Le 18 janvier dernier, nous avons publié la première partie de cet entretien. Dans cette seconde et dernière partie de l’interview exclusive qu’il nous a accordée, le ministre de l’Enseignement technique, de la formation professionnelle et de l’emploi explique l’intérêt grandissant pour les écoles de métiers. Si le budget accordé à son département reste modeste, Alpha Bacar Barry se réjouit de l’appui des partenaires techniques et financiers étrangers, annonce la construction prochaine de dix lycées techniques à travers le pays.

La Lance : Que faites-vous pour promouvoir les compétences des diplômés de l’enseignement technique ?

Alpha Bacar Barry : Nous avons entrepris trois actions. On a créé la Direction nationale de l’emploi et de l’entrepreneuriat, chargée de créer des curricula pour l’ensemble du système. Nous avons lancé un projet spécifique appelé Allo, maître ! Ce sont des espaces collaboratifs de métiers, où s’inscrivent les sortants. Une sorte de coopérative que vous pouvez contacter en appelant le 1010. Si vous avez besoin d’un maçon, la coopérative va vous en désigner un de notre système qui viendra intervenir chez vous.

Etes-vous sûr qu’il y a un répondant au bout du fil à tout moment ?

Il y a des hauts et des bas. Mais les conteneurs existent sur le terrain, avec des gens qui assurent la permanence, vous accueillent et répondent à vos sollicitations. Cette année, nous allons installer cinq conteneurs sur l’axe Hamdallaye – Kagbélen, d’autres, près des institutions d’enseignement technique. Cela va faciliter la transition école-entreprise pour nos apprenants.

Maintenant, il y a toute la question d’entrepreneuriat : s’installer à son propre compte, avoir accès à un premier crédit d’équipement que nous allons adresser à la Direction nationale de l’emploi et de l’entrepreneuriat, cette année.

Vous vouliez dès le départ intéresser les élèves/étudiants à l’enseignement technique. Avez-vous le sentiment d’avoir réussi ?

Nous sommes débordés maintenant. Nous avons amélioré l’accès, la facilité de s’inscrire dans le métier de son choix, à partir du téléphone. Ce n’est plus parce qu’on a échoué à aller à la fac qu’on s’oriente dans l’enseignement technique. Nous nous voyons obligés de limiter les acceptations à nos capacités d’accueil, pour éviter la pléthore. On a fait un bond de 18 % entre l’année dernière et cette année. Nous sommes aujourd’hui à vingt-six mille apprenants, pour 120 000 demandes. Nous avons dû instaurer un concours, pour devenir plus sélectifs : désormais, il faut forcément avoir le bac pour intégrer les ERAM. Nous avons durci les critères au niveau des écoles de santé et de l’ENSAC (Ecole nationale de secrétariat, d’administration et de commerce), pour pousser les gens à aller vers le CEED, les Ecoles nationales d’agriculture et d’élevage, l’ENATEF (Ecole nationale des agents techniques des eaux et forêts)…

Et l’engouement ne faiblit ?

Chaque année, six mille diplômés d’université viennent s’inscrire pour un autre diplôme qui donne plus facilement de l’emploi. Cette année, nous sortirons le premier bulletin des données sur les questions d’emploi. Nous sommes en train de les collecter via la plateforme Servir Guinée qui réunit les statistiques sur les primo-demandeurs d’emplois, les offres de formation…

L’intérêt pour l’enseignement technique se reflète-t-il dans le budget du département ?

Nous n’avons pas enregistré des avancées significatives au niveau du Budget national d’investissement. Mais nous avons fait un bond important auprès des partenaires techniques et financiers extérieurs. Nous avons eu 25 millions de dollars cette année pour construire deux nouvelles ERAM à Kindia et Mamou, financées par la Banque islamique de développement ; 26 millions d’euros de l’Union européenne pour qualifier l’enseignement technique et créer de l’emploi. Nous sommes en passe de finaliser un prêt avec les Anglais UKEF (United Kingdom export finance), d’un montant de 120 millions de dollars pour la construction de dix lycées techniques. C’est ce qui nous manque dans le système d’enseignement pour aiguillonner les enfants du lycée vers les Centres de formation professionnel, nourrir les ERAM d’apprenants qui ont déjà connu un début de formation. Ce sont des lycées dédiés aux branches techniques : des écoles d’ingénierie et même les classes préparatoires aux grandes écoles. L’accord de prêt est finalisé à 90 % ; les sites sont identifiés, les études d’impact faites.

Le budget national de l’enseignement technique est d’environ 400 milliards de francs. L’ensemble du secteur éducatif compte pour 14 à 15 % du Budget national. Mais les deux autres départements ont la plus grande part : celle du MENA a environ 1 800 milliards ; l’Enseignement supérieur un peu plus de 2000 milliards, si je ne me trompe. Ou l’inverse. Soit une différence de plus de 1000 milliards avec l’Enseignement technique. Notre objectif est que l’intérêt national reflète notre budget, en passant à au moins 700 milliards de francs dans la Loi des finances rectificatives. C’est un processus assez compliqué et long, eu égard à la taille des ressources nationales.

Quelles sont les perspectives ?

Consolider les acquis, réformer l’AGUIPE (Agence guinéenne de promotion de l’emploi) afin d’en faire un véritable instrument de création d’emplois ; introduire le digital à tous les niveaux d’enseignement pour gagner en temps, argent et qualité ; améliorer le dialogue avec le secteur privé. Avant, les miniers prenaient les devants en faisant leurs propres écoles. Nous voulons que le système d’enseignement existant forme pour le secteur. Consolider les acquis veut dire aussi harmoniser la formation avec les besoins du secteur privé, continuer la formation des formateurs, investir massivement dans l’ENPT (Ecole nationale des postes et télécommunications). L’ENSAC existe depuis longtemps, forme des cadres moyens dans son secteur, mais de façon analogique. Nous l’avons dotée de 150 ordinateurs et de logiciels, pour basculer vers l’enseignement digital.

Interview réalisée par

Diawo Labboyah Barry