La réduction progressive de l’Aide publique au développement (APD) impose de repenser les modèles de financement du développement en Afrique. La présente tribune met en lumière le rôle stratégique de la diaspora africaine comme premier bailleur du continent, en s’appuyant sur des données récentes et des exemples concrets. Il plaide pour une meilleure valorisation de ses apports financiers à travers le développement local et l’équité nationale.
Pendant plusieurs décennies, l’Afrique a orienté ses stratégies de développement autour de l’aide publique au développement (APD). Or, en 2024, l’APD nette mondiale a diminué de près de 9 % par rapport à 2023, et les projections pour 2025 annoncent une baisse pouvant aller jusqu’à 17 % (OCDE, 2025). La fermeture récente de l’USAID et son absorption par le Département d’État américain illustrent cette tendance de désengagement (Axios, 2025). Face à cette situation, de nombreux observateurs s’inquiètent. Pourtant, un autre acteur se révèle être un levier incontournable : la diaspora africaine, dont les transferts financiers dépassent désormais les apports combinés de l’APD et des Investissements directs étrangers (IDE).
La diaspora, un pilier financier stable
En 2024, les transferts de fonds des diasporas vers l’Afrique ont atteint environ 95 milliards USD (RemitSCOPE, 2024). À titre comparatif, ces flux dépassent largement les financements des bailleurs de fonds traditionnels. En Guinée, par exemple, les envois de fonds ont représenté environ 497 millions USD en 2023 (TheGlobalEconomy, 2024). Ces chiffres démontrent que la diaspora constitue le premier bailleur du continent africain. Contrairement aux financements extérieurs conditionnés et souvent instables, les envois de fonds de la diaspora sont réguliers, résilients et directement connectés aux besoins des familles et des communautés locales (Banque mondiale, 2023).

La diaspora africaine joue un rôle crucial dans le développement socio-économique de leurs pays d’origine. À travers diverses initiatives et programmes, les contributions des membres de la diaspora se manifestent dans des secteurs clés tels que l’agriculture, la santé, l’éducation et les infrastructures. Les quelques exemples cités ci-dessous montrent la façon dont certains pays valorisent des apports de la diaspora, illustrant comment ces efforts contribuent à la création d’emplois, à l’amélioration des services sociaux de base et au financement de projets stratégiques.
- Sénégal : Le Programme d’appui aux initiatives de la diaspora (PAISD) a soutenu des projets dans l’agriculture, la santé et l’éducation. Ces initiatives ont contribué à créer des emplois locaux et à améliorer l’accès aux services sociaux de base (République du Sénégal, 2017).
- Maroc : Avec plus de 11 milliards USD de remises par an, le Maroc a mis en place des dispositifs comme MRE-Invest pour canaliser ces fonds vers l’entrepreneuriat et l’investissement productif. Cette stratégie renforce la balance des paiements et soutient la création d’entreprises locales (Banque mondiale, 2023).
- Éthiopie : Les obligations de la diaspora ont permis de mobiliser des capitaux pour financer le Grand Barrage de la Renaissance, un projet stratégique d’indépendance énergétique (Yishak, 2020).
- Mali : Les associations de migrants maliens, notamment en France, financent directement des infrastructures rurales (forages, écoles, centres de santé). Ces initiatives communautaires, bien que modestes, produisent des impacts immédiats et tangibles sur la vie des populations locales (Daum, 2019).
Renforcer les liens : accompagner la diaspora ici et là-bas
Pour que la diaspora devienne un véritable moteur de développement local et national, les États africains doivent aller au-delà des discours de reconnaissance symbolique. Il est temps de bâtir une politique publique structurée d’appui à la diaspora, à la fois dans les pays de résidence et dans les pays d’origine.

Dans les pays de résidence : valoriser les compétences et faciliter l’organisation économique
Les représentations diplomatiques et consulaires doivent être repensées comme de véritables guichets de services économiques pour la diaspora. Cela implique notamment :
- La création de cellules d’appui aux projets d’investissement dans les ambassades et consulats.
- L’organisation régulière de forums économiques de la diaspora.
- Le renforcement des mécanismes de protection des droits socioéconomiques des migrants.
- La mise en place de bases de données dynamiques recensant les compétences et les projets potentiels de la diaspora.
Le Maroc par exemple a restructuré ses consulats en Europe en mettant en place des Cellules d’appui aux Marocains résidant à l’étranger (MRE). Le Sénégal aussi organise régulièrement les Journées économiques de la diaspora sénégalaise.
Dans les pays d’origine : sécuriser les capitaux et encourager les projets structurants
Les États africains doivent créer un environnement propice, pour que les investissements de la diaspora soient sécurisés, rentables et à fort impact local. Cela suppose :
- La création de guichets uniques pour la diaspora.
- L’octroi de garanties publiques et d’incitations fiscales.
- La mise en place de fonds de co-investissement et de capital-risque.
- La priorisation des entreprises de la diaspora dans les marchés publics.
- L’accès facilité au foncier sécurisé.
En Éthiopie, un Guichet diaspora offre des incitations fiscales et des terrains industriels. Au Rwanda, le programme Diaspora investment window attire des capitaux dans des secteurs à forte valeur ajoutée.
Défis et perspectives
Malgré ce potentiel, plusieurs défis persistent : la sécurisation des investissements, la faiblesse des mécanismes incitatifs et l’inégale redistribution des ressources nationales. Il appartient aux États africains de créer un environnement favorable à l’investissement productif de la diaspora, tout en assurant une équité territoriale dans la répartition des richesses, en particulier celles issues des ressources naturelles.
Conclusion
La baisse de l’APD n’est pas une fatalité. Elle constitue au contraire une opportunité pour l’Afrique de miser sur ses forces internes. La diaspora, en tant que premier bailleur du continent, doit être considérée comme un partenaire stratégique. En valorisant ses apports financiers, en les orientant vers des secteurs productifs et en garantissant une redistribution équitable des ressources publiques, l’Afrique peut transformer un défi en levier de souveraineté et de prospérité.
Algassimou Poredaka Diallo
Expert en Développement Local
Fondateur et Gérant de Local Development Consulting, LLC
Références:
- Axios. (2025, 28 mars). USAID reorganization under the Department of State. Axios.
- Banque mondiale. (2023). Migration and Development Brief 39.
- Daum, C. (2019). Les associations de migrants maliens en France.
- OCDE. (2025). Cuts in Official Development Assistance: 2024 Report.
- RemitSCOPE. (2024). Africa: Remittances data and analysis.
- République du Sénégal. (2017). PAISD – Rapport d’évaluation.
- TheGlobalEconomy. (2024). Guinea remittances data.
- Yishak, A. (2020). Diaspora Bonds as a Development Financing Tool.


