

Mamadou Adama Diallo