Dans les milieux de gens peu avertis comme dans celui des gens instruits et cultivés, les espèces sonnantes et trébuchantes générées par le processus de transformation des minerais, ont un relent satanique, diabolique. Ceux qui construisent leurs fortunes sur ces ressources ont, au préalable, conclu un pacte avec le diable qui en est le propriétaire et qui peut toujours s’en réapproprier et frapper l’usufruitier indélicat qui ne respecterait pas les clauses du deal satanique. Dans ces milieux, on cite abondamment les faits illustratifs. On rappelle des noms de personnes qui, dans des villages ou villes proches ou lointains, ont connu une richesse fabuleuse, une opulence ostentatoire qui s’est évanouie miraculeusement, comme un château de cartes.
Cette croyance est développée à l’échelle de l’Etat, sur la base de quelques observations empiriques. L’exemple le plus fréquemment cité est celui de la République Démocratique du Congo (RDC). En dépit d’un fabuleux potentiel minier, ce vaste pays demeure l’un des pays les plus pauvres de la planète, vivant par ailleurs dans une grave insécurité endémique. Les guerres y sont récurrentes. D’aucuns volontiers, évoquent le cas de notre pays dont le taux de croissance et l’indice de développement humain durable (IDH) sont loin d’être à la hauteur de son impressionnant potentiel minier. Ce paradoxe étonne les Guinéens et les spécialistes des questions de développement humain durable. Comment ce pays de cocagne peut-il se vanter dans l’indigence ? N’est-il pas frappé de malédiction, s’interrogent-ils alors ? Qui a donc jeté ce sort maléfique à ce pays que tout destine pourtant à un avenir radieux ? L’interrogation devient davantage lancinante lorsqu’on constate qu’à côté, la Côte d’Ivoire qui a organisé sa croissance et son développement sur l’agriculture, est plus resplendissante. L’idée que la prospérité industrielle et à l’échelle des Etats, générée par les ressources minières est satanique et profondément ancrée dans les croyances africaines qui la distillent à travers les générations, déjà à l’époque précoloniale, donc avant l’industrialisation de l’exploitation minière. Les contes et légendes qui égayaient les soirées familiales et dont les enfants raffolaient, en étaient les relais didactiques.
La légende de «l’or de Karibi» dont se souviennent, sans doute, les sexagénaires et les septuagénaires, témoigne de pérennité. C’est une magnifique narration qui relate la mésaventure de Karibi que fascinait extraordinairement l’or. Il en voulait en quantité, en quantité et encore en quantité. Il se rendait dans la forêt des diables pour supplier ces drôles d’êtres funestes de lui en donner. Un jour, pendant qu’il s’épanchait en prières dans la brousse, un diable apparut, lui fit la proposition suivante. « Tu auras tout l’or que tu voudras, mais sache que tes enfants naîtront en souffrant chacun d’une infirmité liée à l’or. » Il acquiesça et ses enfants naquirent qui avec un œil fermé par une pièce d’or, qui avec une oreille bouchée par une pièce d’or, qui avec la bouche fermée par une pièce d’or, etc. Il n’eut ainsi que des handicapés dans sa famille, constituant un lourd fardeau. De bonheur, il n’en eut point ! Comme quoi, la légende funeste de l’opulence liée aux substances minérales n’est pas d’hier. Ces ressources ne peuvent certainement constituer une opportunité que si elles sont gérées par un capital humain vertueux.
Abraham K. Doré