La Cheffe de Délégation de l’Union européenne en Guinée fait ses valises. En exclusivité, l’Ambassadrice Jolita Pons a reçu La Lance pour dresser le bilan de ses trois ans.
Lorsque, le 30 septembre 2022, Jolita Pons remet au président de la transition, Mamadi Doumbouya, ses lettres de créances, la nouvelle Ambassadrice de l’UE en Guinée découvre le continent. Ses pas l’avaient jusque-là menée en Russie, à Hong Kong…mais jamais en Afrique. Elle arrive à Conakry, un an après le putsch contre Alpha Condé et donc avec « un mandat politique » consistant à accompagner un lent processus de retour à l’ordre constitutionnel.
Trois ans après, à l’heure de ses adieux, la diplomate lituanienne fait le bilan d’un « séjour agité », qui l’a conduite aux quatre coins de la Guinée, dont elle garde des bons souvenirs. Dans cet entretien exclusif qu’elle a bien voulu accorder à notre journal, il est question de politique, de droits humains…mais également de développement économique, surtout d’assainissement : l’Union européenne étant le « premier partenaire » au développement de la Guinée avec une enveloppe financière d’environ 700 millions d’euros ces trois dernières années.
La Lance : La Guinée a été votre premier poste d’ambassadeur en Afrique. Trois ans après, quelle expérience en tirez-vous ?
Jolita Pons : La Guinée, c’est un pays de nombreux défis. L’expérience était assez spéciale : je découvrais le continent, la Guinée qui était à une période spéciale de son histoire, en transition. J’ai dû apprendre beaucoup de choses, sur la société guinéenne, les ambitions du pays, le mode de communication : on vient tous de milieux différents. C’était un grand apprentissage.
J’ai effectué plusieurs déplacements à travers le pays. C’est une partie de mon travail que j’ai beaucoup aimée, qui consiste à visiter nos nombreux projets. Je suis allée partout : à Kankan, Faranah, en Guinée forestière, Mamou, Labé, Boké, Forécariah…C’est un très beau pays, avec des régions diverses. Échanger avec les Guinéens de l’arrière-pays a été très enrichissant.

Vous êtes arrivée dans un contexte politique difficile. Comment ont été vos relations avec les autorités de transition ?
On a des très bonnes relations de travail. Je suis arrivée avec un mandat politique de l’Union européenne qui est d’accompagner le processus de transition vers le retour à l’ordre constitutionnel. C’était l’instruction principale qui guidait notre travail. On pouvait s’attendre à ce qu’il soit difficile de travailler avec les autorités, mais ce n’était pas le cas en ce sens que j’ai été bien accueillie. Nous avons bien mené nos projets de coopération. Bien entendu, il y a parfois des difficultés qu’on doit surmonter. Mais globalement, tout s’est bien passé. On n’a pas pu faire tout en termes d’accompagnement pour le retour à l’ordre constitutionnel. Comme vous le savez, la concrétisation des plans a connu un peu de retard. On a quand-même réussi à mener des actions.
Justement, quel bilan tirez-vous de votre mandat à l’heure du départ ?
Pour le retour à l’ordre constitutionnel, on a travaillé avec le CNT, la Cour suprême, la société civile en créant un cadre de dialogue structurel pour sa participation à la gouvernance du pays. Mais l’autre partie de mon portefeuille, la plus grande, c’est tous les projets très nombreux de coopération. L’Union européenne est le plus grand partenaire au développement de la Guinée, nos interventions sont nombreuses et diverses.
Qu’est-ce-que cela représente en termes d’enveloppe financière ?
Cela dépend des années et la manière de calculer. Par exemple, 2021-2025 c’était 240 millions d’euros de dons, qui ne sont pas des prêts concessionnels. Il y a d’autres projets qu’on a entamés avant. En tout, on parle d’un budget actif d’environ 700 millions d’euros. Ce qui est énorme. Le but est toujours le même : améliorer le quotidien des Guinéennes et Guinéens. Dans le domaine de la santé, on clôture les projets PASA 1 et 2 [Projet d’appui à la santé] en Guinée forestière. Il s’agit de construire des infrastructures médicales. On intervient dans l’énergie, pour les lignes de transmission ; dans l’enseignement professionnel ; la gestion de déchets avec notre projet phare SANITA villes propres…Nous tenons particulièrement à l’accès à l’eau potable dans le Grand-Conakry.

S’agissant de l’assainissement, quels sont les défis à relever ?
Ils sont énormes. L’assainissement, ce n’est pas seulement une question d’esthétique, mais de santé publique. Et il y a encore beaucoup à faire en Guinée. Donc, nous avons été très actifs, avec nos projets et initiatives : le nettoyage de plages, avec la communauté ; les écoles notamment et la commune. Hormis trouver une stratégie nationale (qui consiste à mettre en place toute la chaîne de collecte, de tri, de valorisation), le plus grand défi, c’est la mentalité. Et ça, chaque Guinéen peut y contribuer. Il ne faut pas attendre que le gouvernement arrive avec de grandes politiques et les mette en œuvre. Il faut commencer par soi-même.
Je prends l’exemple du sachet plastique. Je déteste les petits sachets d’eau, pour une simple raison : ils sont partout. Les gens boivent et les jettent par terre. C’est tellement répandu ! C’est un geste petit, banal, mais c’est ainsi qu’on se retrouve avec des milliers de sachets plastiques dans la mer, qui sont ensuite ramenés sur les plages. Ils sont partout : dans la rue, les caniveaux…
Il y en a tout un tas d’autres déchets. Il n’y a pas encore une infrastructure très développée pour les poubelles, pour le ramassage des ordures, etc. Mais il y a déjà les bases, et il faut vraiment sensibiliser et faire son devoir de citoyen : garder son environnement propre, apprendre aux enfants et aux jeunes à le faire. Cela va, un jour, vraiment faire une différence. C’est cela, à mon avis, le plus grand défi. A l’Union européenne, nous pouvons montrer l’exemple et soutenir les infrastructures. Mais la mentalité, c’est à vous de la changer.
Les autorités avaient normalement interdit la vente, la fabrication de plastique. Mais on a l’impression que ce n’est pas mis en œuvre
La mise en œuvre prend du temps. On était contents de voir cette loi sur le plastique adoptée. Il y a beaucoup d’exceptions là-dedans. Il me semble que les sachets en plastique et les pochettes d’eau sont aussi exemptés, malheureusement. Même quand les lois sont absolument impeccables, il faut les mettre en œuvre. Mais comme je l’ai dit, ce n’est pas un sujet que les autorités seules peuvent résoudre. On ne peut pas mettre un policier derrière chaque citoyen pour vérifier s’il jette sa poubelle là où il faut. On peut fixer des amendes et d’autres mesures pour décourager l’incivisme. Mais un changement plus profond vient avec le changement de mentalité, lorsque les gens comprennent qu’ils doivent eux-mêmes s’occuper de leur environnement.

L’hypothèse du déplacement de la décharge de la Minière à Kouria (Coyah), avec l’aide de l’Union européenne, était sur la table. Mais on a du mal à voir le projet sortir de terre
J’ai moi-même visité la décharge, c’est vraiment horrible. C’est une menace pour la santé publique. J’espère que des mesures vont être prises assez rapidement pour déjà diminuer les effets néfastes. Mais aussi, à plus long terme, déblayer cet endroit. Des enfants travaillent au sommet de la décharge, inhalent les fumées toute la journée. Ils ramassent des déchets pour les revendre et subvenir à leurs besoins.
Nous allons construire un Centre d’enfouissement technique temporaire à Zacopé [dans la commune de Manéyah], qui va permettre de diminuer les déchets qui arrivent à la décharge. A plus long terme, dans notre projet SANITA [Programme de développement et d’assainissement urbain couvrant la capitale et Kindia], nous allons construire un Centre très moderne de recyclage et de traitement des déchets à Baritodé [préfecture de Coyah].
La transformation est très importante. Dans notre projet, il y a des jeunes qui ont trouvé comment valoriser les déchets. Dans ce projet, on fait la collecte par des PME, dont une partie est valorisée. Il y a le plastique, le métal, différentes matières. C’est une excellente nouvelle de voir qu’on peut gagner de l’argent en valorisant les déchets. (La suite et fin, demain samedi 19 juillet).
Entretien réalisé par
Diawo Labboyah Barry et
Mariama Dalanda Bah