Depuis des décennies, de nombreux Guinéens crédules ont été happés par le poison de l’ethnicité. Les appartenances ethniques lient et dominent les raisonnements, limitant ainsi la réflexion collective à cette seule dimension.

Une stratégie silencieuse et dévastatrice

L’ethno-stratégie de l’élite guinéenne, rarement discutée ouvertement et souvent mise sous le boisseau, a progressivement gangrené l’appareil d’État. Il est courant d’entendre certains Guinéens affirmer que des hommes politiques d’une certaine ethnie ne gouverneront jamais la Guinée. Cette vision a été renforcée par des déclarations publiques, comme celle de l’actuel ministre de la Défense, Aboubakar Sidiki Camara, qui, lors de la 15ème édition du 72h du livre de Conakry les 23, 24, 25 avril 2023, prétendait que « les Peuls sont arrivés en Guinée après l’éclatement de l’empire du Macina », c’est-à-dire en 1862. La naissance du Royaume théocratique du Fouta-Djalon date pourtant de 1725 après la bataille de Talansan, sans parler du royaume de Koli Tenguella au début du 16ème siècle dont les vestiges de la capitale existent toujours à Guemé Sangan, localité de Sinta, dans Télimélé, ou des Poulli animistes dont la présence au Fouta-Djalon est attestée dès le 12ème siècle. Il a également affirmé qu’« il n’y avait que deux composantes ethniques en Guinée : les Mandingues et les Peuls », en assimilant toutes les autres ethnies aux Mandingues. Les Peuls sont ainsi comparés aux Tutsis du Rwanda et aux Massaïs du Kenya et seraient originaires d’Éthiopie, une façon de les rendre étrangers dans leur propre pays. Plus grave encore, il a déclaré : « quand on est un invité, on ne devrait pas prétendre gouverner. » Il s’agit d’une référence directe aux Peuls, peu importe la fausseté de ses affirmations, surtout pour une table ronde dont le thème était censé être « Armée Nation ». Le but recherché est d’asseoir publiquement une croyance collective qui était jusque-là en sourdine.

Un héritage de divisions et de conflits

La violence dans la vie politique guinéenne n’est pas apparue ex nihilo. Elle occupe un rôle prépondérant dans la mise en place des pouvoirs politiques et est bien documentée (voir l’article sur ce blog : Le rôle de la violence dans la mise en place des pouvoirs politiques en Guinée). Tout au long des deux premiers régimes des présidents Sékou Touré et Général Lansana Conté, c’est-à-dire une cinquantaine d’années, la Guinée a vécu une succession de purges avec des dizaines de milliers de victimes mortes, emprisonnées et des millions d’exilés. La transition chaotique du CNDD à la mort du général Lansana Conté en 2008 et son corollaire de victimes mortes, blessées, emprisonnées, violées avec les événements du 28 septembre 2009, faisait suite à cette gangrène des crimes d’État. Le capitaine Moussa Dadis Camara voulait se maintenir au pouvoir par le recrutement ethnique dans l’armée.

Le « complot peul » ou « Sheitane 1976 » et les trois discours du président Sékou Touré, le fameux « Wo fatara » du général Lansana Conté en 1985, les propos des tueurs du 28 septembre 2009, le « 3 contre 1 » (alliance politico-ethnique négociée et conclue par le RPG avec les coordinations régionales des régions naturelles à l’exception du Fouta-Djalon), les accusations d’empoisonnement de l’eau par les Peuls lors des élections présidentielles de 2010 et les violences qui s’en sont suivies, les propos d’Alpha Condé lors des élections présidentielles de 2020, sont autant de preuves que l’ethnicité a été instrumentalisée au plus haut niveau de l’État, du gouvernement et des partis politiques. Cet environnement toxique a essaimé dans les masses populaires, dont la plupart sont analphabètes. Il a contribué à l’échec du président Alpha Condé, qui a dû composer avec les caciques du régime Conté, souvent accusés de détournement de fonds publics, et les acteurs des événements tragiques du 28 septembre, dont certains sont actuellement jugés.

L’armée au service de l’ethnie

Cette stratégie ethnique a également infiltré l’armée. Chaque chef d’État a recruté et promu les membres de sa communauté, réservant pratiquement toute la chaîne de commandement et les unités d’élite aux membres de son ethnie. La garde présidentielle fondée par Lansana Conté dans les années 80 avec l’aide de la France était composée à 85 % de Soussous, tandis que les forces spéciales créées par Alpha Condé sont majoritairement Malinkés dans les mêmes proportions. Les jeunes recrutés par le CNDD étaient très majoritairement issus des ethnies forestières au point qu’on parle d’eux comme la milice de Kaléya. Le dernier recrutement du Comité National du Rassemblement pour le Développement (CNRD) et sa gestion de l’armée suivent cette même logique.

Conséquences désastreuses

Cette ethnicisation de l’appareil d’État, de l’armée et des partis politiques a réduit les élections à un choix basé sur l’ethnie et la région plutôt que sur des programmes politiques. Tous les partis politiques guinéens reposent sur des bases ethniques et régionales, et selon son appartenance ethnique, le rapport à l’État et à l’histoire du pays diffère. Ce phénomène explique en grande partie pourquoi la Guinée n’a jamais réussi à créer une nation unifiée.

Une situation explosive

Le CNRD incarne les conséquences de 65 ans de mensonges, de propagande absconse, de médiocrité, de tueries, d’impunité, de gabegie, de détournement de deniers publics et de violations systématiques des lois par les présidents, l’élite et les citoyens à tous les niveaux. Ce délitement de la nation et de l’État a donné naissance à une situation chaotique renforcée par une impunité notoire. Aujourd’hui, Mamadi Doumbouya et son régime sont perçus par la majorité des citoyens comme des usurpateurs sans aucun sens de l’État ni de responsabilité.

Une lueur d’espoir

Il est impératif de croire en un avenir meilleur, de s’organiser et de lutter contre le régime inique du CNRD pour les écarter de l’appareil d’État. L’espoir réside dans une prise de conscience collective et une action concertée pour éradiquer le poison ethnique qui gangrène le pays. Chaque Guinéen, au-delà de son ethnie, doit penser à ses besoins fondamentaux : subsistance, protection, affection, compréhension, participation, oisiveté, création, identité et liberté. Le reste n’est que propagande absconse et verbiage inutiles.

Alpha Bacar Guilédji 

« Écrasons l’infâme »