Haïti partage avec la Guinée une étrange communauté de destin de « pays maudit». Si la Guinée est la première colonie francophone d’Afrique indépendante après son « Non » historique de 1958, Haïti est la première colonie française indépendante du monde et le premier pays noir à acquérir l’Indépendance. Cette indépendance est acquise dans la sueur et dans le sang, suite à une victoire sur l’armée puissante de Napoléon Bonaparte en 1804. La victoire éclatante sur Napoléon avait ouvert la voie à l’émancipation des noirs dans le monde. Pourtant, malgré leurs débuts prometteurs, tous les deux pays ont connu un sort malheureux. Comme dans le cas de la Guinée, Haïti a connu les représailles de la France après son Indépendance. Le pays était forcé de rembourser à la France la dette que celle-ci avait consentie pour le pays. Ce qui avait privé le pays de fonds nécessaires à son développement.
Comme la Guinée, Haïti se caractérise par la misère au milieu de l’opulence. La Guinée est riche de ses ressources naturelles, et Haïti est un ilôt de misère dans un océan de richesse, se trouvant à moins de deux heures de vol du paradis terrestre de Palm Beach en Floride. Mais, Haïti est de loin moins démunie que la Guinée qui se classe loin derrière, au 179e rang mondial des pays démunis du monde (sur un total 187 pays selon le PNUD). Haïti occupe le 168e rang mondial du développement humain, mais reste le pays le plus pauvre de l’Hémisphère Nord. Près de 80 % des 9 millions d’habitants vivent en-dessous du seuil de pauvreté (moins de 2 dollars par jour) et la moitié des Haïtiens sont en situation d’extrême pauvreté (moins d’un dollar par jour).

Mysticisme ou malédiction ?

Le mysticisme a été l’élément fondateur du mouvement révolutionnaire qui avait mené à l’émancipation des Noirs d’Haïti. Le mouvement fut lancé suite à une cérémonie de prières et de sacrifices considérée par plusieurs observateurs comme un  « Pacte avec le diable ». Les vœux des leaders furent exhaussés en ce sens que leur mouvement révolutionnaire avait connu un succès fulgurant qui donnera naissance à la première nation noire indépendante dans l’histoire du monde. La victoire marque aussi la première réussite d’une révolte d’esclaves dans l’histoire du monde. Contrairement à la révolte héroïque de Spartacus en l’an 71 avant Jésus Christ, qui s’était soldée par le martyr de Spartacus et la pendaison de 6000 de ses disciples le long de la route entre Rome et Capua, les Haïtiens avaient vaincu l’une des armées les plus puissantes du monde pour arracher leur Indépendance.
La révolte contre les esclavagistes commence quelques jours après la cérémonie de sacrifice, dans la nuit du 21 au 22 août 1791.  C’est une cérémonie vodou organisée dans une forêt appelée « Bois Caïman ». La lutte est dirigée par Dutty Boukman qui avait officié la prière de sacrifice. D’ailleurs, Boukman périra dans le combat et sa tête sera exposée comme un trophée par l’armée de Napoléon pour servir d’avertissement à d’autres esclaves fauteurs de troubles. Mais, le mouvement initié par Boukman prend de l’ampleur car ses lieutenants prennent la relève. Un parmi eux, François Dominique Toussaint, se distinguera par sa maitrise de la stratégie et tactique militaires et mènera le combat jusqu’à la victoire. Il est considéré comme le Napoléon des Noirs. Les soldats français disaient de lui : « cet homme fait ouverture partout ! » On le surnomma dès lors « l’ouverture » d’où son nom Toussaint l’Ouverture. Le 29 août 1793, il lança la proclamation suivante : « Frères et amis. Je suis Toussaint L’ouverture ; mon nom s’est peut-être fait connaître jusqu’à vous. J’ai entrepris la vengeance de ma race. Je veux que la liberté et l’égalité règnent à Saint-Domingue [nom de l’Haïti avant l’Indépendance]. Je travaille à les faire exister. Unissez-vous, frères, et combattez avec moi pour la même cause. Déracinez avec moi l’arbre de l’esclavage. Votre très humble et très obéissant serviteur, Toussaint Louverture, général des armées du roi, pour le bien public. » Toussaint sera kidnappé par les Français en juin 1802 et déporté en France où il mourra de froid et de privation dans une cellule de prison. Son bras droit, Jean-Jacques Dessalines, prendra la relève pour mener la lutte jusqu’à la proclamation de l’Indépendance le 1er janvier 1804.
Par la suite, Haïti connaitra la guigne pour la plupart de son histoire. Son émancipation politique ne se traduira pas en progrès économique, politique et social. Le pays, qui vit à la traine depuis son Indépendance il y a plus de 200 ans, reste le pays le plus pauvre de l’Hémisphère Nord. Certains expliquent ce fait par une malédiction de Dieu liée au pacte que Boukman et ses condisciples avaient scellé avec le diable en vue de remporter la victoire presqu’impossible contre l’armée superpuissante de Napoléon Bonaparte. Ils considèrent qu’à travers cette cérémonie, les ancêtres des Haïtiens auraient remis le destin de la nation au diable, (les Loas d’Afrique) afin de forger une alliance de sang avec des puissances diaboliques pour assurer leur victoire. D’ailleurs, des Haïtiens se rendent parfois sur les lieux de la cérémonie pour prier Dieu de mettre fin à la mainmise du diable sur le devenir de la nation.
Depuis la cérémonie du  « Bois Caïman », les pratiques vodou font recette en politique. Cependant, l’expérience d’Haïti démontre que si les fétiches facilitent la victoire personnelle d’un président et de son régime, ils ne garantissent pas pour autant le succès pour son pays. D’ailleurs, la relation est inversement proportionnelle. Plus le président et son régime gagnent en puissance mystique, plus le pays croupi dans la misère et la malédiction. Autrement dit, les fétiches aident celui qui les utilise, mais ne contribuent pas à l’intérêt général. Après une Indépendance glorieuse, au lieu du bonheur et la prospérité attendus, Haïti connait une succession de dictatures sanguinaires et de désastres. Les rares périodes de répit par rapport aux dictatures sont assorties de fléaux naturels dévastateurs, comme le tremblement de terre de 2010.

Parallèle avec la Guinée

Alors que l’heure de la consécration sonnait pour Sékou Touré, devenu chef du gouvernement de la Loi-Cadre en 1957 après une longue lutte de conquête du pouvoir, François Duvalier (surnommé «Papa Doc») prenait les rênes des destinées d’Haïti. Les deux leaders avaient en commun leur mysticisme et l’instrumentalisation des divisions ethniques. Jean-Claude Duvalier fut un prêtre vodou et sa dictature sanguinaire reposait sur la sorcellerie pour le maintien et la pérennisation de son pouvoir de terreur. S’appuyant sur la majorité noire, ennemie des mulâtres, Papa Doc règne sans partage dans un régime de terreur et de corruption soutenu par sa milice privée, les «Tontons macoutes». A sa mort en 1971, son fils Jean-Claude Duvalier (surnommé «Baby Doc»), qui a seulement 19 ans, lui succède. Après quelques hésitations au début, il suit les traces de son père et pousse la dictature au point de provoquer un soulèvement populaire. En 1986, il est obligé de quitter le pouvoir et de se réfugier en France, après avoir mis le pays à genoux.

Un opposant historique…

La longue période de transition qui suivra sera émaillée de troubles et de plusieurs coups d’Etats militaires. Emerge alors un « opposant historique » qui s’en était pris au régime de Baby Doc. L’opposant était aussi un prêtre charismatique aux « mains propres  » qui représentait l’espoir d’un départ nouveau pour Haïti. Jean-Bertrand Aristide, puisqu’il s’agit de lui, sera donc « le premier président démocratiquement élu » d’Haïti en 1991. Mais, il aura à peine le temps de se poser sur le fauteuil présidentiel, car un coup d’Etat militaire le chasse presqu’aussitôt. Il a fallu la pression des Etats Unis, qui avaient menacé l’usage de la force (Operation Uphold Democracy) pour le rétablir à la Présidence en 1994. Il règnera tant bien que mal de 1994 à 1996, et sera réélu en 2000. Mais, ses dérapages anti-démocratiques déçoivent même ses plus ardents soutiens. Il déçoit tout le monde par la corruption, la fraude électorale, et les violations des droits de l’Homme. Pour s’accrocher au pouvoir, il recrée des milices appelées « chimères » qui installent le régime de terreur que le pays avait connu sous les « Tontons macoutes ». Avec le soutien des Etats-Unis et de la Jamaïque, l’armée est priée de dégager Aristide, le « premier président démocratiquement élu » qui a déçu l’espoir des Haïtiens. C’est le général Collin Powell qui donnera la raison du putsch contre Aristide au Congres : « n’a pas géré le pays démocratiquement et n’a pas du tout bien géré le pays ». Aristide sera exilé de force en République centrafricaine puis en Afrique du Sud, et cela avait ouvert la voie à une nouvelle transition démocratique.
Comment un pays avec un passé aussi glorieux, qui a eu la particularité de mener la première révolte d’esclaves réussie de l’histoire et de mettre en déroute l’armée de Napoléon, une superpuissance de son temps en est-il arrivé à cette situation ? Même à un moment de paix relative, en janvier 2010, la malédiction a frappé avec un puissant tremblement de terre. Le fléau était si violent qu’il avait l’air d’un bombardement aérien de très forte intensité. Résultat : 222.500 morts. Suite au tremblement de terre, des chefs religieux occidentaux, notamment le révérend américain Pat Robertson avait blâmé « le Pacte avec le Diable » qu’Haïti avait scellé pour avoir son Indépendance. Il explique : « Il y a longtemps, un évènement a eu lieu en Haïti et les gens ne veulent pas en parler. Ils étaient sous la domination française, de Napoléon Bonaparte, et ils se sont réunis pour sceller un pacte avec le diable. Ils ont dit : « nous te servirons si tu nous aides à nous libérer des français. Le diable a répondu : d’accord, marché conclu ».
Suite au tremblement de terre de janvier 2010, le chroniqueur haïtien, Pierre Marcellus Thelemaque, s’interrogeait à juste titre : « Qu’a fait ce pays pour mériter toutes ces malédictions qui s’abattent sur lui les unes après les autres ? Si ce n’est pas un déluge, c’est une crise politique sans fin, une sécheresse sans nom, des ouragans dévastateurs, des pluies diluviennes, un tremblement de terre désastreux. La population la plus pauvre et la plus démunie de l’Hémisphère Nord. Une nation affligée, depuis plus de 2 siècles qu’elle existe, de malheurs alors qu’à la porte à côté, en République dominicaine, y règnent l’ordre, la modernité et le progrès. Même les désastres naturels semblent éviter Saint Domingue pour s’acharner sur le frère jumeau ». Pierre Marcellus attribue la malédiction de son pays au manque accru de leadership. Il écrit : « la médiocrité du leadership et l’oppression de la population par la classe dirigeante conduisent inexorablement à la misère, aux guerres, à la destruction de l’environnement et partant aux catastrophes. Depuis l’indépendance, la République d’Haïti est à la merci de catastrophes humaines répétitives et aussi sous l’assistance des pays occidentaux. Mais, le pays n’a jamais constitué d’hommes et de femmes honnêtes, crédibles, consciencieuses et aimant leur patrie. »

Connexion mystique …

Y aurait-il un lien entre la malédiction haïtienne et celle de la Guinée ? Les recherches de l’historienne Sylviane Diouf sur «Les Musulmans africains rendus esclaves aux Amériques » permettent d’établir un lien entre le sort de la Guinée et celui de l’Haïti. Le lien est le leader de la révolution haïtienne Dutty Boukman ou Zamba (Samba) Boukman, un esclave né dans la colonie anglaise de la Jamaïque. Boukman aurait vraisemblablement une ascendance guinéenne. Son nom proviendrait de l’appellation « Homme du Livre » (Bookman en Anglais) qui lui fut donnée puisqu’il était assidu dans la lecture d’un livre. On rapporte qu’il lisait le livre « souvent renversé », ce qui a fait croire que le livre en question était le Noble Coran qui se lit de la droite vers la gauche et dont les chapitres sont arrangés à l’inverse des livres occidentaux. Sur la base de ces faits, une théorie soutient que le fondateur du mouvement de la lutte pour l’Indépendance d’Haïti fut un musulman qui trace ses origines en Afrique de l’Ouest (probablement la Guinée ou le Sénégal).
Les actions de Boukman rappellent les pratiques religieuses en Guinée, où chaque évènement important est précédé d’une grande prière de lecture de Coran et de sacrifices. Afin de préparer la révolution, Boukman avait convié plus de 300 esclaves pour organiser une grande prière de sacrifice avant de lancer la lutte pour l’émancipation et l’Indépendance d’Haïti. Comme en Guinée, la cérémonie est organisée chez l’Imam de la contrée. Dans le cas d’Haïti, la cérémonie a lieu dans une forêt appelée « les Bois chez l’Imam » (en créole Haïtien « bwa kay imam ») dont la transcription française fait « Bois Caïman » malgré le fait même que l’endroit ne comporte aucun point d’eau pour abriter des caïmans. La personne qui assiste Boukman dans la cérémonie s’appelle curieusement Cécile Fatiman (Fatoumata en termes guinéens). La date choisie est le 14 août 1791 qui correspond au 14 Dhou Al-Hijja 1205 dans le calendrier lunaire musulman et qui est aussi la date du dernier jour de l’Aïd-el-Kebir (fête du sacrifice), la fête qui marque la fin du pèlerinage à la Mecque et qui est célébrée par le sacrifice d’un animal (un bélier) à la gloire de Dieu.
Mais contrairement à la tradition musulmane de sacrifier un bélier à la gloire de Dieu, le récit de la cérémonie fait état d’une cérémonie vodou qui sera conclue par un pacte avec des divinités africaines connues sous le nom de Loas. Comme en Guinée, la pratique de la religion en Haïti s’accommode d’un syncrétisme religieux qui consiste en une juxtaposition des pratiques du culte fétichiste et monothéiste. Il était donc possible que le culte vodou soit adapté aux cérémonies de prières islamiques. Boukman souscrivait déjà aux pratiques vodou, comme la plupart des esclaves musulmans qui finirent par adopter les religions locales. Donc, au lieu d’une cérémonie de sacrifice sur la base de lecture du Saint Coran, la prière organisée par Boukman était une cérémonie vodou et c’est Cécile Fatima (Fatoumata) qui jouera le rôle de mambo (prêtresse vodu). Un cochon noir est alors égorgé (une autre version parle d’un sacrifice humain) et son sang est bu par tous les participants avec l’espoir d’avoir le courage et la force mystique de combattre l’adversaire. Boukman demande aussi aux participants de passer le sang sur leur front pour avoir le don de l’invincibilité. Il explique le pacte avec les fétiches africains en ces termes : « en buvant du sang de ce cochon offert en sacrifice aux dieux (loas) africains, vous allez être braves et avoir la force pour combattre et en passant le sang sur vos fronts, vous deviendriez invincibles. Si vous mourrez pendant la lutte, vous aurez une autre vie, une vie meilleure et plus belle que celle que vous avez eu avant que l’homme blanc ne vous ait amené ici ». Cette cérémonie devient l’Acte fondeur du mouvement qui allait mener à l’Indépendance d’Haïti.

Haïtisation de la lutte politique en Guinée

De plus en plus en Guinée, le syncrétisme religieux (fusion de différents cultes religieux) devient acceptable et le mysticisme devient une arme pour la conquête et la préservation du pouvoir. En Haïti, la population pratique majoritairement le monothéisme (christianisme), mais près de 2/3 des Haïtiens pratiquent aussi le vodou. La Guinée a aussi une population très croyante, à majorité musulmane, mais qui pratique aussi le fétichisme. D’ailleurs, les politiciens guinéens sont souvent réputés bons musulmans ou chrétiens le jour et redoutables féticheurs la nuit. Les fétiches jouent un grand rôle dans la conquête et le maintien du pouvoir. Souvent les compétitions électorales se décident sur la base de force des pouvoirs mystiques des candidats. Dans un article de Jeune Afrique (la sorcellerie au cœur du pouvoir, paru le 10/07/2012), François Soudan classait le premier président guinéen parmi les chefs d’Etat africains qui ont fait recours à la sorcellerie pour assurer leur ascension politique et sociale : « À l’époque des partis uniques et des chefs omnipotents, jusqu’au début des années 1990, c’est avec sans excès de pudeur que les  « présidents à vie » s’entourent de marabouts et de féticheurs et adhèrent à des confréries devenues ipso facto des agences d’ascension sociale. Houphouët, Mobutu, Eyadéma, Ahidjo, Bokassa, Sékou Touré… La liste est longue, d’autant que la lutte politique, féroce et souvent sanglante, est volontiers assimilée à la traque des sorciers. » Le rôle du mysticisme dans la conquête et le maintien du pouvoir en Guinée pourrait expliquer pourquoi l’histoire se répète et les leaders s’en sortent avec des mensonges dans un pays qui se dit profondément croyant.

C’est Alpha Condé lui-même qui critique le rôle mystificateur du premier président guinéen. Dans son ouvrage : « La Guinée, Albanie de l’Afrique », il remarquait : « Dans les premières années de l’indépendance, M. Sékou Touré fut ainsi un élément essentiel de la domination de la bourgeoisie guinéenne. Mais à partir de 1963, les masses découvrent progressivement sa vraie nature, celle d’un agent mystificateur…Par ses discours, M. Sékou Touré endort la vigilance des masses populaires, « il vient au secours de la caste, cache au peuple ses manœuvres », il devient « l’artisan le plus ardent du travail de mystification et d’engourdissement des masses et ne manque pas à chaque fois de rappeler au peuple, les victoires qu’en son nom, il a remportées, signifiant ainsi aux masses, qu’elles doivent continuer à lui faire confiance. »
Un excellent article de Conakry Express en date du 19 août 2013 récapitule les témoignages du penchant du premier président guinéen pour les sacrifices humains en vue de préserver son pouvoir sur la base d’un pacte avec le diable. C’est Alpha Condé en personne qui donne le première témoignage dans son ouvrage « la Guinée Albanie de l’Afrique …». L’opposant historique révèle : « Les sacrifices humains, séquelles de la société patriarcale, n’ont pas totalement disparu. C’est ainsi que M .Sékou Touré, sous prétexte de lutter contre la corruption, a fait fusiller deux voleurs pour l’exemple ; la rumeur publique donna une toute autre interprétation à cet acte le « Karamoko » (c’est-à-dire le féticheur) lui aurait prescrit, avant d’entreprendre son grand périple mondial, de faire sacrifier deux hommes. »

Un autre témoignage vient du lieutenant-colonel Camara Kaba 41, dans son livre intitulé « Dans la Guinée de Sékou Touré : cela a bien eu lieu” qui rapporte : « Ce n’est pas Sékou seulement qui pratique le sacrifice humain mais aussi ses hommes de main et cela, du comité de base au sommet de la hiérarchie politique et même administrative, dans la conviction profonde d’être maintenus à leur poste. C’est ainsi qu’à travers tout le pays, au cours des ans, on a trouvé par-ci, par-là, des corps de femmes, d’hommes et d’enfants mutilés ; après quoi on accusait des tueurs venus de Sierra Léone, de Monrovia ou de Côte d’Ivoire ». D’autre part, dans son livre « Sékou Touré : un totalitarisme africain », l’auteur Maurice Jean soutient que c’est El Hadj Sinkhoun Kaba, beau-père du président et secrétaire général à la présidence qui était chargé des relations avec les marabouts et féticheurs alors que Lamine Béavogui, le père du Premier ministre Louis Lansana Béavogui officiait comme grand prêtre lors des sacrifices humains. La Cité de la Solidarité créée pour accueillir les handicapés et orphelins était devenue selon la croyance populaire et plusieurs sources dignes de foi, le grand pourvoyeur de sujets destinés aux sacrifices humains. Ce fait est confirmé par Nadine Bari dans son livre « Noces d’Absence » : « Ils savaient tous qu’on venait chercher un borgne, un boiteux ou un albinos pour le Responsable Suprême ou l’un de ses sbires. Nombreux étaient les handicapés qui ne passaient plus la nuit chez eux pour ne pas se trouver là au moment où l’on viendrait puiser dans le réservoir à sacrifices ».

Lansana Conté avait naturellement suivi les traces du premier président pour se protéger mystiquement et assurer la pérennité de son pouvoir. Il avait sa section mystique qui travaillait d’arrache-pied pour soit «attacher» la population, soit pour tétaniser l’opposition, confondre les étrangers (la communauté internationale) et les gagner à sa cause. Sous le régime de Conté, le mysticisme se manifeste plutôt sous forme de maraboutage à base de lecture du Coran, de sacrifices de bœufs et de mallettes mystiques.

Dans la compétition entre Dadis et Konaté pour la succession de Conté, ce sont les pouvoirs mystiques qui ont tranché. Le plus gros mystificateur du groupe de putschistes, Pivi Coplan, a penché pour la clique de Dadis et Konaté avait dû s’incliner devant le rapport de force qui n’était pas en sa faveur. Par la suite, le fétichisme sera érigé en mode de gouvernance. Dadis avait même dépêché une délégation dirigée par le ministre de l’Agriculture, le colonel Boureima Condé, auprès du Roi Mossi le Mogho Naaba Baogo, le 26 novembre 2009 pour renforcer sa protection mystique. Dadis avait multiplié les sacrifices rituels, tels que l’immolation de taureaux noirs dans des concessions ou aux carrefours aux heures de pointe, les services de la grande prêtresse de Gbassikolo protectrice de Kaloum, et des marabouts venus de tous les coins de la Guinée et des pays environnants.
Durant l’entre-deux tours, deux types de mysticismes se sont confrontés. D’un côté, il y avait le maraboutisme de Cellou Diallo qui multipliait les lectures de Coran et sacrifices de plusieurs dizaines de bœufs et de l’autre le fétichisme d’Alpha Condé qui se manifestait par la visite de tombes, le port de bagues bizarres aux relents mystiques, le sacrifice de taureaux noirs dans les carrefours. Il faut noter aussi des féticheurs freelance qui s’adonnaient à des crimes rituels afin d’obtenir des organes humains prisés pour les rituels de sorcellerie portant sur la conquête du pouvoir.

Suite à l’empoisonnement présumé des militants du RPG lors d’un meeting populaire, ce ne sont pas les docteurs qui furent sollicités pour les soins médicaux. Ce sont plutôt les adorateurs de Djinna Mansa (maitre des diables) qui étaient venus guérir miraculeusement les suppliciés. Dans la confrontation entre fétiches et Coran, les féticheurs l’ont remporté sur les Karamoko (marabouts). Quelques mois après l’investiture d’Alpha Condé, les féticheurs constitués de chasseurs traditionnels avaient investi la capitale où ils ont régné en maitres pendant plusieurs mois. Il était devenu courant de voir des chasseurs traditionnels, avec leur accoutrement bourré de fétiches, parader dans les rues de la capitale, verser des potions magiques dans les carrefours et crier des incantations « a bila, Alifa bila » pour, dit-on, désenvoûter le président. En plus du soutien des féticheurs africains, la presse fait état du soutien mystique et stratégique que le président Condé reçoit de la confrérie des francs-maçons en sa qualité de responsable de la Grande Loge Maçonnique de la Guinée.

Est-ce que l’irrationnel joue un rôle dans la malédiction guinéenne ? Dans le livre « la Voie Droite selon le Saint Prophète de l’Islam et de l’Ahl ul-Bayt», il est rapporté que l’Imam Bâqir a dit : « Il y a trois sortes d’oppression : celle que Dieu pardonne, celle qu’il ne pardonne pas et celle qu’il ne lâche pas. L’oppression que Dieu pardonne est celle qu’une personne s’occasionne elle-même et qui se trouve entre Dieu et elle-même ; l’oppression que Dieu ne pardonne pas est le fait d’attribuer des associés à Dieu (croyance aux fétiches, polythéisme) ; l’oppression que Dieu ne lâche pas est le fait d’opprimer les autres ». La Bible aussi interdit le polythéisme : « Nous savons qu’il n’y a point d’idole dans le monde, et qu’il n’y a qu’un seul Dieu. Car s’il y a des êtres qui sont appelés « dieux », soit dans le ciel, soit sur la terre, […] néanmoins pour nous il n’y a qu’un seul Dieu, le Père, de qui viennent toutes choses et pour qui nous sommes tout et un seul Seigneur, Jésus-Christ, par qui sont toutes choses et par qui nous sommes » (1 Corinthiens 8.4 6).

Jules Renard a dit : « la guigne ne s’acharne que sur la bêtise ». Au moment où il semble que Dieu tourne le dos à la Guinée, un devoir d’introspection s’impose. La Bible nous enseigne l’histoire d’un roi d’Israël appelé Saül dont le pays était versé dans la sorcellerie. Le prophète Samuel avait conseillé le roi Saül de suivre la loi de Dieu et de débarrasser le pays de l’emprise des magiciens fétichistes et sorciers. Saül avait suivi les conseils et restauré la croyance en un Dieu Unique. Israël avait retrouvé la voie du salut après plusieurs années d’incurie lorsque « chacun faisait ce qui lui semblait bon » (Juges 21.25). Mais Saül va s’égarer par la suite et renouer avec les pratiques de la sorcellerie pour résoudre ses problèmes politiques, tel que le raconte en détail Samuel. Dieu tourna alors le dos à Saül et à son pays. Malgré ses prières, le pays n’arrivera pas à vaincre ses ennemis et Saül connaîtra une fin tragique sur le champ de bataille du Mont Guilboa.

La Guinée est-elle en train de payer pour le péché de « Shirk » (le fait de nier l’unicité de Dieu et de lui trouver des associés qui est l’un des rares péchés difficiles à pardonner) commis par un aïeul lointain ? La malédiction de la Guinée est-elle liée au pacte que ses leaders ont scellé avec le diable pour assurer leurs victoires personnelles ? Pourquoi l’Histoire se répète-t-elle en Guinée ? Pour le Professeur Ousmane Doré, « ce sont peut-être toutes les impostures et les mensonges organisés et entretenus dans ce pays de croyants qui conduisent périodiquement aux étranges rendez-vous de la Guinée avec le Mal »

Bah Souleymane