Peut-on étudier sans livres ? Est-ce possible de se passer de ces précieux instruments du savoir que sont les livres et réussir ses études ? Bien sûr que non. Les livres constituent l’instrument privilégié pour l’éducation, la formation et la culture. Mais voyons ce qu’il en est dans l’enseignement chez nous.

Dans le pré-universitaire, les bibliothèques scolaires sont rares. Là où on en trouve, c’est juste pour la forme : elles sont dotées d’un fonds documentaire rudimentaire et d’un personnel non qualifié.

Dans l’enseignement supérieur, je limite mon propos aux bibliothèques des universités publiques. Bibliothécaire à la retraite, je mets à profit mes vieux jours pour écrire. Je suis auteur de huit ouvrages, dont deux sur les bibliothèques. J’éprouve d’énormes difficultés à écouler quelques exemplaires.

A l’Université Gamal Abdel Nasser, après plusieurs mois de démarches, la responsable de la bibliothèque me dit en substance : « La bibliothèque n’a pas de crédit de fonctionnement et mon Recteur n’est pas prêt à dépenser de l’argent dans des livres. Mais par solidarité professionnelle, je vais acheter de ma poche cinq exemplaires, à condition que tu fasses un rabais de 20 000 fg sur 100 par volume. » Marché conclu.

Entre temps, un ressortissant de Kankan a construit une bibliothèque de lecture publique de 13 000 volumes et m’a fait signer un contrat de six mois pour l’organisation et sa mise en train. Je profite de mon séjour pour rencontrer les autorités de l’université, le Directeur de la bibliothèque et les responsables de l’école des bibliothécaires appelée ici « École supérieure des sciences de l’information (ESSI) ». Enthousiaste, le Vice-Recteur donne des instructions aux Directeurs de l’ESSI et de la bibliothèque de préparer une facture pro-forma pour acheter la quantité de volumes nécessaires pour la bibliothèque. Le Recteur reçoit la facture portant sur 80 volumes pour un coût de 6 250 000 fg, il l’oriente au Secrétaire général pour exécution.

Une semaine après, ce dernier me reçoit et me tient ce propos : « Le Conseil de l’université a tablé sur ta facture, il a décidé de ne rien acheter. Notre bibliothèque est pleine de romans que les étudiants n’exploitent pas, alors à quoi bon acheter des livres pour des gens qui ne lisent pas ? Ce serait jeter de l’argent par la fenêtre. » Je lui fais remarquer que mes livres ne sont pas des romans, mais des manuels d’apprentissage. Rien n’y fait. Des étudiants me confient : « Comment voulez-vous que nous fréquentions une bibliothèque au fonds de livres périmés, qui ne satisfait en aucune manière nos besoins de formation. Nous sommes tenus de nous contenter de nos téléphones et ordinateurs pour nos recherches documentaires. »

Le Directeur de la bibliothèque m’avait prévenu plus tôt : « Monsieur Bilivogui, si vos livres sont achetés, ce serait par miracle. Notre bibliothèque vit exclusivement de dons de livres. Dans la subvention annuelle de l’université, il n’y a pas un kopeck alloué au fonctionnement de la bibliothèque. »

De retour à Conakry, je rapporte mes démarches infructueuses à un vieil ami, professeur à la retraite, qui a servi auparavant comme Secrétaire général à l’Université de Kankan. Il en sourit, puis me raconte une anecdote : « Lorsque j’ai été nommé Secrétaire général il y a plus de vingt ans, un collègue de Kankan m’a conseillé de laisser mon salaire à Conakry, le budget de l’Université y comblerait largement. »

C’est dire que l’argent existe bel et bien dans les universités publiques, c’est l’usage qu’on en fait qui pose problème.

Il s’avère que la gestion des bibliothèques est le cadet des soucis des autorités universitaires. Alors Messieurs les Ministres de l’Enseignement pré-universitaire et de l’Enseignement supérieur, s’il vous plaît, veuillez prendre des mesures pour réformer le secteur documentaire de vos départements respectifs pour le bien des élèves, des étudiants et des enseignants-chercheurs.

Walaoulou Bilivogui