« Le gouvernement et le président de la République sont attristés et condamnent avec fermeté les actes de violence qui ont été portés sur la personne de Me Mohamed Traoré. Au-delà de la violence physique et psychologique sur Me Traoré, c’est la République qui a été dans une large mesure poignardée…»

La montagne n’a pas accouché d’une souris. La semaine de méditation que le Premier ministre, Amadeus Bah, a dû s’accorder pour réagir à l’enlèvement de Me Mohamed Traoré aura été bien fructueuse. Le ton, la virulence, la précision, la sensibilité, la subtilité des termes choisis pour fustiger le crime au nom du Gouvernement se révèlent appropriés. Ceux qui devraient nous rassurer commençaient à nous désorienter. La cacophonie autour de la saisine  du ministre de la Justice et des Droits de l’homme échappe totalement à l’entendement du citoyen lambda. Qui doit saisir qui quand les choses en arrivent à ce point à un homme dans une république ? Si les maux ont un sens.

Les termes de Bah Oury revêtent toutes leurs significations dès que l’on fouine dans ce que l’on entend généralement par république. Celle-ci  est perçue comme «  un système politique dans lequel la souveraineté appartient au peuple qui exerce le pouvoir politique directement ou par l’intermédiaire de représentants élus. Ceux-ci reçoivent des mandats pour une période déterminée et sont responsables devant la nation. Par ses représentants, le peuple est la source de la loi. L’autorité de l’État, qui doit servir le « bien commun », s’exerce par la loi sur des individus libres et égaux.  

Apparemment, la réalité guinéenne est tout autre. La république s’est imposée comme une somme de coups de poignard. Le co-fondateur de l’OGDH, aujourd’hui, premier Ministre, n’a mis l’accent que sur les derniers événements. Mais force est de constater que depuis l’accession du pays à l’indépendance voici bientôt 67 ans, des systèmes politiques se sont succédé au détriment de la république. Pire, contre elle.  Dès le début des années 60, Pr. Djibril Tamsir Niane a mis le doigt sur les bourdes fatales aux systèmes, écnomique, social, juridique, éducatif…en vigueur en Guinée  après le départ du colonisateur : « J’ai dit, non; toi aussi tu as dit non. Le méchant colon est parti…Aussitôt, richesse est venue, dans ta gibecière s’est logée. Auprès de moi, resta pauvreté. Et pourtant, j’avais dit non. Toi aussi d’ailleurs. »

Cette liberté d’expression a valu des années de Goulag au Professeur Niane. Malheureusement il n’est pas seul, comme on dit en Guinée. Des Traoré, chacune de nos gouvernances successives en a connus, fabriqués, certaines à profusion. Comme nos régimes ont toujours gardé le même nom quelle qu’en soit la vraie nature, Bah Oury a facilement conclu que « c’est la République qui a été dans une large mesure poignardée…» Quand on met côte à côte les 67 ans d’histoires de la Guinée indépendante face à la définition de la république, on peut bien se demander qui a poignardé qui.

Si dans une république, la souveraineté appartient vraiment au peuple, si les représentants de celui-ci sont réellement élus pour une période déterminée et sont responsables devant la nation, si l’autorité de l’État s’exerce sur des individus libres et égaux, nous sommes loin du compte. Et Me Mohamed Traoré aura eu raison de « s’estimer heureux » à l’issue du rapt.

Par Diallo Souleymane