Le 26 et le 31 juillet, la Guinée a connu deux faits majeurs : la présentation de l’avant-projet de nouvelle Constitution et la décision dans le procès des évènements du 28 septembre 2009. La condamnation d’El Dadis et Cie devrait amener la junte de Mamadi Doum-bouillant, venue au pouvoir probablement de bonne foi, à faire de la Guinée un véritable Etat de droit. En 2009, quand El Dadis cherchait à s’accrocher au pouvoir, votre satirique a publié dans son N° 907 du 31 août, page 7, deux articles. L’un justifiait « Pourquoi il faut que Dadis parte », le second évoquait « Les pouvoirs exorbitants » de nos dirigeants. Mais la Guinée de 2024 ressemble fort bien à celle de 2009. Le premier article de 2009 est…las !
« Transition : Pourquoi il faut que Dadis parte » (Le Lynx N° 907 du 31 août 2009, page 7)
En voyant les multiples comités de soutien au CNDD proliférer à grande vitesse dans le pays, en observant les regroupements des femmes de Guinée invitant avec insistance et force le capitaine Dadis à se déclarer candidat au prétexte qu’il serait le meilleur des Guinéens et en vivant l’activisme de tous les médiocres spécialistes de la flatterie et des faux intellectuels qui commencent à fournir les raisons de la poursuite du régime militaire, on est en droit de se dire que toute cette agitation est due à une méconnaissance grave des conséquences qui en découlent ou à une haine incompréhensible de la Guinée par ces gens-là.
Le premier groupe de ceux qui sont victimes, contre leur plein gré, des mystificateurs et que je considère de bonne foi mais dépourvus de la connaissance utile, est susceptible d’être aidé. A l’inverse, le second groupe est constitué de personnes dont la mauvaise foi est avérée et l’acharnement incompréhensible contre la Guinée est essentiellement génétique.
A l’attention du premier groupe, il est souhaitable de poser une démarche pédagogique dont le but est de montrer pourquoi la transition militaire doit s’achever, pourquoi un gouvernement civil issu du choix des populations est indispensable et pourquoi la Guinée n’a rien à gagner en étant isolée sur la scène internationale. Pour le deuxième groupe, l’argumentation selon laquelle la Guinée ne doit pas craindre « l’ingérence étrangère », on entend par ingérence étrangère les conseils des Etats-Unis et de l’Union européenne, relève d’un nationalisme obtus.
La deuxième argumentation développée complète la première et dit que la Guinée peut compter sur ses ressources budgétaires internes. Cette argumentation est non seulement fausse, mais dangereuse et fondée sur l’ignorance que les ressources propres du budget de l’Etat ne financent que 60% des dépenses prévues.
La troisième argumentation suppose que l’intégrité, la compétence, le patriotisme et la loyauté soient des vertus naturelles des militaires. Cette argumentation est contredite par le bilan des 24 années de gestion du Général Lansana Conté qui a sécrété une oligarchie militaire compétente en prédation à échelle industrielle.
Mais revenons à la démarche pédagogique nécessaire au sauvetage des égarés du premier groupe. A ceux-ci, il faut donner les indications suivantes:
Pour résoudre les besoins énergétiques de la Guinée pour une durée de 20 ans, les spécialistes les plus optimistes pensent qu’il faut mobiliser au moins 500 millions de dollars des Etats-Unis, soit 250 milliards de francs guinéens.
Pour résoudre les besoins en construction de routes (besoin prioritaire exprimé dans le DSRP2), les ingénieurs pensent qu’il faut au moins 2 milliards de dollars, soit 10 000 milliards de francs guinéens soit 2 fois et demi le budget national. A côté de ces deux grosses priorités, il faut plusieurs centaines de millions de dollars pour doter nos universités, lycées, collèges et écoles primaires d’infrastructures fiables aptes à faire de l’école la priorité des priorités.
Des efforts financiers importants sont aussi nécessaires pour doter le pays d’un système de santé remplissant décemment et convenablement sa mission.
La première catégorie remarquera que je n’ai pas parlé de l’agriculture, de la pêche, de l’élevage, des affaires sociales, des sports, de l’environnement, de la sécurité, de la justice et de l’armée. Tous ces secteurs et bien d’autres sont des gouffres à sous.
De même, il est bon que cette catégorie sache que malgré les dégâts causés par les gouvernements successifs de feu le Général Lansana Conté, les objectifs macro-économiques fixés dans le cadre d’un programme avec le FMI et la Banque Mondiale étaient sur le point d’être atteints. Le dossier Guinée était programmé à l’examen du Conseil d’administration du FMI dans la première quinzaine de janvier 2009. Si le Président Lansana Conté avait reporté sa mort au 31 janvier 2009, le dossier Guinée aurait été approuvé et la Guinée aurait pu bénéficier des avantages suivants :
-l’annulation de 80% de la dette extérieure, soit 2,4 milliards de dollars
-l’effacement du service de la dette dans les dépenses budgétaires annuelles de l’ordre de 100 millions de dollars, soit 500 milliards de francs guinéens. Cet allègement constitue autant de recettes budgétaires à affecter par exemple à la résolution de l’approvisionnement de la Guinée en eau potable (50 millions de dollars) et de la réalisation des infrastructures universitaires et lycéennes décentes (50 millions de dollars).
Si Lansana Conté avait accepté de reporter sa mort au 30 juin 2009, et que le dossier Guinée soit soumis aux bailleurs de fonds et que la discipline budgétaire soit maintenue, la Guinée aurait pu mobiliser plus de 400 millions de dollars. Si les résultats et la discipline budgétaire étaient renforcés et pérennisés, la Guinée aurait obtenu d’autres résultats macroéconomiques tels que la maîtrise de l’inflation et le désendettement de l’Etat.
Mais tout cela n’a pas eu lieu parce que Lansana Conté est mort le 22 décembre et l’armée a pris le pouvoir le 23 décembre en s’engageant à organiser des élections dans un bref temps.
Si cet engagement avait été respecté, le nouveau gouvernement aurait pu bénéficier des avantages ci-dessus énumérés avec en plus, la prime à la démocratie qui aurait aidé à doter le pays en infrastructures viables. C’est cet avantage qui a permis au Mali de mobiliser plus de 3 milliards de dollars américains. Ce n’est pas magique, ni sorcier. Mais faut-il le savoir.
Ceux qui veulent entraîner le pays dans la dérive en soutenant une poursuite du pouvoir militaire, font perdre à la Guinée toutes ces chances. Est-ce qu’ils savent ce qu’ils font ? Peut-être s’ils le savaient, ils n’auraient pas privilégié leurs intérêts modiques en francs guinéens qui leur permettent juste de manger du riz et de jouer avec leurs maîtresses. La Guinée n’est-elle pas plus importante ?
Karim Ismaël