Les populations des pays pauvres en manque de démocratie sont des oiseaux migrateurs. Parmi les champions, les Guinéens. Ils ne manquent pas d’astuces pour trouver les papiers dans les pays d’accueil. L’administration guinéenne est très sollicitée. Un extrait de mariage ou de divorce par-ci, un casier judiciaire par-là. La liste n’est pas exhaustive. Un homme explique avoir sollicité la semaine dernière un papier dans sa préfecture d’origine. Il a appelé une connaissance sur place pour lui demander de l’aider à obtenir le document. Trente minutes après, le papier lui est envoyé par WhatsApp.

Première surprise : le document est fait en un temps record, moyennant 60 000 francs guinéens ; l’autre surprise : la machine utilisée pour remplir le document est la paléo-dactylographie de grand-père. Après tout, rien n’étonne, il n’y a pas d’ordinateur dans le service, les documents sont dactylographiés.

Comment un tribunal qui fonctionne au mode colonial peut-il savoir que le demandeur d’un casier judiciaire n’a jamais fait l’objet de condamnation ? La réponse est apportée par ce magistrat qui rappelle une déclaration de l’ancien ministre de la justice, Charles Wright : « Le casier judicaire guinéen est en faillite ». Ce défenseur de l’ancien ministre estime que ce dernier était en train de se battre pour obtenir un casier judiciaire national au moment où il a été limogé.

Il y a des centaines d’autres. Le certificat de résidence, la délivrance en avait été confiée aux chefs de quartier censés connaître les habitants de leurs circonscriptions. Dans maints endroits femmes et enfants du chef de quartier vendent le fameux document. On a vu un quartier de la banlieue attendre l’achat d’un certificat de résidence pour s’offrir le pain du petit déjeuner.

Même chose dans les directions communales et préfectorales de l’Urbanisme et de l’Habitat. Dans bien des préfectures prisées, une parcelle peut porter plusieurs numéros. Une confusion créée et entretenue par des agents peu scrupuleux qui s’illustrent dans la spéculation foncière, cette épine dans le pied de la justice. Dans des préfectures comme Coyah et Dubréka, près de 80% de dossiers judiciaires seraient liés à un conflit domanial, selon un autre magistrat. Avec le recul, on ne peut pas s’empêcher de demander le bilan du ministre en charge de la réforme de l’Etat et de la modernisation de l’administration.

Un ancien préfet raconte cette anecdote. Après l’accession de la Guinée à l’indépendance, Sékou Touré, dans l’euphorie de la liberté recouvrée, demande à son fidèle ami Saïfoulaye Diallo de lui faire le portrait-robot de ceux qui devaient être nommés gouverneurs de région. Saïfoulaye répond : « Camarade-Président, nous allons nommer ceux qui ont fait l’ENA ». Sékou rétorque : « Saïfoulaye, tu es fou ? Ce sont les militants du parti qui doivent être nommés gouverneurs ». Plus de soixante ans après, l’administration guinéenne bat toujours de l’aile. Lorsqu’on observe la façon dont l’administration publique fonctionne, on se rend compte que le pays a encore bien du chemin à faire.

Habib Yembering Diallo