Alors que la problématique des violences basées sur le genre prend de l’ampleur ces dernières années dans le pays, cette jeune activiste a décidé de combattre ce fléau, sur le terrain et auprès des instances de son pays.
Propos recueillis par Tierno Monénembo
Portrait de Kadiatou Konaté, cofondatrice du Club des jeunes filles leaders de Guinée, présent dans les huit régions administratives de la Guinée.
Les violences sexuelles sont une problématique majeure en Guinée. Le pays est connu pour être le deuxième en Afrique à pratiquer le plus les mutilations génitales féminines (MGF), alors que la loi l’interdit. Les mariages forcés y sont aussi très nombreux. Le viol est resté longtemps un sujet tabou et moins documenté, mais la parole se libère depuis quelques années, sous l’impulsion de femmes et d’organisations de la société civile. À 23 ans, Kadiatou Konaté a déjà une vie bien remplie. En 2016, cette jeune Guinéenne a cofondé avec quelques amies le Club des jeunes filles leaders de Guinée, une ONG vouée à la lutte contre les violences faites aux femmes, dont elle est devenue la présidente de 2021 à 2023. À ce titre, Kadiatou Konaté a reçu de nombreuses distinctions (dont le prix AllAfrica du leadership féminin et le prix de meilleure ado 2020 du journal français L’Actu) et a rencontré des personnalités aussi éminentes que Michelle Obama et Melinda Gates et la présidente de l’Éthiopie. Aujourd’hui, les Guinéens la citent en exemple.
Bottom of Form
Le Point Afrique : Selon EDS (Enquête démographique de la santé), la Guinée détient le taux d’excisions le plus élevé au monde après celui de la Somalie (95 %) et huit femmes sur dix affirment y subir des violences conjugales. Bref, la situation de la femme dans votre pays n’est pas des plus reluisantes…
Kadiatou Konaté : En effet, le Global Gender Gap Index du Forum économique mondial, qui mesure la parité entre les sexes en matière de participation économique, d’opportunités, de niveau d’éducation, de santé et de survie, et d’autonomisation politique, classe la Guinée au 137e rang sur 146 pays en matière de respect des droits des femmes dans le monde. Une statistique qui vient montrer la triste réalité des conditions de vie des jeunes filles et femmes en Guinée, même s’il y a des avancées que nous pouvons voir à travers le pays
Pour rappel, toujours selon EDS, en 2018, 54 % des filles et femmes sont victimes de mariages d’enfants, 95 % des filles et femmes dont l’âge varie entre 14 et 49 ans ont déjà subi l’excision et 39 % des enfants avant 14 ans ont également subi la même pratique. Les cas de violences sexuelles, spécifiquement de viol, prennent de plus en plus d’ampleur et 70 % des viols concernent des filles de moins de 12 ans.
C’est bien cela, les défis sont nombreux, pour ne pas dire insurmontables. Pouvez néanmoins, sinon dresser un bilan, du moins indiquer une tendance ? La courbe de l’excision a-t-elle baissé, les mariages forcés ont-ils sensiblement reculé depuis huit ans que vous agissez sur le terrain ?
Oui, les chiffres du mariage forcé se sont nettement améliorés. Les statistiques le prouvent. Selon EDS, le taux était de 63 % en 2012, puis de 54 % en 2018 et maintenant de 46 %.
Dans le cas des MGF-excisions, il reste encore d’énormes efforts à consentir ; néanmoins, le taux a baissé de 2 points. Selon EDS, de 97 % en 2016, il est tombé à 95 % en 2024. Une goutte d’eau dans la mare, mais une goutte d’eau qui permet d’espérer !
Ce n’est pas rien quand on connaît le poids des traditions et la survivance des coutumes malgré l’urbanisation accélérée de ces dernières décennies. Quelles sont vos pistes de solution concrètes ?
Le secret repose d’abord sur notre forte couverture territoriale (nous sommes représentés dans la quasi-totalité des sous-préfectures du pays, ce qui favorise la proximité dans la gestion des cas). Ensuite, la communication, une communication régulière et intense vers les communautés (notamment villageoises), les journalistes, la justice, la médecine légale. Enfin, la coordination des actions-réponses à travers les chaînes de protection comme l’Oprogem (Office de protection du genre et des mœurs) et la BPPV (Brigade de protection des personnes vulnérables), les organisations féminines et les ONG internationales.
Il est évident que l’action d’une simple ONG, aussi louable soit-elle, ne suffira pas à éradiquer des fléaux d’une telle ampleur. Que fait l’État ? Où en est la législation en la matière de violences basées sur le genre (VBG) ?
La législation existe, mais elle n’est pas du tout appliquée. Le mariage forcé est encore monnaie courante alors que l’article 319 de la Constitution l’interdit formellement. Il est passible d’une peine de prison de trois mois à un an et d’une amende de 500 000 à 2 millions de francs guinéens ou de l’une de ces deux peines. Quant aux mutilations génitales, elles sont strictement interdites, quelle qu’en soit la forme (infibulation, ablation totale ou partielle du clitoris ou ablation des petites ou des grandes lèvres). Les articles 258 et 259 en sanctionnent aussi bien les acteurs (deux ans de prison) que les spectateurs (seize jours de prison) et l’amende dans ce cas peut aller de 500 000 à 2 millions de francs guinéens). La peine maximale est requise lorsque ces mutilations sont pratiquées dans un établissement sanitaire, public ou privé.
Plusieurs plaidoyers ont été adressés au gouvernement guinéen pour demander l’application effective des lois et la prise en charge des victimes de VBG. Malgré les engagements pris, malheureusement, nous n’avons aucune issue à ce jour.
Parlons de la polygamie.
Interdite en 1968, elle a été rétablie en 2019. Comme ça, au moins, les textes sont en conformité avec la cruauté des faits. On est loin des beaux discours sur l’émancipation féminine dont se targuent nos élites.
La législation a le mérite d’exister, malgré ce retour en arrière. Mais qu’en est-il de l’évolution des mentalités ?
Les mentalités ont beaucoup de peine à bouger, ce qui s’explique dans un pays où la coutume a toujours été plus forte que la loi. Si la dénonciation des violences faites aux femmes se généralise, beaucoup de cadres universitaires continuent d’exciser leurs filles et de pratiquer la polygamie. L’idéal serait de sensibiliser les gens aux moyens de l’école et de l’information de masse (médias, mosquées, églises, foires et autres manifestations publiques). Dans tous les cas, les jeunes mamans de ma génération doivent comprendre qu’elles sont les véritables remparts. Si elles se lèvent, si elles se tiennent la main, elles parviendront à protéger leurs filles de ces pratiques dégradantes.
La fille de Kadiatou Konaté ne sera donc jamais excisée, elle ne subira jamais la polygamie et le mariage forcé ?
Jamais.