Ce n’est pas l’opposition guinéenne qui le dit, c’est l’Organisation Française pour la Protection des Réfugiés et des Apatrides (OFPRA) : « Les demandeurs d’asile guinéens ont augmenté de 47,8% en une seule année ». Un chiffre si déconcertant que la vénérable institution sort des convenances administratives et affirme sans détour que « ce résultat s’explique surtout par la répression politique des militants de l’opposition et de la société civile ». Le coupable est donc tout désigné : c’est la dictature de Mamadi Doumbouya. C’est de sa faute si les Guinéens sont dorénavant la première nationalité africaine à demander l’asile en France, loin devant la République Démocratique du Congo et la Côte d’Ivoire. Qu’un pays sans conflit, qui ne connaît ni invasion ni guerre civile, présente une telle hémorragie, témoigne largement de la terrible atmosphère qui règne en ce moment à Conakry. Mais la main de fer de ce Général autoproclamé ne se contente pas de faire de son pays, le champion d’Afrique des réfugiés, elle le place plus haut encore. La Guinée est troisième mondiale juste derrière l’Afghanistan et l’Ukraine et loin devant Haïti et le Soudan.
Comment un pays perçu comme le château d’eau de sa région, comme le scandale géologique de l’Afrique, peut-il se retrouver dans un tableau aussi peu honorable parmi des nations ravagées par les guerres comme l’Ukraine, la République Démocratique du Congo, ou paralysées par les gangs comme Haïti ? La réponse est dans la question. Il suffit de jeter un rapide coup d’œil sur l’actualité guinéenne. En trois ans, l’autoritarisme de la junte au pouvoir a fait fuir des milliers de Guinéens. Certes, le phénomène n’a rien de nouveau : n’ayant jamais connu que des dictatures, la Guinée est tout naturellement un gros fournisseur d’exilés. On en compte au moins 2 000 000 au Sénégal, 1 000 000 en Côte d’Ivoire et peut-être autant en Sierra-Leone et au Liberia et selon la Direction des Statistiques de Belgique, (Stabel), Diallo, un patronyme typiquement guinéen, est le plus répandu de Bruxelles. Ceci dit, même au temps de Sékou Touré, ce pays n’a pas connu un exode aussi massif en si peu de temps.
Mamadi Doumbouya qui avait promis le jour de son putsch, un rapide retour de l’ordre constitutionnel à travers des élections libres et transparentes auxquelles il jurait de ne pas participer, a changé d’avis en chemin. Dorénavant, il veut se maintenir au pouvoir en violation flagrante de la Charte de la transition et tous les coups sont permis. Toute personne susceptible de contrecarrer ce funeste projet devient l’ennemi à abattre. L’ancien président Alpha Condé ainsi que les chefs de l’opposition, Cellou Dalein Diallo et Sidya Touré ont été contraints à l’exil. Les kidnappings, les morts mystérieuses et les disparitions forcées sont devenues monnaie courante. Le Général Sadiba Koulibaly, ancien chef d’Etat-Major de l’armée et le Colonel Célestin Bilivogui ont perdu la vie dans des conditions qui restent à éclaircir. Il y a un an que l’on est sans nouvelles des activistes du Front National de la Défense de la Constitution (FNDC), Foninké Menguè et Billo Bah ; neuf mois pour ce qui est de Saadou Nimaga, ancien Secrétaire Général du Ministère des Mines ; sept, pour ce qui est de Habib Marouane Camara, directeur du très irrévérencieux périodique, Le Révélateur. Et voilà que ce 21 juin, Maître Mohamed Traoré, ancien bâtonnier de l’Ordre des Avocats, est kidnappé à son domicile vers 3h du matin et quelques heures plus tard, abandonné, en pleine brousse, à demi-mort, comme l’avait été en février dernier le jeune Abdoul Sacko, coordinateur du Forum des Forces Sociales de Guinée.
Toute manifestation politique est interdite depuis Mai 2022 sauf bien sûr, les nombreux mouvements soudoyés par le pouvoir et qui sillonnent bruyamment le pays pour chanter les louanges du chef et le « pousser » à poser sa candidature. Les principaux médias indépendants ont été fermés et Aliou Bah, le président du Mouvement Démocratique Libéral (MODEL) est condamné à deux ans de prison « pour offense au chef de l’Etat ».
Qu’on arrête de se voiler la face, enfin ! Pour tarir le flot des réfugiés que ce soit en France, en Grande Bretagne ou aux Etats-Unis, les OQTF, les «Alligators Alcatraz» et même l’aide au développement ne suffiront pas, il faudra aussi et peut-être surtout, l’aide à la démocratie. Il n’y a pas meilleure manière de multiplier les immigrés clandestins que de soutenir des dictatures.
Tierno Monénembo