D’entrée, nous consentons au procès que l’on nous fera après lecture des lignes qui suivent. A leur place, nous aurions fait pareil. Cependant, Me Mohamed Traoré a reçu tant de fleurs pour sa démission qu’il est essentiel d’envisager les choses sous un autre angle. Après tout, un vrai bouquet n’est pas fait que de fleurs, il y a au moins une épine pour rappeler au monde ce que le jour doit à la nuit. C’est cette épine que nous entendons, en toute humilité, incarner.
Les louanges sont un art bien guinéen. Le Guinéen se satisfait de si peu qu’il ne suffit de rien pour obtenir sa sympathie, sa miséricorde. C’est dans ce bled qu’un condamné à 10 ans de réclusion pour crimes contre l’humanité s’est vu décerné le prix de la personnalité de l’année !
En Guinée, le grossier est en terrain conquis. Ironie du sort, le bagnard devança de 22 points le président de l’Association des magistrats de Guinée. C’est à crever de rires. Aboubacar Sidiki Diakité alias Man Favelo dirige désormais un parti politique…tant pis pour les victimes !
Acte symbolique
Convenons d’emblée du caractère symbolique de l’acte de démissionner d’un poste qui nous prédispose à tous les privilèges, pour peu que l’on sache fermer sa gueule. Nous saluons le message envoyé au Palais Mohammed V. Mais l’opinion publique s’acquitte si besoin de cette tâche qu’il nous paraît simpliste de lui emboiter le pas. Nous nous attelons donc à une lecture à rebours de la lettre de Me Traoré, afin d’en saisir l’esprit, les non-dits, de voir si le « héros » n’est pas en réalité le receleur qui joue le témoin de l’enquête.
Nous connaissons tous l’homme public et son attachement manifeste au respect de nos droits et libertés. Il jouissait de ce crédit. Alors nous autres crédules avions fondé un immense espoir sur la présence du représentant de l’Ordre des avocats à la Chambre d’enregistrement de la Nébuleuse de Transition (CNT). Nous nous disions que lui, parolier à la verve tranchante, serait le bouclier face aux assauts contre nos droits et libertés si menacés. Que lui, le juriste chevronné, serait au cœur du processus constitutionnel afin qu’aucune disposition liberticide ne figure dans notre future Constitution.
Mais silence radio quand tant de libertés sont bafouées depuis le 5 février 2022 et aux abonnés absents quand ce que l’on nomma « Avant-projet de constitution » fut présenté via un diapo fort saturé. On nous objectera qu’il n’est pas constitutionnaliste, mais pénaliste. Sauf qu’en matière de droits et libertés, l’auxiliaire de justice de son état n’a pas de spécialisation. Passons.
Silence sur les disparitions forcées
Dans une lettre écrite à la plume d’oie, il nous apprend, comme si l’Everest avait besoin d’un panneau d’indication, que la transition a pris fin le 31 décembre 2024. Comble de la dérision, il pousse la circonspection jusqu’à écrire noir sur blanc « Sauf erreur de ma part ». C’est vrai, on n’avait pas remarqué que les trois ans de transition que vous aviez vous-mêmes, parle-ment ad hoc, accordé aux imposteurs de la nébuleuse étaient finis. Cette démission ne serait un évènement que dans la mesure où elle nomma le véritable problème. On était en droit d’attendre d’un défenseur des droits humains qu’il précise que la radicalisation de la junte est l’une des raisons de sa démission. De même, aurions-nous mieux compris cette démission, si les disparitions forcées et les condamnations arbitraires avaient été dénoncées dans sa lettre.
Le démissionnaire est juriste, avocat de surcroît. Il n’a pas droit à l’erreur. Il ne peut plaider l’erreur dans la computation d’un délai exprimé en année. C’est soit notre cher conseiller s’égare dans l’excès de prudence propres aux craintifs, soit il manque tout simplement le courage de ses véritables motivations. Dans les deux hypothèses, l’abdication est sous-entendue. S’il fallait mordicus convenir de sa sincérité, il faudrait admettre qu’en tant que juriste, Me Traoré sait que les délais exprimés en mois ou en années sont décomptés du quantième au quantième (art. 679 du CPCEA 1998). En clair, un délai exprimé en mois ou en années expire le jour du dernier mois ou de la dernière année qui porte le même quantième que le jour de l’acte, de l’événement… qui fait courir ce délai.
Quid de l’avant-projet de Constitution ?
Sauf erreur de notre part, Me Traoré était au CNT quand le chronogramme de transition a été adopté. Il ne saurait donc faire gourance ni sur le début ni sur la fin du délai imparti aux maîtres du 5 septembre. Nous sommes dès lors en droit d’exiger plus du démissionnaire. Maître, quelles sont les véritables motivations de votre démission ? En votre qualité de conseiller national, quelles ont été vos positions sur l’avant-projet de Constitution ? Avez-vous été associé à sa rédaction ? Ses dispositions et ses omissions tant décriées vous ont-elles consterné comme nous ? L’immunité parlementaire pour un représentant national, fût-il de transition, lui permet d’accomplir sa mission : gueuler quand ça coince.
Au regard de l’espoir que certains de nos compatriotes plaçaient en vous, de la posture républicaine qui a été la vôtre ces dernières années et sauf erreur de notre part, nous sommes en droit d’attendre des réponses claires de vous. Nous vous prenions trop en estime pour nous satisfaire des motivations plates, trop polies, donc complaisantes à notre goût, de votre lettre. Peut-être sommes-nous trop exigeants de demander à un juriste de sa trempe, avocat de son état, un peu de révolte. Mais convenons que tout homme que tant d’injustices ne révolte pas est bon pour les chaines. Vous le savez mieux que nous autres damnés de l’Artère : c’est dans les vallées de la révolte que pousse les bourgeons de la liberté.
Grand Maître, c’est avec consternation que nous avons donc lu ce qui suit : « j’ai décidé de me retirer du Conseil National de la Transition, pour me consacrer à plein temps à mes activités professionnelles ». Convenez que ces mots sont emprunts d’une certaine ambiguïté. Si nous avons bien lu, vous n’exerciez pas vos « activités professionnelles à plein temps », autrement dit, vous les exerciez à mi-temps ? Auquel cas cela ne vous satisfait-il plus ? Vous n’y trouvez pas ou plus votre compte ? Comment articuliez-vous ce travail de conseil à mi-temps avec celui de conseiller national à « plein temps » ? Votre mission au CNT était-elle à ce point ennuyante que vous avez jugé opportun de continuer à exercer ? Doit-on comprendre qu’il n’y a que le président et son constitutionnaliste en chef qui travaillent au CNT ? Ce ne sont que des questions que nous posons innocemment, dans l’espoir que vous y répondiez sincèrement.
Aveu d’échec
Nous ne souscrivons évidemment pas aux insinuations de l’incarnation de l’abject en politique selon lesquelles vos motivations intimes sont lucratives. Votre démission ne résout pas notre problème. Elle l’aggrave en cela que le citoyen modèle, l’avocat engagé que vous avez été a manqué de s’élever à la hauteur de nos espérances. Pour nous, c’est un fiasco retentissant et les motivations avancées, un aveu d’échec sans équivoque. Après tout et sauf erreur de notre part, vous assurez seul gite et couverts à votre famille. Nul n’exigera que vous vous satisfassiez d’un travail à mi-temps ni d’honoraires à rabais. Il vous plaira, Maître, nous entretenir sans artifice sur l’intimité de votre décision. Pourvu que nul n’ait à dire : « Ne pas le savoir avait été pénible ; le savoir l’était plus encore. », (T. Morrison, Beloved).
Espérant que vos réponses vaudront les foudres que nous nous attirons, nous vous saurons gré de ne rien prendre pour vous, d’avoir bon dos et de comprendre le désarroi d’un compatriote qui vous tient en très haute estime. Sauf erreur de notre part, bien sûr.
Tariq Wora