Sur proposition du conseil de discipline du ministère de l’Administration du territoire et de la décentralisation, le préfet de Kankan, Kandia Mara, a été suspendu de ses fonctions le 7 octobre pour « faute lourde ». A l’occasion de l’inauguration d’un monument dédié au président de la transition, en marge de la célébration du 66ème anniversaire de l’indépendance nationale, cet administrateur territorial a revendiqué le décès en prison de Dr Mohamed Dioubaté, arrêté et incarcéré pour avoir brûlé l’effigie du général Mamadi Doumbouya.
Alors que Mamadi Doumbouya s’était engagé à « gouverner autrement », c’est à croire, qu’en son nom, on peut désormais se permettre tous les écarts. Impunément. « Je reviens à ce carrefour où se trouve ce grand monument. Je préviens et j’insiste, en tant que préfet et représentant du pouvoir central : les pagailleurs qui vont se hasarder de dire qu’ils vont brûler, mettre la craie ou de l’huile sur ce monument la nuit, si nous attrapons quelqu’un en train de le faire, la manière dont l’autre est parti, il s’en ira comme ça », a menacé en malinké le préfet de Kankan, Kandia Mara. Une semaine auparavant, le 26 septembre, l’opinion apprenait la mort en détention (à l’hôpital, selon les autorités judiciaires) du Dr Mohamed Dioubaté. Le médecin pédiatre en service à l’Hôpital régional de Kankan avait été arrêté et emprisonné pour avoir brûlé l’effigie du président de la transition, le 7 septembre, au rond-point Komarala Loisirs, dans la commune urbaine.
Sanction a minima
De Sadiba Koulibaly à Mohamed Dioubaté, en passant par Célestin Bilivogui, tous ceux qui se frottent au président de la transition ont tendance à disparaitre. Miraculeusement. Alors que les Guinéens s’interrogent sur les circonstances de ces disparitions, les propos de Kandia Mara ont sonné comme une revendication assumée de la mort du pédiatre. Sa sortie au vitriol, à l’occasion de la célébration de la fête nationale du 2-Octobre, a provoqué une levée de boucliers dans l’opinion. Y compris chez des leaders d’opinion jugés proches du pouvoir de transition. L’Ordre des médecins, la société civile, la classe politique…tous ont réclamé justice. Finalement, un arrêté du ministre de l’Administration du territoire daté du lundi 7 octobre a annoncé la suspension du fantasque Kandia Mara.
« La suspension du préfet de Kankan, Kandia Mara, est un acte qui freine les tensions et les intimidations d’un pouvoir local qui se croyait au-dessus des lois et des principes de l’État de droit », a salué Ange Gabriel Haba, secrétaire exécutif du CNOSCG (Conseil national des organisations de la société civile de Guinée), autrefois dirigé par l’actuel président du CNT, Dansa Kourouma. « Aucune autorité, quel que soit son niveau, ne doit se croire intouchable. Cet acte aurait pu être renforcé par une action plus proactive du parquet de Kankan, qui aurait dû prendre des mesures judiciaires pour manifester son indépendance et son engagement envers l’État de droit, au lieu d’un simple communiqué qui protège de telles menaces », renchérit-il. « Les commis de l’État, ou ceux qui agissent au nom du Président de la République, ne doivent pas donner l’impression que le pouvoir militaire est une insécurité pour la population », enfonce Haba.
Un récidiviste impuni
Dans un communiqué publié dans la foulée, le parquet général près la Cour d’appel de Kankan constate que les propos du préfet sont de nature à troubler l’ordre public. Mais au lieu d’engager des poursuites contre le commis de l’État, il a préféré l’appeler à la retenue. « On ne peut comprendre qu’une autorité censée protéger la population parle ainsi. Il sait ce qui s’est passé à propos de la mort du médecin. La sanction a tardé et elle devait aller plus loin, jusqu’à la révocation. De tel individu ne mérite pas d’être administrateur », s’offusque un acteur de la société civile de Kankan, joint par notre rédaction. Cela est d’autant plus vrai que Kandia Mara n’est pas à sa première incartade. Le 29 novembre 2022, le tribunal de première instance de Kankan l’avait reconnu coupable de « déclarations de propos à caractère régionaliste et ségrégationniste par le biais d’un système de cyber criminalité. » Avant de le condamner à 6 mois d’emprisonnement, assortis de sursis. Une procédure enclenchée, à l’époque, sur injonction d’Alphonse Charles Wright, alors ministre de la Justice. Et c’est après que le préfet a tenu des propos déplacés envers le leader de l’Union des forces démocratiques de Guinée, Cellou Dalein Diallo.
Dans un contexte marqué par la disparition de deux activistes du FNDC, Foniké Menguè et Billo Bah, les propos de Monsieur Mara ne pouvaient pas rester impunis. Il doit désormais méditer sur cette citation d’Aristote : « L’ignorant affirme, le savant doute et le sage réfléchit ». En revendiquant la mort du médecin, le préfet de Kankan n’a pas rendu service au gouvernement. Au contraire, il lui a imputé implicitement le crime. Même si d’autres y voient un conseil prodigué aux jeunes de Kankan, pour prévenir d’autres scénarios fâcheux à l’avenir. L’un dans l’autre, celui qui semble éprouver de la peine à tenir sa langue dans sa poche apprend, à ses dépens, que le silence est d’or. A Mali, Manson Sangala continue de trôner à la tête de la préfecture, lui qui croule sous un chapelet de griefs : corruption, ethnocentrisme, détournement de fonds, outrage à magistrat… Sous le CNRD, comme autrefois sous Alpha Condé avec l’histoire de Samba Héri à Lélouma, les roitelets d’administrateurs continuent de faire la pluie et le beau temps sur leurs administrés. Et dire que les Guinéens sont libres depuis 66 ans…
Diawo Labboyah Barry et
Habib Yembering Diallo