La Guinée vient de perdre l’un de ses plus brillants esprits, un pilier de la pensée critique et de la liberté de la presse. Albassirou Diallo, connu aussi sous le nom d’El-Béchir Diallo, est décédé à Dakar, laissant derrière lui une œuvre, une exigence morale et une empreinte intellectuelle rares. Paix éternelle à son âme.

Journaliste d’exception, intellectuel dense, homme d’une culture encyclopédique, El-Béchir Diallo appartenait à cette trempe d’hommes qui éclairent leur époque sans jamais chercher la lumière pour eux-mêmes. Sa disparition endeuille la presse guinéenne tout entière, ses confrères, ses amis, et bien au-delà, tous ceux qui croyaient encore à la force des idées, à la rigueur de la pensée et à l’indépendance de la plume.

J’ai eu l’immense privilège de travailler à ses côtés au journal L’Observateur, que nous avons fondé ensemble avec l’ancien ministre Tibou Kamara. Plus qu’une collaboration professionnelle, c’est une fraternité intellectuelle et humaine qui nous liait. Nous avons partagé les mêmes quartiers de Conakry, les mêmes débats passionnés, les mêmes indignations, les mêmes espoirs pour la Guinée. Avec El-Béchir, tout était discussion, profondeur, exigence.

En dehors de Tierno Monénembo, il était, sans exagération, l’un des hommes les plus cultivés que la Guinée ait portés. Sa conversation était une école, son raisonnement une leçon de rigueur, sa mémoire un trésor vivant. La dernière fois que nous avons échangé, au quartier T10, à son invitation, il m’avait suggéré d’écrire un livre sur lui, pour, disait-il avec modestie, “éviter de faire ses mémoires”.

Cette phrase, à elle seule, résume l’homme : immense, mais humble.Le parcours d’El-Béchir Diallo force le respect. Lauréat en mathématiques sous le régime de Sékou Touré, il fut victime de l’injustice historique de 1977, lorsque le pouvoir décida d’exclure les lauréats peuls des bourses de l’État. Contraint à l’exil, il se réfugia au Sénégal où il se distingua comme meilleur étudiant en mathématiques, avant d’obtenir une bourse pour la Belgique. Là-bas, il décrocha une agrégation en mathématiques, un doctorat en philosophie, ainsi que de nombreux autres diplômes, incarnant l’excellence intellectuelle africaine au plus haut niveau.

Mais El-Béchir Diallo n’était pas seulement un universitaire brillant. Il fut un combattant de la liberté de la presse. Du Lynx à L’Indépendant, puis à L’Observateur, il a marqué le journalisme guinéen par son style, sa liberté de ton, son refus de la compromission. Sa contribution à l’émergence et à la consolidation d’une presse indépendante en Guinée est tout simplement inestimable.

Son expertise et sa hauteur de vue faisaient de lui un homme régulièrement consulté à la Primature et dans de nombreux ministères. Il conseillait sans jamais se vendre, éclairait sans jamais flatter. Intellectuel engagé, mais jamais partisan, il restait fidèle à une seule cause : la vérité.

Marié à une femme juive, père de trois enfants, El-Béchir Diallo incarnait aussi l’ouverture, le dialogue des cultures et des civilisations, loin des replis identitaires et des dogmatismes étroits.

En ce moment de profonde tristesse, j’adresse mes condoléances émues à sa famille, aux héritiers du célèbre gendarme Abdoulaye Diallo, alias « Dis la vérité », à l’équipe du Lynx, de L’Observateur où je l’ai connu de près, et à l’ensemble de la presse guinéenne, aujourd’hui orpheline d’un de ses plus illustres défenseurs.

La Guinée perd un intellectuel majeur. La presse perd un pilier. Nous perdons un frère, un ami, un maître.

Qu’il repose en paix. Que la terre lui soit llégère.

Sambégou Diallo