Dans la nuit du 28 au 29 janvier 2016, Jean-Marie Gbla Doré est mort, à son domicile de Donka. Cette nuit, le Seigneur l’a arraché à l’affection des Guinéens et des siens, en le rappelant à lui. Le lendemain, c’est émus, abasourdis et le cœur serré que les Guinéens ont appris la mort du dernier des Mohicans de la vie politique guinéenne. Que son âme repose en paix au paradis du Seigneur.
Après quelques jours, au Palais du peuple, en présence d’Alpha Grimpeur, des présidents des Institutions républicaines, de nombreux ministres et d’une importante foule de parents et amis, s’est tenu un imposant symposium en sa mémoire.
Fils de chef, fonctionnaire international
Né à Bossou, dans une famille de chefs traditionnels, dans le cercle de Nzérékoré, en Guinée française, il est baptisé Gbla avant de prendre plus tard les prénoms de Jean-Marie. Il fréquente l’École primaire de Nzérékoré, le Collège moderne de Donka (Conakry) et le Collège Catholique de Daloa (Côte d’Ivoire). Il obtient le bac au Lycée classique d’Abidjan et part en France où il décroche un doctorat en sciences politiques. On n’est à la fin de la colonisation.
Il revient en Guinée, travaille dans l’administration publique un moment avant d’entrer au Bureau international du travail en qualité de fonctionnaire international, à Genève, (Suisse). Il restera environs une trentaine d’années dans cette agence du système des Nations Unis. Il revient en Guinée, après la mort de Sékou Touré et la fin de la période révolutionnaire.
Féru de politique, cultivé et tonitruant, il participe activement à la création de l’Union pour le progrès de la Guinée (UPG) dont il devient le leader incontesté, le député à l’Assemblée nationale et le candidat à plusieurs élections présidentielles.
Boute-en-train
Brillant orateur, et moqué du sobriquet de Lapin Doré, le Président de l’UPG est un politicien à la repartie fulgurante, mortifère et assassine. Dans des formules cinglantes, il rassemble railleries, blagues et éclats de bois vert pour tenter de déstabiliser l’adversaire. « Il survole vos problèmes sans les voir, ni les toucher des doigts », avait-il tenté de tourner en dérision Siradiou Diallo, le Président du PRP (Parti du renouveau et du progrès) qui avait battu campagne, lors de l’élection présidentielle de 1993, dans un jet privé affrété. Pour qui connaissait l’état de dégradation des routes et des pistes rurales aurait apprécié toute la portée de la moquerie de Lapin Doré. A travers des piques plutôt fair-play que délibérément malveillantes, il a mis knockout nombre de ses adversaires et subjugué les foules.
Accointances avec les pouvoirs ?
Ne s’étant jamais départi de sa position sociale de fils de chef, il a le verbe haut et volontiers altier. Sous la Révolution comme sous le régime du Général Conté et des fumeurs de pipe, Lapin Doré se planque résolument dans l’opposition même si, de façon récurrente et persistante, on lui reproche des accointances avec les pouvoirs. Mais personne ne peut lui dénier ses diatribes contre les ouailles du Général Conté.
Lors de la 2e transition, versus Sékouba Konaté, il assume les fonctions de Premier ministre, en 2010 et organise l’élection présidentielle qui clôt cette période. Il parvient à organiser ce scrutin malgré une atmosphère délétère même en Guinée forestière dont les populations excédées par la mésaventure de Moussa Dadis Camara, exilé à Ouagadougou après avoir échappé à un attentat, à Conakry. Sira-de-Nombre, Bah Mamadou Banqueroute, Alpha grimpeur et Lapin Doré sont incontestablement les précurseurs de la tentative de restauration démocratique sous Conté, de 1992 à 2008.
Lapin Doré a laissé derrière lui l’image d’un homme politique à la fois ferme et consensuel. Il repose à Bossou son village natal, au sud du pays, aux frontières de la Côte d’Ivoire et du Libéria.
Abraham K. Doré