Tout porte à croire qu’aucun argument moral, politique, économique et juridique ne pourra dissuader Alpha Condé et son gouvernement de faire passer, sous couvert d’un référendum, leur nouvelle constitution. Or, il ne fait aucun doute que la majorité des Guinéens, toutes ethnies confondues, s’oppose à ce projet ; qu’analysé à la lumière du bilan du gouvernement actuel, ce projet d’une nouvelle constitution ne peut être justifié.

Il est vrai que beaucoup d’hôtels ont été construits sous la présidence d’Alpha Condé. Mais de quelle utilité ceux-ci ont-ils été aux populations guinéennes, à la grande majorité qui lutte quotidiennement avec la vie : ces femmes qui accouchent dans des maternités semblables à des abattoirs, de ces Guinéens sacrifiés par un système d’éducation transformé en marché d’ignorance où la maximisation du profit s’est substituée à l’idéal de l’instruction et du savoir, de ces personnes qui ne reçoivent un service dit public qu’au prix d’humiliations, d’injures et d’extorsion, de ceux qui, parce qu’ils sont pauvres ou loin des réseaux du pouvoir, voient leurs vies abimées sous l’effet des injustices et des inégalités. Pour dire que la condition humaine s’est améliorée depuis dix ans en Guinée, il faut être un homme du pouvoir, c’est-à-dire donc ne rien connaître des situations de misère auxquelles est confronté le commun des mortels. Mais alors, comment expliquer un tel acharnement pour une nouvelle constitution ? Pourquoi investir énergie et argent dans un projet qui, de toute façon, n’apportera rien aux populations ? Pourquoi prendre le risque de l’instabilité et de la violence ?

Si le régime actuel n’entend pas raison, c’est parce qu’il bénéficie du soutien de l’armée. Voilà la source véritable de légitimité du gouvernement actuel et de tous les gouvernements précédents. Que l’armée retire son soutien ou que s’y expriment des voix dissidentes, on assistera à une fin de régime ou à une guerre entre les différentes fractions de l’armée. Il ne faut pas donc se leurrer : en Guinée, le gouvernement dit civil est en fait profondément légitimé par l’armée. En ce sens, le pays n’a pas rompu avec le régime militaire. Or, peut-on attendre de l’armée qu’elle prenne ses responsabilités, en fait, qu’elle soit vraiment républicaine au sens noble de ce terme qui la conduirait à défendre l’intérêt général ? L’idée n’est pas d’en appeler à un renversement du régime, mais seulement à se dissocier officiellement de ce qui ressemble à une instrumentalisation juridique pour un éventuel troisième mandat. L’institution de l’armée ne devrait pas être instrumentalisée à des fins politiques et surtout personnelles. Ainsi, la population guinéenne est en droit de s’attendre à ce que les responsables de l’armée questionnent le rôle qu’ils devraient jouer dans le développement politique et social du pays. L’espoir est que le privilège et le prestige qui entourent la possession du pouvoir en Guinée ne rendent pas l’armée indifférente à la souffrance historique et permanente des Guinéens : donc, que l’institution militaire assume sa part de responsabilité, pacifiquement et dignement ! Ainsi assumera-t-elle sa fonction républicaine. Quant aux ministres du régime actuel, esclaves de leurs privilèges et qui se rendent coupables par leur silence, il reviendra à l’histoire de les juger.