Dans ses récentes sorties médiatiques, le PM Amadeus Oury Bah a abordé divers sujets de la vie nationale. Outre la politique, ses annonces mirobolantes sur l’imminente transformation économique de la Guinée par son secteur minier paraissent exagérées, aux yeux des experts.

C’était le 11 avril 2022. Sept mois après le putsch du CNRD, le Prési de la transition somme les entreprises minières de mettre en place un mécanisme de transformation locale de la bauxite en alumine. Depuis, le sujet semblait en retrait, jusqu’à ce 18 mai, quand le Premier ministre révèle que « nous avons déjà une raffinerie qui est en voie de construction du côté de Kamsar avec Alteo, avec des intérêts de l’Union européenne et de la France, qui va transformer la bauxite en alumine. »

Sans donner plus de détails, Amadeus Oury Bah s’extasie que « le bassin industriel qui va se créer à ce niveau-là est prometteur pour les années à venir ». Incha’Allah ! Mais, ce qui divise en premier les spécialistes des grises mines est l’effectivité du démarrage des travaux annoncés par le locataire du Palais de la Colombe. 

Des spécialistes circonspects

Selon l’économiste consultant, Mohamed Cas-marrant, les compagnies minières ont effectué des études de faisabilité. Toutefois, seule la société UMS (qui a racheté une filiale d’Alteo France) a commencé l’aventure. « Sa raffinerie à Kamsar avance à grands pas. Selon les projections, les travaux devraient être finalisés en 2026 au plus tard, pour être opérationnels en 2027 », abonde-t-il. L’économiste fonde son optimisme sur la volonté des autorités d’industrialiser la Guinée, en transformant sa bauxite. Mohamed Cas-marrant rappelle le décret présidentiel qui a érigé cette ambition en projet d’intérêt national. « Tous les obstacles qui sont du côté de l’État ont été levés, pense-t-il. La raffinerie va commencer avec 2 millions de tonnes. C’est plus de 1,7 milliard de dollars d’investissements que la compagnie va réaliser. »

Mais l’État doit y participer, rappelle, mesuré, Oumar Totiya Barry, dirlo de l’Observatoire guinéen des mines et métaux. « L’information vient du Premier ministre, sauf que cela ne se matérialise pas sur le terrain, relève l’expert. Nous savons qu’il y a depuis un moment des discussions entre le gouvernement et le groupe Alteo racheté par UMS. Ils envisagent de construire une raffinerie dans la zone de Kamsar. Des discussions étaient engagées avec le gouvernement, mais nous n’avons pas remarqué le démarrage des travaux de construction sur le terrain. » Version confirmée par une source proche de l’entreprise. « Réunir 1,5 million de dollar dans la situation actuelle du pays n’est pas aisé, rappelle-t-elle. Les bailleurs sont parfois frileux, mais le projet est en bonne voie. Les travaux pourraient démarrer dans environ un an. »

Pour l’enseignant-chercheur, les obstacles sont nombreux et compliquent la mise en place des raffineries sur lesquelles la Guinée compte pour améliorer ses revenus miniers. Et tout dépend des clauses signées avec les miniers qui n’ont consenti que du bout des lèvres. « Quand vous regardez la partie concernant la construction des infrastructures, c’est écrit, je paraphrase juste : les parties regarderont au moment opportun la possibilité de construire des raffineries. Vous voyez que c’est très subtil », fait remarquer Oumar Totiya Barry.

L’énergie et la géopolitique, un frein ?

L’investissement colossal que requiert la construction des raffineries est un obstacle parmi d’autres, s’accordent par ailleurs les spécialistes. Faire fonctionner les usines si elles voient jour est aussi un grand défi à relever. Pour ce qui est de Kamsar, explique Mohamed Camara, « il lui faut trouver une solution. Pour faire la raffinerie par le procédé bailleur, c’est la technologie que propose UMS, il faut de l’eau, de la bauxite et de l’énergie. Pour 5 tonnes d’eaux, une tonne de bauxite, il faut 0,5 mégawats d’énergie. Le besoin est à plus de 2,7 terras : la consommation de tout Conakry ! » Le déficit énergétique s’est accru depuis l’incendie du principal dépôt d’hydrocarbures de Kaloum. A Cona-cris, même les ménages n’arrivent pas à couvrir leurs besoins en électricité.

L’autre question à ne pas occulter, renchérit Oumar Totiya Barry, est la géopolitique. Selon ce membre de l’ONG Actions mines Guinée, les entreprises qui exploitent et exportent la bauxite guinéenne sont les mêmes qui contrôlent les mines ailleurs dans le monde. Construire des raffineries en Guinée, c’est tarir la source d’approvisionnement en matières premières de ces unités industrielles implantées à l’étranger. « GAC a sa raffinerie à Dubaï. Si elle en construit à Sangarédi, elle sera obligée de fermer celle de Dubaï. SMB a des raffineries en Chine, construire une en Guinée, c’est risquer la fermeture de celle en Chine. À CBG, vous avez Alcoa qui a une raffinerie aux États-Unis. En Guinée, le secteur minier est une forme d’intégration très verticale : les entreprises minières sont là pour chercher de la matière première, elles ont leurs propres usines. C’est très complexe d’insérer une usine dans cette chaine verticale », analyse-t-il.

Le PM Amadeus Oury Bah s’est également montré optimiste quant à l’exploitation prochaine du Simandou, censée sortir la Guinée de son économie de rente : « Ce qui est le plus majestueux, c’est le projet Simandou qui, d’ici à un an et demi, permettra à la Guinée d’avoir entre 2 et 3 milliards de dollars de revenus par an », jubile-t-il.

Toutefois, les deux consultants se réservent de commenter ces chiffres, vu le mystère qui entoure, depuis deux ans, les accords renégociés entre l’État guinéen, Rio Tinto et Winning Consortium Simandou. Sans compter que le projet perpétue l’économie de rente : « En fait, c’est la terre brute, le fer, qui va être exporté vers l’étranger. Ce n’est pas de l’acier qu’on va fabriquer en Guinée. Déjà, la Guinée est fortement dépendante de la bauxite. On va passer de la dépendance de la bauxite à celle du fer », nuance Oumar Totiya Barry. Autant conclure que l’ambition du PM Amadeus Oury « de faire de la bauxite pour la Guinée ce qu’est le pétrole pour l’Arabie Saoudite » n’est pas pour demain. 

Diarouga Aziz Balde