La 17ème édition des « 72 Heures du Livre » a été lancée le 23 avril au Palais du peuple de Cona-cris. La cérémonie d’ouverture a été gâtée par la propagande gouvernementale. Récit.
La soirée s’annonçait sympathique, et le lieu idéal. La cérémonie de lancement de la 17e édition des 72h du livre de Cona-cris était prévue pour 15h, dans la salle des Congrès du Palais du Peuple, à Kaloum. Convaincu qu’un tel évènement commence toujours strictement à l’heure, je me pointe avec une demi-heure de retard. Malgré tout, je suis manifestement bien trop en avance. Il y a déjà un peu de monde dans la salle, mais elle est encore loin d’être pleine. Les invités patientent et discutent entre eux, resautent, échangent des cartes de visite…
Presque 16h. « Pourquoi la cérémonie ne démarre pas ? », murmure-t-on à droite et à gauche. «C’est toujours comme ça ici…», répond un habitué. La foule commence à s’agiter. Une oratrice prend la parole, s’excuse du retard : on attend…« les Officiels » ! Surtout… la « Première Dame » ! C’est vrai que l’événement est placé « Sous le Haut Patronage de Son Excellence Madame la Première Dame » de la Roue-publique de Guinée, la tendre et douce-moitié de « Son Excellence le Président de la République, Chef de l’État, Chef Suprême des Armées, le Général de Corps d’Armée » Mamadi Doum-Bouillant. Tout était là pour nous le rappeler : l’entrée du Palais du Peuple est placardée de gros portraits de Lauriane, la scène de la Salle des Congrèsde ceux, encore plus gros, de Mamadi.
16h30. Toujours point d’« Officiels ». Les impatients, ou ceux qui ont d’autres chats à fouetter, s’éclipsent. Parmi eux, la petite délégation française dont la dirlote de l’Agence française du sous-développement, partenaire attitré de l’événement. La maîtresse de cérémonie jure, la main sur le palpitant, que la soirée débute dans « quelques courts instants ». Amen !
17h passées. Soudain, des journaleux apparaissent en courant sur le côté de la salle : ils photographient et filment des « Officiels ». Ils arrivent ! On ne les aperçoit qu’à peine, escortés qu’ils sont par des gaillards en costard et lunettes de soleil, pectoraux bombés. La salle se lève pour essayer de voir leurs valeureux dirigeants. Rose Pola Pricémou et Charlotte Daffé sont annoncées. Silence. Puis Dji-bat Diakité et Dansa Courroux-ma. Des applaudissements, timides. De la Première Dame, pas de trace. Ils prennent le premier rang.
La présentatrice tente de reprendre la parole pour lancer la soirée. Mais elle doit se débattre avec les problèmes de son et les défaillances de la régie. Elle annonce qu’on a un invité d’honneur : Pere Vicens Rahola, éditeur espagnol à l’origine de la création de la Journée mondiale du livre du 23 avril. Son âge avancé et les milliers de kilomètres parcourus pour honorer la Guinée ont inspiré le respect des organisateurs : il a patienté, comme tout le monde, la sueur au front, dans la chaleur torride de cette foutue salle.
C’est ensuite à la Première Dame d’être remerciée, pour… sa « présence symbolique » aux 72h du livre ! La même « présence symbolique » dont elle nous honore ce jour. Place aux discours insipides et inter-minables. Le prési de l’Association des écrits-vains de Guinée profite de l’occasion pour quémander un siège au gouvernement : « Les écrivains de Guinée sont SDF ! » se lamente-t-il. Puis, on annonce la première édition du concours littéraire du « Président de la République » doté d’un prix de… 500 millions de francs glissants ! Wallahi ! Merci Prési !
Heureusement, un spectacle son et lumière de lycéens sur les résistantes à la colonisation, une chanson (en playback) de Manamba Kanté et le Circus Baobab sauvent la soirée.
Il commence à être tard. L’oratrice remercie, à juste raison, l’assemblée pour sa patience… Et Dansa Courroux-ma prend la parole. Il n’était pourtant pas programmé. C’est à lui que revient l’honneur de remettre un Nimba à Pere Vicens Rahola. Il est 19h 30, le pauvre vieux de 86 ans est épuisé, et n’a même pas eu le droit de piper maux.
Enfin, remise du prix littéraire des lycéens, le premier du genre. Ils sont mignons, les lycéens… mais pas assez pour avoir le droit de remettre eux-mêmes leur prix. À tout seigneur, toute horreur : des « Officiels » (Djiba et Rose Pola) s’en chargent ! Le trophée est remis au mari de la lauréate, Mabéty Soumah, absente.
Je rentre chez moi, tard. J’ouvre les réseaux sociaux : les pages du gouvernement ont couvert cette magnifique cérémonie. Des photos de Djiba et Dansa, en gros plan, inondent Facebook. Tout y est beau !
Œil de Lynx