Dans son livre ‘’Alpha Condé, une certaine idée de l’Afrique”, le chef de l’Etat se défend d’avoir participé à cette attaque, qui l’a contraint à l’exil. Le Chef de l’État avait été condamné à mort par contumace dans la foulée de cette tentative de renversement du régime de Sékou Touré. Nous vous proposons un extrait de ces entretiens avec François SOUDAN.

François Soudan: Le 22 novembre 1970, un commando des forces spéciales portugaises appuyé par des opposants guinéens débarque à Conakry, avant d’être repoussé. Quelle a été votre réaction ?

Nous avons aussitôt publié un communiqué disant que si Sékou Touré était décidé à armer le peuple, nous serions prêts à le rejoindre pour nous battre contre les envahisseurs.

Donc vous avez condamné de manière claire cette tentative de débarquement ?

Non seulement nous l’avons fermement condamné, mais nous avons exclu le groupe de Siradiou Diallo du mouvement étudiant. Le problème, c’est que Sékou Touré nous a mis dans le même sac. Un jour, nous étions dans un café du Quartier latin, rue Soufflot, et plaisantions entre nous. Un ami me dit : “Et si Sékou Touré vous condamnait ?” “Attends, pourquoi va-t-il nous condamner ?” ai-je répondu. Le soir même, on m appelle d’Abidjan pour me demander: “Alpha, est-il vrai que vous avez été condamné à mort par contumace ?” J’ai vérifié, c’était exact ! Le professeur Alpha Sow et moi, qui étions radicalement opposés au groupe de Siradiou, avions été, comme eux, été condamnés à mort. Sékou Touré avait mis à profit l’agression du 22 novembre pour faire l’amalgame et se débarrasser de nous.

Quel effet cela fait-il d’apprendre qu’on est condamné à mort?

Pour moi, c’était une sinistre plaisanterie. Tout le monde connaissait la position de la FEANF. Nous avions condamné plus durement encore le débarquement que le PDG lui-même. Pour nous, cette condamnation était donc un non-événement.

Ça signifie très clairement que vous ne pouviez plus rentrer en Guinée?

Evidemment.

N’est-ce pas un déchirement ?

En quelque sorte. Je ne souhaite l’exil à personne. L’exil est très difficile à supporter. Etre coupé de sa famille pendant des années, ne pas voir ses proches, c’est très dur. Je me souviens qu’après ma condamnation beaucoup d’amis nous évitaient, sauf Barry Rafiou et Sidiki Kobele Keita [histoire guinéen], qui venait me voir quand il était à Paris et me donnait des nouvelles de la famille: « je ne suis pas d’accord avec toi à propos de Sékou Touré, me disait-il, mais tu es mon ami. « La plupart nous ignoraient.

Une fois, j’ai croisé un intime sur les Champs-Elysées. Je l’ai salué et il ne m’a pas répondu. Les gens avaient peur d’être vus avec nous et de passer pour des anti- régime. Ça fait mal de voir vos amis vous fuir pour ne pas être accusés. Même le parti communiste français s’est éloigné de nous. Aux yeux de ses dirigeants, Sékou Touré n’était pas différent de Gamal Abdel Nasser : c’était un progressiste qui méritait d’être soutenu, quels que soient ses défauts.

A partir de 1970, vous êtes donc clairement un opposant en exil. Reste le militantisme – et les voyages.

Tout à fait. Comme j’étais très actif sur tous les fronts, j’avais des liens étroits avec le parti Baas [panarabiste], dont l’aile gauche était dirigée par le général Salah Jedid. Les baasistes m’ont proposé de séjourner un peu en Syrie. “On ne sait pas ce qui va se passer en France, si on ne va pas t’embêter », m’ont -ils dit. Je suis donc parti pour Damas, où j’ai été accueilli par la direction du parti Baas: Salah Jedid, Kamel Hussein, Noured-dine al-Atassi. Tous les soirs, nous dinions ensemble. Nous allions, par exemple, sur la route de Beyrouth, où il y’avait de très beaux restaurants, près de chutes d’eau. J’ai visité toute la Syrie, d’Alep à Palmyre, et j’ai favorisé la tenue à Damas du premier congrès des étudiants mauritaniens. Puis je me suis rendu dans l’Albanie socialiste d’Enver Hoxha, dont j’ai parcouru toutes les provinces afin d’observer de près cette expérience originale d’autarcie néo-stalinienne.