Ça y est, encore une fois, la sale besogne de nos lamentables élites est sur le point d’aboutir ! Le mal est fait : Mamadi Doumbouya comme ses horribles prédécesseurs, va pouvoir légitimer son pouvoir criminel ! Nos marabouts (avouons que nos prêtres sont bien plus dignes) et nos intellectuels vont lui offrir un boubou constitutionnel fait main pour couvrir ses faux-galons, ses biceps de putschiste et ses mains tachées de sang. La lâcheté légendaire de nos élites va propulser notre pseudo-Général au sommet de l’histoire, une histoire cousue de fil blanc cependant, qui fera mourir de rire les racistes primaires et les colonialistes refoulés : « Encore un Bokassa, encore un Idi Amin Dada, encore un Mobutu sauf que celui-ci ne sera maréchal que dans un an ou deux… Ah, cette Afrique, qu’est-ce qu’on vous avait dit ?… La démocratie, c’est trop subtil, trop sophistiqué pour ces gens-là !… Laissons-les à leurs guerres tribales et à leurs coups d’Etat insensés ! »
C’est dur d’entendre nos pires ennemis se foutre de notre gueule. Mais c’est encore plus dur de se dire qu’ils n’ont pas tout à fait tort. Le bilan de notre indépendance est moins désastreux sur le plan économique que sur le plan humain. Nos dictateurs nous ont fermés à tout ce qui touche à l’éthique et à la morale. Nous sommes devenus une nation dépourvue de valeur, une société bestiale, une espèce de jungle où plus rien d’autre ne compte que le ventre et le bas-ventre.
Ce qui se passe en ce moment chez nous a de quoi vous rendre fou. Nous aurions parlé de honte si ce mot avait encore un sens dans un pays qui a fait du mensonge, de l’escroquerie et du crime un art de vivre. Je vous assure que le mot jungle n’a rien de gratuit ici. Comment ne pas traiter de jungle, un pays incapable de préserver ces règles de vie, raffinées, de l’Afrique ancienne, ou de se doter d’un minimum d’institution crédible et durable comme cela se fait dans le monde d’aujourd’hui ?
L’Etat moderne ne repose ni sur les épaules d’un chef de guerre ni sur la couronne d’un monarque de droit divin. L’Etat moderne puise sa force dans la loi, ou plus exactement dans un corps de lois, intemporel, un objet sacré que l’on appelle constitution, une constitution qui s’impose à chacun et à tous. A condition bien sûr que les dirigeants aient reçu le minimum d’éducation qu’il faut pour la respecter.
Vous savez pourquoi, Guinéens, notre pays marche à reculons depuis 1958 ? C’est parce que justement nous avons définitivement perdu le sens du sacré. De Sékou Touré à Mamadi Doumbouya, la Constitution chez nous n’est qu’un chiffon de papier dont se sert pour se torcher le cul. A chaque saison, son roitelet ; à chaque roitelet, sa bande de tueurs et sa masse de courtisans démagogues et pervers pour berner et manipuler les foules.
Le courage, le sens de l’honneur, le respect de la vie humaine, toutes ces valeurs qui faisaient la grandeur de nos aïeux ont disparu. Nos chefs les plus élevés, nos officiers les plus gradés, nos intellectuels les plus prestigieux sont prêts à jeter la culotte pour un grain de pouvoir ou pour une poignée de riz. Cracher sur la parole donnée, faire des courbettes pour manger, cela ne gêne plus personne. Pour quelques milliers de francs guinéens, nos élites sont en train de nous faire comprendre que la charte de la Transition n’a jamais existé, que Mamadi Doumbouya a le droit de se présenter à l’élection présidentielle et que même, il peut faire ce que bon lui semble du chronogramme officiellement fixé en accord avec les Forces Vives et avec la Communauté Internationale.
J’ai envie de dire à ces gens qui n’hésitent pas à se vautrer dans la boue pour quémander leur pitance : « Savez-vous ce que vous êtes en train de faire ? Vous êtes en train de restaurer le régime sanguinaire de Sékou Touré. Et croyez-moi bien, c’est à vos risques et périls. Les tyrans n’aiment pas devoir quelque chose à quelqu’un. Tous, qu’ils s’appellent, Hitler, Staline, Papa Doc, Mao ou Sékou Touré, je dis bien tous, ont tué ceux qui les ont aidés à parvenir au pouvoir. Hélas, aveuglés par la cupidité, vous ne voyez pas plus loin que le bout de votre nez, vous ne ressentez aucune douleur que celle de la faim. Mais moi, je vois déjà la corde qui servira à vous pendre. Je sens déjà l’odeur de vos cadavres en putréfaction dans les falaises du Kakoulima.
Faudra-t-il alors vous pleurer comme jadis nous avons pleuré Kaman Diaby, Fodéba Keïta et Diallo Telli ? Voire ! »
Tierno Monénembo