L’incendie, la nuit du 17 au 18 décembre, du dépôt central d’hydrocarbures de Kaloum a fait une vingtaine de morts, des centaines de blessés et anéanti les capacités de stockage d’essence du pays, l’exposant à une crise économique. Quelles sont les pertes subies ? Comment sortir de la crise ? Où en sont les projets de délocalisation des dépôts de car-brûlant hors des centres urbains ? Amadou Doum-bouillant, dirlo général de la SONAP (Société nationale des pétroles) qui est l’importatrice exclusive des produits pétroliers en Guinée, en parle dans cet entretien à bâtons rompus.
Le Lynx : Comment avez-vous appris la funeste nouvelle de l’explosion du dépôt central ?
Amadou Doumbouya : Avant tout, mes condoléances aux familles éplorées. Que Dieu accepte l’âme des victimes au paradis. Personne ne va le matin au travail en se disant qu’il ne rentrera pas le soir. Ce n’est qu’après l’onde de choc que je pourrais véritablement décrire les circonstances. Je l’ai dit dans mon discours de prise de service, le président de la transition l’a également toujours répété : ce dépôt a été construit à une période où Conakry n’était pas ce qu’elle est. La capitale s’est agrandie. Il était crucial que ce dépôt bouge de sa place.
C’est ainsi qu’on a attiré des projets de délocalisation, en commençant par celui de Kodiaran (dans la préfecture de Mandiana, ndlr). Depuis un moment, on a fini les négociations, les aspects techniques, l’accord de principe sur la partie financière. J’étais dans l’esprit de celui de Moribaya, qu’il fallait débuter parce que le projet a trop retardé et pour de raison sécuritaire, lorsqu’on m’a informé vers minuit que le dépôt central a explosé. J’ai cru que c’était un rêve.
Quel est à ce jour le bilan des pertes ?
C’est impossible de les chiffrer. Je parle sous le contrôle de la SGP (Société guinéenne des pétroles) dont je suis le président du CA et qui se trouve sous la tutelle de la Sonap. C’est elle qui gère le dépôt, la Sonap n’en est que le régulateur. Nous commandons le carburant, eux font l’entreposage. La SGP a perdu des collaborateurs.
Par mois, nous pouvons importer jusqu’à 150 millions de dollars en carburant. Tout cela n’a pas bien sûr été impacté. Ce sont les stocks d’essence et surtout de jet qui ont été consumés. Ce qu’on peut estimer à entre 40 et 50 millions de dollars. Les pertes concernent aussi les infrastructures : du bâtiment administratif, il ne reste aucune trace. Ont été également brûlés, d’autres bâtiments adjacents, des véhicules, du matériel…On ne peut pas chiffrer les pertes avec exactitude.
On parle de 13 bacs qui ont explosé…
Oui. C’est environ 30 mille mètres cubes d’essence ; 6 à 7 000 mètres cubes de jet. Un bateau pétrolier était à quai au moment de l’explosion.
Qu’est-ce qui a été à l’origine de l’explosion ?
Les enquêtes le détermineront.
Quelle est la demande nationale en carburant ?
Nous consommons entre deux millions et 3,5 millions de litres d’essence par jour et jusqu’à cinq millions de litres en gasoil, parce que la Guinée est un pays minier ; le secteur minier s’agrandit.
A quoi faut-il s’attendre ?
Vous avez remarqué que tout est fermé. Ce sont des pertes économiques. Tout est au ralenti. A la Sonap, on n’a pas la formule magique. Mais nous étudions les voies et moyens de trouver rapidement du carburant et le distribuer. Je n’aime pas en parler tant que ce n’est pas concret. L’équipe technique travaille dessus. En attendant qu’elle termine, il n’y a pas de solution fixe.
Néanmoins, quelles sont les pistes de solution possibles ?
A long terme, c’est reconstruire le dépôt, réaliser ceux projetés. A court terme, nous avons reçu les aides des pays voisins. A moyen terme, nous étudions ce qu’il faut mettre sur place pour faire un dépotage ne serait-ce que partiel. Si nous avons des accords avec nos voisins, il faut admettre que les coûts économiques et le temps de transport sont un peu élevés.
Faites-vous allusion à la Côte d’Ivoire ?
Pas seulement, il y a la Sierra Leone, le Sénégal, le Liberia et tous les autres. Il n’y a pas de restrictions entre nous. Nous avons envoyé du carburant au Mali, au nom des relations de bon voisinage. Nous sommes en contact avec beaucoup de pays.
C’est quoi les perspectives de la Sonap ?
Pour moi, le projet le plus important est d’avoir un dépôt. C’est devenu une urgence. Cela relègue au second plan d’autres projets qu’on avait. Ma priorité, l’année prochaine, était de me consacrer davantage sur la recherche pétrolière. Nous sommes beaucoup en retard dans ce domaine. Mes priorités changent maintenant.
S’agit-il de délocaliser le dépôt ou de reconstruire un stock provisoire ?
Les deux. Il faut qu’on délocalise le dépôt, c’est devenu une urgence nationale. En même temps, il faut trouver une solution provisoire pour pouvoir stocker notre carburant ici. Cela serait plus économique que d’aller chercher ailleurs.
Pour revenir aux projets de constructions de dépôts de carburant à Moribayah et Kodiaran, où en sommes-nous ?
Celui de Kodiaran est à 30%. Pour Moribayah, on est au niveau administratif qui devrait s’achever dans une à deux semaines. Après, nous entamerons directement la construction. En terme de temps, cela demande trois ans et demi ; de l’argent ; de bitumage de route… J’espère qu’on ira plus vite.
Interview réalisée par
Diawo Labboyah