Cellou Dalein Diallo a animé une conférence-débat samedi 11 octobre à l’Université de la Sorbonne, à Paris. Le président de l’UFDG (Union des forces démocratiques de Guinée) a décortiqué la situation sociopolitique et économique de l’Afrique de l’Ouest avec un accent sur la Guinée.

Devant un parterre d’étudiants africains notamment, Cellou Dalein Diallo a dénoncé le « paradoxe » de la gouvernance actuelle en Guinée. Selon lui, la prise du pouvoir par le CNRD (Comité national du rassemblement pour le développement), après le coup d’État ayant renversé Alpha Condé, portait initialement des espoirs, mais qui se sont rapidement transformés en désillusion. «Très malheureusement, la transition perdit son âme et la charte devait être un instrument d’apparat, évoqué pour justifier l’arbitraire plutôt que pour encadrer la vertu. Le dialogue national inclusif, qui devait constituer le cœur du processus de transition, ne vit jamais le jour. Les partis politiques représentatifs et les organisations de la société civile crédibles furent écartés. » Le leader de l’UFDG rappelle à cet effet la naissance de l’accord du 21 octobre 2022, qu’il considère comme un « arrangement diplomatique » entre le CNRD et la CEDEAO, sans réelle portée démocratique.

Une répression violente et ciblée

L’ancien Premier ministre a dénoncé une série de violences et d’exactions commises par les forces de l’ordre contre les opposants et les citoyens exprimant leur mécontentement. «Au moins 65 Guinéens ont été froidement abattus par les forces de l’ordre, alors qu’ils tentaient d’exercer un droit inscrit en bonne place dans la Charte de la Transition : manifester dans les rues et sur les places publiques. »

Il a aussi évoqué les disparitions forcées, citant les arrestations de figures du FNDC (Front national pour la défense de la Constitution) comme Omar Sylla, alias Foniké Menguè, et Billo Bah, arrêtés le 19 juillet 2024 alors qu’ils projetaient une manifestation contre la fermeture des médias critiques en Guinée. «C’est le cas notamment du journaliste Marouane Camara, qui a été kidnappé par la gendarmerie alors qu’il était dans sa voiture, de Sadou Nimaga (ex-secrétaire général du ministère des Mines Ndlr). Et après, on assiste à des kidnappings nocturnes de cadres, comme le cas d’Abdoul Sacko, président du Forum des forces sociales ; de l’ancien bâtonnier Maître Mohamed Traoré, torturé toute la nuit et laissé pour mort en pleine brousse. Le général Sadiba Koulibaly, arrêté, radié, jugé et condamné ; le colonel Célestin Bilivogui, qui a été enlevé à son bureau en plein jour. Neuf mois après, on convoque sa femme au camp, pour lui présenter son corps. Et tout récemment, le père du journaliste d’investigation Mamoudou Babila Keita. Et d’autres acteurs politiques et sociaux, tels que Mabory Barry et  Dr Mohamed Dioubaté. Aucune enquête sérieuse n’est diligentée pour retrouver ceux qui ont disparu ou pour identifier les auteurs des kidnappings »,a-t-il déploré Cellou Dalein.   Fustigeant aussi le bâillonnement de la presse et la suspension des principaux partis d’opposition notamment, à quelques semaines du référendum constitutionnel du 21 septembre dernier.

Richesse minière, pauvreté persistante

Abordant la situation économique, le leader de l’UFDG a dénoncé la contradiction entre la richesse minière de la Guinée et la pauvreté grandissante de la population. Selon lui, ces derniers temps, on assiste en Guinée « à une explosion de l’extraction et de l’exportation » des ressources minières du pays. Ajoutant que « la Guinée a exporté entre 2017 et 2024, 40 milliards de dollars de bauxite, 12 milliards d’or d’exporté entre 2017 et 2022. Pour l’année 2025, les exportations de bauxite atteindront 200 millions de tonnes, contre 20 millions en 2015. Mais ces exportations n’ont pas eu d’impact réel sur les conditions de vie en Guinée, car selon la Banque mondiale, 47% des Guinéens vivent sous le seuil de pauvreté en 2025, contre 43% en 2022, c’est-à-dire que la pauvreté s’aggrave, malgré ce flux financier généré par l’extraction et l’exportation de la bauxite. »

Cellou Dalein Diallo souligne que ces richesses servent à enrichir les dirigeants qui seraient « devenus les principaux investisseurs immobiliers en Guinée ». Selon lui, les ressources générées par les mines serviraient à « l’achat d’armes et d’équipement », pour « intimider et neutraliser toute volonté de contestation » du pouvoir en Guinée. Même que les richesses serviraient aussi « à l’achat des consciences des leaders d’opinion, pour qu’ils disent que Mamadi est l’homme providentiel, il faut qu’il garde le pouvoir. »

Du projet Simandou, qui générera 17 milliards de dollars d’investissements directs dans le pays ? Cellou Dalein s’est aussi prononcé sur le sujet. « De fin 2026 jusqu’en 2035, on exportera 60 millions de tonnes de fer. Au moment où on investit ce montant, la pauvreté augmente », affirme-t-il.

Des infrastructures dégradées et peu développées

S’exprimant sur les infrastructures routières, le leader de l’UFDG dresse un constat sévère. « Le réseau interurbain n’a pas connu une augmentation d’un seul kilomètre de route bitumée. Peut-être qu’il y a des investissements sur Coyah–Dubréka pour de la réhabilitation. Les réseaux non bitumés comme Yomou–N’Zérékoré ; Kankan-Kérouané–Beyla, Kindia–Télimélé-Gaoual; Boké-Gaoual… Il y avait des projets Labé-Mali-Kédougou (Sénégal) ; Lola-Danané (Côte D’ivoire) ; Odienné (Côte d’Ivoire)-Mandiana-Kankan. Il n’y a rien de nouveau. Même le réseau qui existait s’est dégradé, faute d’entretien. »

Une crise régionale aux répercussions mondiales

Selon Cellou Dalein, la dérive autoritaire en Guinée n’est pas un cas isolé, elle reflète une force régionale. « Depuis 2020, il a été enregistré six coups d’État militaires en Afrique de l’Ouest : deux au Mali, deux au Burkina Faso, un en Guinée et un au Niger. Cette irruption des militaires sur la scène politique, au motif de mettre fin à la mauvaise gouvernance et à l’insécurité, finit toujours par la confiscation du pouvoir, l’aggravation de la corruption, la restriction des libertés et des droits humains. »

Arguant que cette situation ne serait pas sans conséquence et ouvre la voie à la migration irrégulière. « Là où les transitions s’éternisent, où les élections sont confisquées, où les libertés sont étouffées, l’horizon se referme pour des millions de jeunes. Privés d’emploi, de perspective et de confiance dans la parole publique, ils quittent leur pays pour s’engager sur les routes du Sahara ou embarquer vers l’Europe. Au Mali, au Burkina, au Niger, plus de 3 millions de personnes ont été contraintes par les conflits à quitter leurs domiciles en 2023. La Guinée a été le premier pays africain demandeur d’asile en France. » Et cela, selon lui, fragilise aussi les démocraties occidentales. « Les passerelles se ferment, la xénophobie progresse et fragilise les démocraties européennes, prises entre leurs principes et leurs peurs. Ainsi, la mauvaise gouvernance qui pousse nos jeunes au départ devient, à distance, un ferment d’instabilité politique sur d’autres continents. »

Un appel à une gouvernance démocratique

Cellou Dalein a conclu son intervention par un appel à des politiques fondées sur l’État de droit et la dignité humaine, s’adressant aussi bien aux États africains qu’aux partenaires internationaux. «Il faut adopter d’autres politiques, fondées sur le respect de la loi, l’indépendance de la justice, la protection des droits et libertés citoyennes. Le pouvoir doit protéger la République, assurer l’intégrité territoriale. Aux organisations régionales et aux partenaires internationaux : la stabilité ne vaut rien si elle se construit contre le droit et contre la dignité humaine. La démocratie n’est pas une valeur importée, elle est la condition même de la paix durable et du développement partagé. Elle est le seul rempart contre les transitions sans fin et les fractures qui, de Conakry à Niamey, de Ouaga à Bamako, menacent de défaire nos sociétés », conclut le leader politique en exil.

Mariama Dalanda Bah