Octobre, c’est le mois de la fête de l’indépendance guinéenne, depuis 1958. Le 2 octobre passé, l’anniversaire a été célébré avec faste par la junte aux commandes du bled depuis le 5 septembre 2021. Les putschistes ont rendu hommage à Sékou Touré, premier Prési de la Guinée, et à la Guinéenne avec boucan. Pour les pères de l’indépendance, ces oubliés de la République, l’omerta continue.
La pluie d’hommages qui a marqué la célébration des 66 ans de l’accession de la Guinée à l’indépendance n’a pas passé inaperçu. Tant le tintamarre a marqué l’évènement, surtout à Cona-cris et à Faranah où l’immeuble R+2 de Sékou Tyran a été inauguré et rendu à qui de droit, après une rénovation digne d’une reconstruction. Le silence sur le combat de certains députés de la première Assemblée nationale, ces pères de l’indépendance, a dérangé sûrement Sidikiba Keita, un économiste et ingénieur guinéen vivant en France. Le dimanche 6 octobre, sur son mur Facebook, il a publié « le premier » numéro du JO, Journal Officiel de la république. Y figurent les Débats parlementaires avec pour sommaire la Proclamation de l’indépendance de la République de Guinée et le procès-verbal N°1 de la Séance du jeudi, 2 octobre 1958, à 10h 30. Celui-ci portait sur l’ordre du jour suivant : conséquence du résultat du référendum du 28 septembre 1958 ; proclamation de l’indépendance de la République de Guinée ; investiture et discours de politique générale du président du Gouvernement de la République de Guinée.
De l’Assemblée territoriale à l’Assemblée nationale
Le Journal Officiel rappelle que sur convocation du Conseil du Gouvernement de la Guinée, l’Assemblée Territoriale de la Guinée française s’est réunie en séance extraordinaire le 2 octobre 1958. Erigée en Assemblée Constituante suite au résultat du Référendum du 28 septembre 1958, la séance a été présidée par Saïfoulaye Diallo, qui, après l’appel des « Messieurs les Conseillers », devenus députés, a constaté que le quorum était atteint et qu’ils pouvaient « valablement délibérer ». Président de ce qui est devenue de facto l’Assemblée nationale, il passe la parole à Sékou Touré, le Président du Conseil du Gouvernement, qui remet sa démission, dans un exposé que voici :
« Monsieur le Président,
Messieurs les Conseillers,
Le Conseil de Gouvernement de la Guinée a convoqué en session extraordinaire votre Assemblée en raison de la situation nouvelle créée dans le pays à la suite du Référendum du 28 septembre 1958.
La Constitution qui vient d’être ratifiée par une majorité du corps électoral de l’ancienne Union Française a été par le peuple de Guinée rejetée.
Conformément aux dispositions de cette même constitution et aux déclarations faites à Conakry, le 25 août dernier, par le Général de Gaulle, Chef du Gouvernement Français, le résultat du Référendum en Guinée place ce Territoire en dehors de l’Ensemble Français.
La Guinée, qui cesse de ce fait d’être française et membre de la République Française, dispose de la pleine souveraineté, en accédant, comme l’ont délibérément décidé ses populations, par son vote, à l’indépendance Nationale.
Notre Gouvernement, issu de la Loi-cadre, exerçait des pouvoirs qui lui étaient délégués par le Chef du Territoire de la Guinée, dépositaire lui-même des pouvoirs de la République Française.
La souveraineté de l’Etat Français sur la Guinée ayant cessé de s’exercer depuis le mardi 30 septembre 1958 à minuit, le Conseil de Gouvernement ne pouvait continuer à fonctionner.
En conséquence, tout en remerciant l’Assemblée Territoriale de la confiance qu’elle a bien voulu placer en lui, le Conseil de Gouvernement me charge de remettre entre les mains des élus du peuple de Guinée le mandat dont il a été investi depuis le 12 mai 1957 et qu’il a accompli jusqu’ici avec la confiance unanime de votre Assemblée. »
Proclamation de l’indépendance
Sa démission aussitôt remise, des applaudissements ont suivi, tout comme la proclamation de l’indépendance, deuxième point de l’ordre du jour. Elle est prononcée par Saïfoulaye Diallo en ces termes : « L’Assemblée Territoriale de la Guinée Française, réunie en séance extraordinaire le 2 octobre 1958,
1º Prenant acte de la déclaration solennelle du Général de Gaulle, Président du Conseil de Gouvernement de la République Française, devant le pays, le 25 août 1958, déclaration dont la teneur suit: « Cette Communauté, la France la propose ; personne n’est tenu d’y adhérer. On a parlé d’indépendance ; je dis ici, plus haut encore qu’ailleurs, que l’Indépendance est à la disposition de la Guinée. Elle peut la prendre elle peut la prendre le 28 septembre en disant « NON » à la proposition qui lui est faite et dans ce cas, je garantis que la Métropole n’y fera pas obstacle.
Elle en tirera bien sûr des conséquences, mais d’obstacle elle n’en fera pas, et votre Territoire pourra, comme il le voudra et dans les conditions qu’il voudra, suivre la route qu’il voudra » ;
2º Considérant que le préambule de la Constitution de la République Française stipule:
« Le Peuple Français proclame solennellement son attachement aux Droits de l’Homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu’ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946. En vertu de ces principes et de la libre détermination des peuples, la République offre aux Territoires d’Outre-Mer qui manifestent la volonté d’y adhérer, des institutions nouvelles fondées sur l’idéal commun de liberté, d’égalité et de fraternité et conçues en vue de leur évolution démocratique »;
3º Considérant que l’article premier de ladite Constitution dispose que:
«La République et les Territoires d’Outre-Mer qui, par un acte de libre détermination, adoptent la présente Constitution, instituent une Communauté »;
4° Considérant qu’en conséquence, le vote négatif au Referendum du 28 septembre 1958 de la part d’un Territoire d’Outre-Mer consacre l’Indépendance de ce Territoire vis-à-vis de la République Française;
5° Considérant le résultat du Référendum du 28 septembre 1958: 1 119 508 non contre 57 134 oui;
6° Constate que cette majorité de voix négatives place le Territoire de la Guinée hors de la République française en vertu, d’une part, de la Constitution française, et d’autre part, des déclarations du Président du Conseil du Gouvernement de la République, le Général de Gaulle;
7° Proclame solennellement l’Indépendance Nationale de la Guinée et l’érection de l’Assemblée Territoriale présente en Assemblée Nationale, Constituante Souveraine dont les membres prennent le titre de Députés;
8º Décide d’attribuer à ce Nouvel Etat indépendant le nom de République de Guinée;
9° Proclame l’adhésion de la République de Guinée aux principes inscrits dans la charte des Nations Unies (O.N.U.);
10° Invite le Gouvernement de la République de Guinée à prendre toutes dispositions pour accréditer la République de Guinée auprès des autres Nations et de l’Organisation des Nations Unies;
11° Donne les pleins pouvoirs au Gouvernement de la République de Guinée pour administrer et gérer les intérêts nationaux, prendre toutes mesures utiles; engager et conclure toutes négociations dans l’intérêt de la Nation.
Pour une Afrique nie et indépendante,
Vive la République de Guinée.
Le Président de l’Assemblée Nationale
Constituante de la République de Guinée,
DIALLO SAIFOULAYE »
Sékou Touré investi Président
La démission de Sékou Touré est approuvée « à l’unanimité et par acclamations ». Les députés ont joué à l’applaudimètre. Saïfoulaye Diallo dit avoir reçu de leur « Mouvement un vœu proposant à vos suffrages l’investiture de notre collègue Sékou Touré au poste de Président du Gouvernement de la République de Guinée. » Ainsi, sont filés à Sékou, les « pleins pouvoirs » de diriger la Guinée. Il ne s’en est pas dessaisi. Ceux qui sont morts à domicile ont eu une chance inouïe, le reste le Tyran et ses complices dont son frangin Ismaël, les a pendus haut et court. Les présents à la séance de la proclamation de l’indépendance et de son investiture sont là. Ce sont les pères de l’indépendance, même si d’aucuns sont devenus plus tard des tortionnaires : Accar Nadjib Roger, Béavogui Louis Lansana, Barry Baba Alimou, Bah Thierno Ousmane, Baldé Mamadou Tanou, Béavogui Koman, Barry Alpha Oumar, Barry Ibrahima dit Barry III, Barry Mamadou Diouldé, Célestine Robert, Cissé Moustapha, Camara Bangaly, Camara Moustapha, Camara Sankoumba, Camara Moussa Sanguiana, Caba Lamine Ibrahima, Camara Mory, Condé Ansoumane, Demarchelier Jacques, Diallo Joseph, Diallo Oumar, Diallo Ibrahima, Diallo Aguibou, Diallo Saïfoulaye, Diallo Alpha Ahmadou, Diallo Amadou Télivel, Diakhaby M’Bemba, Diakité Moussa, Diané Lansana, Doré Lama, Doumbouya Kouramoudou, Doumbouya Mamadou Bella, EL Hadj Keïta Mory, Fofana Kéfimba, Donzo Kéfing, Gnan Félix Mathos, Joachim Eugène Louis, Keïta Ouremba, Keita Fodéba, Keita Sadamoudou, Keïta Kémoko, Mara Yomba, Mignard Eugène, Mané Bounka, Soumah Moustapha, Soumah Nabi Issa, Sow Souleymane, Sy Boubakar, Sylla Séni Fascinet, Tall Habib, Touré Sékou, Touré Dondo, Traoré Samba Lamine, Traoré Tamba Kallas, Touré Ismaël, Tounkara Jean Faragué. » Excusés : MM. Bailhache Robert, Guèye Doudou, Thiam Ousmane, Sangaré Toumani.
Le même 2 octobre 1958, Saïfoulaye Diallo, prési de l’Assemblée nationale, nomme 15 des 60 députés, comme « membres de la Commission chargée d’élaborer le projet de Constitution ». Ces pères de l’indépendance, pour la plupart broyés par Sékou Tyran et ses acolytes, sont enfouis dans des charniers non encore restitués aux leurs. Ils méritent d’être célébrés éternellement. Les oublier, c’est adouber le Camp Boiro et sa tristement célèbre cabine technique où ont été torturés à mort des patriotes qui ont donné de leurs cerveaux et de leurs âmes pour la République.
Mamadou Siré Diallo