La honte reste encore une valeur sûre chez nous. Le Président Grimpeur l’a montré l’autre jour devant les travailleurs du Port Autonome de Conakry, quand il a décrit l’état de propreté de la ville de Cona-cris : « Quand je vais à Kigali, j’ai honte. Vous ne pouvez même pas voir un petit morceau de papier à terre. Les rues sont plus propres que la plupart de nos appartements. Pourquoi ne pouvons-nous pas faire la même chose ? »
La réponse devrait venir d’abord de la Présidence de la République. Conakry s’est installée dans sa position peu enviable de capitale des ordures malgré la présence permanente d’un ministre de l’Environnement dans tous les gouvernements que ce pays a connus. Ceux qu’Alpha Condé a nommés sont tous ses amis. A un moment donné, la Première Dame elle-même a géré une ONG de ramassage d’ordures à Kaloum. Un beau matin, les travailleurs de cette ONG décident de répandre dans les rues de Kaloum les ordures qu’ils avaient ramassées la veille, sous prétexte qu’ils n’ont pas reçu leurs salaires. Depuis, beaucoup d’eau aura coulé sous les ponts, mais Alpha Condé a raison. Rien de fondamental n’a changé. La capitale guinéenne est toujours dégueulasse. Les efforts de ses amis turcs via la société Albayrak n’ont pas changé grand-chose.
Cependant, la Première République avait trouvé une solution au genre d’embarras auquel le Président de la République a fait face au Rwanda. A l’époque, la Guinée était obligée de ne se comparer qu’à elle-même. Pas aux autres ! Si Alpha avait grimpé sur ce principe avant de monter dans l’avion qui l’a emmené à Kigali, Kagamé n’aurait noté aucun froncement de sourcil sur le visage de son hôte. Hélas, le Président-Grimpeur a ignoré les enseignements de la révolution qu’il souhaite imiter.
Il faut espérer que la sale expérience de Kigali ne se répétera pas à Abidjan où il s’apprête à se rendre pour l’investiture d’Alassane Dramane Ouattara le 14 décembre. ADO et lui avaient inauguré deux ponts dans leurs capitales respectives, quasiment à la même période. Alpha Condé avait livré aux embouteillages de Conakry « le Pont de la Minière.» Il en avait profité pour rappeler aux Guinéens que Ratoma en général, la zone de Gnaari-Wada, en particulier, ne sauraient être que des ghettos. De son côté, le Président ivoirien avait inauguré le Pont de Marcory, un chef d’œuvre architectural de rang mondial. Il est impossible de passer par ce pont et arriver à un ghetto. Si au cours de son prochain voyage, Alpha Condé regarde le Pont Henri Konan Bédié avec le même appétit que les rues de Kigali, les choses risquent de tourner très mal. Psychologiquement, psychiquement parlant. Puisque sa propre investiture est prévue pour le lendemain 15 décembre, il lui est fortement recommandé de suivre le conseil des Ivoiriens selon lequel « z’yeux voient mais bouche ne parle pas.» Juste pour limiter les dégâts.
La querelle des comparaisons ne s’arrête même pas là. Le simple fait de regarder les Ghanéens voter lors du scrutin présidentiel et législatif de la semaine passée peut troubler un chef d’Etat élu le 18 octobre 2020. Au Ghana, tout le monde dans les rangs portait le masque, avec une distanciation absolument correcte. En Guinée, dès que l’on parle de mesures-barrières, il faut jeter un coup d’œil dans la rue. L’opposition est prête à marcher.
Faut-il alors demander au Président Grimpeur de bien vouloir ramener la Guinée là où le PDG l’avait laissée pour qu’elle ne se compare plus qu’à elle-même ? Si Alpha Condé le réalise comme il avait promis, il aura d’abord et avant tout à se comparer à lui-même. On l’a entendu dédier son mandat aux jeunes et aux femmes. On ne sait pas du tout si cette « générosité » a atteint ses objectifs envers les femmes adultes. Mais l’échec est patent envers les jeunes, surtout les jeunes filles. Edifiant ce que MK, une travailleuse du sexe, a rapporté à nos confrères du site www.guinéenews.org devant une boite de nuit de Kankan à l’occasion de la Journée internationale de lutte contre le Sida ! «Je viens de Conakry, j’ai fini mes études. J’ai fait la sociologie à l’université de Kindia. Je suis venue à Kankan il y a de cela 6 mois maintenant. Nous sommes nombreuses ici, on se débrouille dans cette activité du sexe. Si nous faisons ça, c’est parce qu’il n’y a pas de travail. Tout le monde sait que les Guinéens souffrent beaucoup. Nous n’avons pas un bon président ni un bon gouvernement. Après les études, les parents sont pauvres, ils ne peuvent pas continuer à nous prendre en charge, c’est ce qui nous pousse à venir travailler ici. On n’a pas trop le choix. Sinon, aucun parent ne serait heureux de savoir que sa fille, après les études, vend son corps. Si je gagne d’autres opportunités de travail, je vais abandonner celle- là.» Grand Dieu, il ne faut pas aller jusqu’à Kigali pour avoir honte !
DS