S’exprimant en marge de la session ordinaire du Parlement de la Cedeao à Abuja (Nigeria), Guy Marius Sagna n’a pas été tendre envers les autorités guinéennes. Le député sénégalais, du parti Pastef au pouvoir à Dakar, s’interroge sur les morts en Guinée, le retour à l’ordre constitutionnel et s’attire au passage les foudres du porte-parole du gouvernement, Ousmane Gaoual Diallo.
Debout à la tribune parlementaire de la Cedeao, le verbe haut tel qu’on le connaît, agitant les mains, le député du Pastef (Patriotes africains pour le travail, l’éthique et la fraternité) ne fait pas dans la dentelle. A l’écouter discourir, on croirait entendre un farouche opposant guinéen dépeindre la gouvernance du Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD), la junte aux commandes de la Guinée depuis la chute d’Alpha Condé le 5 septembre 2021. « On parle d’au moins 47 morts entre le coup d’État de septembre 2021 et maintenant. Je n’aimerais pas que cela arrive dans mon pays ni dans un autre. Cela doit nous préoccuper. Et le rapport (du Parlement de la Cedeao) est muet sur cet aspect-là. On ne parle pas de 47 poules, de chèvres mortes, mais de vies humaines ! J’aimerais que nos frères et sœurs de la Guinée nous disent est-ce qu’on a identifié, sanctionné les auteurs de ces crimes. Si on ne les sanctionne pas, vous-mêmes qui êtes assis-là, mes frères et sœurs de Guinée, vous êtes en sursis ; vos enfants, vos frères, cousins aussi ! Donc, j’aimerais que la délégation guinéenne nous dise comment peut-on tuer 47 personnes », déclare avec fracas Guy Marius Sagna, l’index en direction de ses homologues guinéens, membres du Parlement de la Cedeao.
Interrogations sur la mort de Sadiba Koulibaly
« Il y a beaucoup de manifestations qui sont réprimées, dont celles contre la récurrence des coupures d’électricité », renchérit-il, avant d’en venir au cas particulier de l’ancien chef d’état-major général des armées, qui était chargé d’affaires à l’ambassade de Guinée à Cuba jusqu’à sa mort le 22 juin, dans des circonstances troubles. « Le général Sadiba Koulibaly est mort en prison, mais c’est grave ! C’est dangereux ! Cela veut dire que tous les Guinéens peuvent mourir en prison ! Si on ne peut pas protéger la vie d’un général en prison, tous les Guinéens sont en sursis. Cela pose le problème des conditions carcérales. On dit qu’il a eu un traumatisme psycho-social, qui a occasionné une crise cardiaque…Mais ce traumatisme-là, les gens ne le voyaient pas ? Cela voudrait-il dire que les prisonniers guinéens n’ont pas de médecins qui puissent voir que celui-là est en train de mourir ? C’est quoi les conditions carcérales en Guinée ? C’était le numéro deux de la junte, ça fait peur ! » Et dire qu’on n’a toujours aucune nouvelle des responsables du FNDC, Oumar Sylla alias Foniké Menguè et Mamadou Billo Bah, une semaine après leur enlèvement nocturne par des hommes en tenue assimilés à des éléments des Forces spéciales.
« A quand les élections » ?
Le parlementaire sénégalais a été exhaustif dans l’égrainement des problèmes actuels dont font face les Guinéens, allant des questions des droits humains à celles électorales. « Qu’est-ce qui se passe en Guinée ? Quand est-ce qu’il y aura les élections en Guinée ? Les efforts, nous les notons, mais à quand l’élection présidentielle en Guinée ? Je pense qu’il faut que la Cedeao aille en Guinée », martèle-t-il, sans détour.
Un discours qui contraste avec les applaudissements nourris réservés à Mamadi Doumbouya par les partisans de la nouvelle mouvance au pouvoir à Dakar lors de la cérémonie d’investiture de Bassirou Diomaye Faye début avril. Guy Marius Sagna va-t-il refroidir les relations jugées étroites, depuis le changement de régime au Sénégal, entre Conakry et Dakar ? En tout cas, son réquisitoire a provoqué une levée de boucliers en Guinée.
Du berger à la bergère
Alors que les opposants à la junte, comme le Front national pour la défense de la constitution (FNDC), l’applaudissent des deux mains ; le gouvernement, par la voix de son porte-parole Ousmane Gaoual Diallo, le houspille. Il dénonce des propos « inadmissibles » qui « portent atteinte à notre délégation sur place, à nos institutions et à notre pays. Nous les condamnons fermement. »
Le ministre guinéen des Transports parle d’offense, d’accusations « sans preuves » qui sèment « la division et portent atteinte à la paix et à la stabilité » de la Guinée. « Notre pays traverse une période délicate et nous travaillons sur plusieurs axes, tant sur le plan sociopolitique qu’économique. Les efforts pour renforcer nos institutions se poursuivent : le procès du 28-Septembre 2009 et les journées de concertation nationale dans le cadre du dialogue politique inter-guinéen vont dans cette direction », s’enorgueillit Ousmane Gaoual Diallo, dans une déclaration faite depuis l’étranger.
Le porte-parole du gouvernement assure que les autorités guinéennes assumeront leur responsabilité pour « empêcher toute tentative de déstabilisation par des discours irresponsables. Ceux qui prétendent défendre nos intérêts mais utilisent des méthodes extrémistes ne trouveront aucun soutien. » Le ministre des Transports trouve que Guy Marius Sagna ne respecte pas les protocoles, encore moins la souveraineté des pays membres de la Cedeao. Même qu’il use de ses prérogatives de député au profit d’un agenda personnel, en semant la confusion dans l’esprit des Africains. Ce qui est contraire « à l’esprit de coopération et de respect mutuel que nous cherchons à promouvoir », conclut-il.
Sauf qu’à rembobiner le récent passé politique d’Ousmane Gaoual Diallo, il serait difficile de ne pas lui trouver le même tempérament que celui de Guy Marius Sagna. L’ex-opposant ne s’encombre pas, non plus, des protocoles.
Diawo Labboyah Barry