« Les promesses n’engagent que ceux qui y croient. » Cette maxime semble tristement résumer la trajectoire politique de la Guinée depuis le coup d’État militaire du 5 septembre 2021, mené par le colonel Mamadi Doum-bouillant, devenu général et Prési de la transition. Si beaucoup de Guinéens avaient vu dans la chute d’Alpha Grimpeur un souffle d’espoir, une rupture avec l’ordre ancien et corrompu, la suite des événements démontre qu’un changement de visage ne suffit pas à transformer en profondeur le système politique guinéen.

Près de quatre ans après la prise du pouvoir, la promesse d’un retour rapide à l’ordre constitutionnel est devenue un mirage. Annoncée en 2022 pour une durée de 24 mois, la transition semble suspendue dans son envol. Les étapes censées conduire aux élections (recensement, réforme de l’état-civil, rédaction d’une nouvelle Constitution, organisation du référendum, etc.) avancent à pas lents, quand elles ne sont pas gelées.

Si le projet de nouvelle Constitution a été enfin publié, il fait l’impasse sur un point essentiel de la Charte de la transition : l’engagement formel que Mamadi Doum-bouillant ne se portera pas candidat à la présidentielle. Une omission lourde de sens, qui alimente les soupçons d’une transition taillée sur mesure pour ouvrir la voie à toutes les possibilités. Le Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD), organe politique de la junte, gouverne sans réel contre-pouvoir ni débat démocratique. Les partis politiques sont muselés, les manifs interdites ou réprimées, et les figures de l’opposition régulièrement harcelées, arrêtées ou poussées à l’exil.

Protéger plutôt qu’administrer

Un pouvoir de plus en plus autoritaire, la répression érigée en mode de gouvernance. Sous couvert d’« assainissement » ou de lutte contre la corruption, le régime multiplie les arrestations arbitraires et les poursuites sélectives. Derrière la rhétorique de reddition de compte, d’aucuns y voient surtout une instrumentalisation de la justice pour écarter des adversaires et s’imposer dans la durée. Le pouvoir verrouille progressivement tous les canaux d’expression politique.

Mamadi Doum-bouillant, qui avait juré de ne pas se présenter à une éventuelle élection présidentielle, ne donne aucun signe concret de vouloir quitter le pouvoir. Son silence stratégique, sa posture nationaliste et ses discours grandiloquents sur la « souveraineté » rappellent tristement les méthodes des anciens autocrates africains qu’il disait vouloir nous débarrasser.

Les manifs sont interdites ou brutalement dispersées, des leaders de la société civile arrêtés, des journaleux inquiétés. Ceux qui, au départ, ont cru en une refondation nationale, sont désormais traités en ennemis de l’État. Mamadi Doum-bouillant, qui était arrivé en libérateur, épouse les réflexes des ceux qu’il devait combattre. Le pouvoir fascine, dit-on. Il semble surtout corrompre. Faut-il rappeler que les bidasses ne sont pas faits pour gouverner ? L’armée a pour mission de protéger, non d’administrer. Quand elle s’accroche au pouvoir, l’histoire enseigne qu’elle l’exerce mal, dans l’opacité et la brutalité.

Un peuple sans voix ni pouvoir

La transition n’est plus de passage, elle s’enracine. Le discours de rupture s’est figé dans la langue de bois. Le pouvoir cherche moins à réformer qu’à durer, au nom de la « refondation ». Le peuple guinéen, longtemps méprisé par ses élites politiques, se retrouve à nouveau dépossédé de sa souveraineté. Le danger n’est pas seulement un régime qui s’éternise, mais l’autoritarisme populiste qui parle au nom du peuple sans lui donner ni voix ni pouvoir.

L’histoire politique de la Guinée est jalonnée de coups d’État, de promesses de rupture, suivies de déception. Le régime actuel pourrait bien s’ajouter à cette litanie s’il ne prend pas un tournant démocratique fort, transparent et inclusif. La Guinée a besoin d’un avenir, pas d’un éternel présent militarisé.

Au lendemain du coup d’État, le général Doum-bouillant jurait de « rendre le pouvoir au peuple », de réformer les institutions et de poser les bases d’une démocratie solide. Mais rapidement, le vernis s’est craquelé. La durée de la transition, unilatéralement fixée, échappe à toute concertation sérieuse. La gouvernance exemplaire promise s’est révélée opaque et centralisée. Un règne sans partage: les partis politiques marginalisés, les contre-pouvoirs neutralisés, les voix dissidentes étouffées.

La Guinée n’a pas besoin d’un homme providentiel mais d’institutions solides, d’élections crédibles, de libertés garanties et de dirigeants responsables. Il est encore temps pour le Prési de la transition de tenir parole, d’organiser un retour rapide à l’ordre constitutionnel.

À défaut, il portera, devant l’histoire et le peuple, la lourde responsabilité d’avoir trahi un espoir historique. Et la transition guinéenne ne restera pas comme un moment de renaissance, mais une parenthèse sombre, une nouvelle déception d’une longue série.

Mandjou Kouyaté