Deux journalistes et autant de chroniqueurs, tous réputés pour leur sens critique, ont disparu en l’espace d’un mois : Atiana Serge Oulon, Alain Traoré, Adama Bayala et Kalifaré Séré. Reporters sans frontières (RSF) dresse le portrait de ces professionnels de l’information enlevés en raison de leur métier de journaliste ou portés disparus depuis leur intervention dans des médias. Nous exhortons les autorités burkinabè à sortir de leur silence assourdissant.
 

Série noire pour les professionnels de l’information au Burkina Faso. Depuis le 19 juin, deux journalistes et deux chroniqueurs ont disparu, enlevés pour au moins trois d’entre eux par des individus armés selon les informations recueillies par RSF. Pour deux d’entre eux, des individus se sont présentés comme étant membres de l’Agence nationale de renseignement (ANR). 

Si le sort réservé à Atiana Serge Oulon, directeur de publication du journal L’Événement vraisemblablement enrôlé dans l’armée, ne fait plus grand doute depuis le discours d’Ibrahim Traoré aux “forces vives” de la nation, les proches des trois autres sont sans nouvelles depuis leurs disparitions. 
 
“Les enquêtes d’Atiana Serge Oulon ont permis de révéler des affaires d’intérêt public comme le manque de transparence dans l’armée. Alain Traoré a su créer une audience à travers son émission quotidienne qui informe et analyse l’actualité du Burkina Faso. Quant aux chroniques d’Adama Bayala et de Kalifara Séré, ce sont des rendez-vous très attendus par de nombreux burkinabés. Ces quatre professionnels de l’information sont perçus par les autorités comme des voix critiques et il est désormais clair qu’elles ont leur part de responsabilité dans leur disparition, ne serait-ce qu’en entretenant un silence assourdissant à leur égard et en manifestant une hostilité publique aux journalistes. Alarmée par la dégradation sécuritaire pour les reporters du pays, RSF exhorte le capitaine Traoré à ne pas s’enfoncer dans cette spirale de répression qui porte atteinte au droit à l’information de son peuple« , Sadibou Marong, Directeur du bureau Afrique subsaharienne de RSF.

Atiana Serge Oulon, journaliste d’investigation, L’Événement, 38 ans

Directeur de publication du bimensuel L’Événement depuis 2019, Atiana Serge Oulon est l’un des derniers journalistes burkinabè à oser traiter des sujets sécuritaires. En décembre 2022, le journaliste d’investigation de 38 ans publie ainsi une enquête sur des soupçons de détournement de fonds destinés aux Volontaires pour la défense de la patrie (VDP) par un haut gradé, qui lui vaut une audition par le tribunal militaire quelques semaines plus tard. “C’est un grand professionnel, mais la qualité de ses sources ont rapidement attiré les nouvelles autorités militaires”, estime un confrère proche d’Atiana Serge Oulon. Ses enquêtes sont récompensées à plusieurs reprises : le 29 juin à Ouagadougou, le journaliste recevait pour la quatrième fois le Prix de la lutte anticorruption dans la catégorie presse écrite. Atiana Serge Oulon a également écrit plusieurs livres, revenant notamment sur la montée du terrorisme et les deux récents putschs militaires. Serge Oulon a été enlevé à son domicile le 24 juin.

Alain Alain, rédacteur en chef, Omega Media, 49 ans

Alain Traoré, 49 ans, plus connu sous le pseudonyme d’Alain Alain, a vécu un enlèvement similaire d’après les informations recueillies par RSF. Deux individus armés et portant respectivement une cagoule et un cache-nez – accompagnés d’au moins trois personnes – se sont introduits au domicile du journaliste le 13 juillet à l’aube. Le rédacteur en chef du bureau “Langues nationales” du groupe de presse privé Omega Média anime “Le Défouloir”, une chronique quotidienne satirique pointant les dérives de la société et du pouvoir en place. “Sa famille, y compris ses enfants, sont régulièrement menacés par des sympathisants du pouvoir en place. Beaucoup ne comprennent pas que son émission ‘Le Défouloir’ est satirique,” assure un proche de celui qui a aussi travaillé pour la radio privée Horizon FM. Un confrère du groupe Omega, qui souhaite garder l’anonymat, salue “la dévotion et la grande maîtrise des différentes langues nationales” d’Alain Alain. 

Adama Bayala, chroniqueur, BF1, 44 ans

Adama Bayala a, d’après les informations recueillies par RSF, été enlevé en pleine circulation. Le chroniqueur, qui intervient chaque dimanche dans l’émission “Presse Échos” de la chaîne privée BF1, devait rejoindre un ami dans le quartier Cissin le 28 juin, peu après 14 heures. Ce dernier l’a attendu en vain. “Les enlèvements en pleine circulation permettent aux ravisseurs de donner de faux prétextes aux témoins, en appelant par exemple au voleur”, explique une rescapée de ces pratiques. À 44 ans, l’ancien journaliste du journal d’État Sidwaya est l’une des rares voix à critiquer le pouvoir en place. “Il avait déjà reçu des menaces via personnes interposées il y a six mois. Son poste dans la fonction publique a également été utilisé comme un levier de pression. Mais il n’a jamais arrêté ses interventions sur BF1”, témoigne un proche.

Kalifara Séré, chroniqueur, BF1

Autre commentateur phare de la chaîne BF1Kalifara Séré n’a jamais mâché ses mots à l’égard de la junte militaire du capitaine Traoré, en dénonçant notamment la disparition d’instances de protection des droits de l’homme dans le pays. Le 16 juin, dans l’émission “7 Infos”, l’ancien haut fonctionnaire remet en cause la véracité des images du chef de l’État donnant son sang deux jours auparavant à Ouagadougou. Il est alors auditionné dès le 19 juin par le Conseil supérieur de la communication (CSC), notamment pour avoir déclaré : “C’est l’État lui-même qui fait fabriquer des informations qui sont fausses”. Le chroniqueur n’a plus donné de signe de vie depuis sa sortie de l’audition. D’après le communiqué du CSC, il aurait reconnu avoir été “excessif dans ses propos lors de l’émission mais que son intention n’était pas de nuire”. Sa dernière intervention sur le plateau a depuis été supprimée de YouTube et l’émission “7 Infos” a été suspendue durant deux semaines, le jour même de la convocation. 

Le Burkina Faso occupe la 86e place sur 180 pays au Classement Mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2024.

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