Le 9 février 1997, Williams Sassine nous fauchait compagnie. Au terme de cinq années de riche collaboration, durant lesquelles les Guinéens se sont familiarisés avec ses chroniques au style singuilier. Pour lui rendre hommage, nous républions l’une d’elles parue dans Le Lynx  N°6, du 30 mars 1992 sous le titre : Mémoire d’une histoire désarmée. Après les militaires, pas de civils. Un texte d’une actualité déconcertante: la preuve que notre bled tourne en rond, malgré le temps qui s’écoule et les protagonistes qui changent.

      Petit frère Lynx, Allah seul sait qui viendra après notre Général. Parce que Conté est fort comme un éléphant et malin comme un singe. Regarde les remaniements. Tout le monde sera ministre ici un jour ou en tout cas ex-ministre. Il prend des gros, des grosses, des maigres, des maigresses. C’est un démocrate.

     Wallahi ! Laissez les partis se quereller. C’est le Général qui gagne. Il va se présenter. S’il ne le fait pas, nous on le présente. Où est le problème ? Nous les militaires on est majoritaire. Qui a le fusil ? On dit que nous on ne sait pas tirer. Nous, quand on tire, on tire. Un civil est un civil moi quand je vais à la chasse aux singes, est-ce que je demande si toi tu es un singe. J’ai fait l’armée. Un singe est un singe même s’il parle. Un civil, c’est du pareil au même.

     Wallahi ! Allah est grand ! Sinon un petit militaire comme moi, comment il peut donner à manger à combien de femmes, d’enfants, de parents.

     Mais il y a le fusil, les singes, la cartouche et chacun son tour.

     Ton petit journal avec le pape par terre, mais c’est quoi ça. Le Pape doit être au ciel, pas par terre. La terre c’est pour nous les militaires. C’est pour ça Dieu nous a donné pour tirer en haut Wallahi ! J’ai tué l’autre jour un petit singe. La mère ou son père, je ne sais pas, a pleuré, a pleuré. Comme les parents d’élèves quand on tombe sur leurs enfants. Mais l’armée ce n’est pas une armoire. Nous on ne garde pas beaucoup de souvenirs. Les draps sales, c’est pour vous, les civils. Les civils vont nous laver tout. Ce sont eux qui ont tout sali.

     Regarde mon frère, quand tu as la diarrhée à Conakry I, où aller ? Même chose à Conakry II, c’est le seul pays qui a plusieurs capitales, mais pas de cabinets. Tu fais dedans, ton affaire, parce qu’il n’y a pas dehors. Pourtant on a ouvert le pays.

   Ça, c’est grâce à nous, les militaires. Si tu as la dysenterie, tu prends ton avion et tu vas dehors.

     Plus de saletés chez nous, les blancs sont venus, chinois, russes, cubains, français, allemands, américains, avec leurs saletés déposes (sic : déposées) dans nos îles. Des choses bizarres qui tuent.

     Wallahi nous, on n’a pas peur de la mort. Nous on est des militaires. Tu veux courte maladie ici, ou longue maladie chez les autres. Vous les civils, vous ne savez pas mourir. Nous les militaires c’est boum ! boum ! Où est le problème ?

      Mais, petit frère Lynx il ne faut pas aller au Libéria. Là-bas ce n’est pas une guerre. On n’a jamais vu ça, même à la télé, ou à la vidéo, ou au cinéma, ou partout. Moi je croyais que c’était comme ici, contre les civils. Tu tires dedans. Un civil est comme une femme. Si elle est en grossesse, qui peut l’obliger à reconnaître ? Est-ce que tu es le seul à avoir quelque chose dans le pantalon ?

     Wallahi tu as vu, Fanta n’est pas encore revenue. Mais Allah est grand et j’ai mon fusil.

     Wallahi ! Nous on n’est pas pressés. Est-ce que tu as vu un militaire pressé ici ? On se lève comme tout le monde, on ne paye pas le car. Alors pourquoi se presser comme si tu as la diarrhée ou en grossesse. Dans l’armée, pas de femmes, nous sommes tous des hommes Wallahi

    Pour nous ça s’améliore ! Celui qui dit ça c’est pas bon, ça va pas et tout ça quoi, c’est quelqu’un qui t’aime ça.

   Toi tu veux écrire pour un journal, est-ce que tu peux écrire que nous les militaires, ce n’est pas bon. Est-ce que tu peux, hein ?

     Ta parente Fanta, n’est pas là encore. On se fout de nous les militaires. Les civils nous insultent. Maintenant c’est Fanta. Mais on va voir qui a le pouvoir. Je reviens. Je vais expliquer comment ce pouvoir, on l’a eu. Va demander au général.

Williams Sassine

Billet

MON GENERAL, DONNEZ MOI UN CHEVAU

Je ne veux pas d’un cheval, mais seulement un chevau

Vous avez plein de chevaux, moi j’en veux un. Un seulement.

Je suis chevalier des arts et des lettres, mais la France a oublié de me donner le chevau.

Echangeons ma médaille contre un de vos chevaux.

Sur mon chevau, je vous aiderai à combattre vos ennemis de plus en plus nombreux.

Vous avez vu un Lynx sur un chevau, mon Général ? Tout peut arriver dans notre beau pays.

W.S.