Les réseaux sociaux grand public et certaines messageries cryptées ont servi d’outils de mobilisation pour les militants pro-Trump lors de l’invasion violente du Capitole qui a causé la mort de cinq personnes, dont un policier. Dès la première semaine de janvier, des appels à commettre des actes violents, le jour de la certification de la victoire de Joe Biden, ont explosé sur les réseaux sociaux. Deux jours après les violences qui ont ébranlé les Etats-Unis, les réseaux sociaux sont clairement montrés du doigt, et désignés comme responsables des violences commises au sein du Capitole, le siège du parlement américain. Plusieurs jours avant l’insurrection, des appels en ligne à la mobilisation avaient été lancés par des militants pro-Trump radicaux, persuadés que l’élection présidentielle leur avait été volée. Facebook, YouTube mais aussi Twitter et des messageries cryptées comme Telegram ont ainsi servi d’outils de mobilisation, mais aussi de caisses de résonance aux appels à la violence.
Des lieux de rassemblements, des instructions pour éviter la police et des conseils pour « défoncer les portes du Congrès » ont ainsi été échangés en ligne quelques heures avant l’invasion du Capitole. « Cette incitation à la violence s’est profondément nourrie, organisée, et radicalisée en ligne. Tout cela était visible de tous. Tout le monde a été surpris par cette insurrection, et la violence de cette mobilisation, mais finalement tout cela était prévisible. Il y a eu plusieurs signaux d’alarme », explique Tristan Mendès-France, maître de conférences associé à l’université Paris-Diderot, spécialiste des cultures numériques.
Dès la première semaine de janvier, des appels à commettre des actes violents le jour de la certification de la victoire de Joe Biden, le mercredi 6 janvier, ont explosé sur les réseaux sociaux. Plusieurs vidéos postées sur TikTok par un internaute appelaient ainsi les pro-Trump, comptant se rendre à Washington, à prendre leurs « putain d’armes », selon Advance Democracy, une organisation américaine de recherche indépendante. L’une de ces vidéos, postée par cette plateforme très prisée des jeunes, a même cumulé près de 280.000 vues.
Les appels à la violence se sont également multipliés sur Twitter où pas moins de 20.800 comptes ont fait référence à la date du « 6 janvier », dans les jours précédant l’invasion du Capitole. La plupart appartenaient à la mouvance QAnon, une organisation « complotiste» qui repose principalement sur l’idée que Donald Trump est un héros qui se bat contre le « Deep State » («l’État profond »). La majorité des messages postés sur Twitter n’appelaient pas explicitement à la violence, qui fait l’objet de règles de modérations strictes sur le réseau, précise toutefois Advance Democracy. L’une des victimes des émeutes du Capitole, Ashli Babbitt, avait ainsi indiqué la veille sur Twitter sa volonté de participer au rassemblement prévu pour contester le résultat de l’élection présidentielle.
Le réseau social Facebook a probablement été l’un des principaux outils de communication dans l’organisation de cette « insurrection ». Des groupes pro-Trump, issus du mouvement « Stop The Steal » [«Stop au vol » des élections] ont propagé ces appels à la violence. « Le groupe d’origine Stop The Steal, qui comptait près de 320.000 membres, a été supprimé début novembre par Facebook, avant de réapparaître sous plusieurs groupes distincts », explique Tristan Mendès-France. Sur l’un d’eux, « Red State Secession » qui comptabilise près de 8.000 membres, on pouvait ainsi trouver des informations et des conseils sur des itinéraires de voyage pour se rendre à Washington, mais aussi des mêmes à publier sur les réseaux sociaux pour amplifier le mouvement.
Outre les réseaux sociaux traditionnels, ce sont les plateformes alternatives où les appels à la mobilisation et à la violence ont été les plus nombreux. Le site très controversé baptisé TheDonald.win a servi de catalyseur. « C’est un site qui était à la base un forum, auparavant hébergé sur Reddit [l’une des plateformes les plus suivies au monde qui agrège de nombreux forums] qui a décidé, il y a quelque mois, de le bannir en raison des nombreux appels à la violence », explique le spécialiste des cultures numériques Tristan Mendès-France. TheDonald.win est donc devenu un site à part entière, « devenant une véritable force de frappe avec 15 à 20 millions de vues par mois ».
Deux jours avant les violences à Washington, le site a ainsi publié de nombreux messages, abondamment repartagés, d’appel aux meurtres et au saccage du Capitole. « Plus de 50 % des principaux messages du 4 janvier 2021, concernant la certification du collège électoral du 6 janvier, comportaient des appels non modérés à la violence dans les cinq premières réponses », a constaté Advance Democracy. « Je pense que ça va être une guerre ce jour-là. Où nous allons envahir les bureaux et les virer et même assassiner les traîtres de Washington DC et reprendre notre pays », pouvait-on lire sur le site ou encore « Voyagez en meute et ne les laissez pas vous désarmer sans empiler les corps ».
Les militants pro-Trump les plus radicaux, persuadés que l’élection présidentielle leur a été volée, se sont également servis des messageries cryptées comme Telegram, Gab ou de Parler pour se mobiliser. « On attendait ce moment depuis si longtemps », « C’est mieux que Noël », ou encore « La fin du capitalisme est simplement un début, on n’a encore rien vu », ont ainsi écrit des utilisateurs de Telegram, trois jours avant les émeutes de Washington. Une vidéo montrant la façon dont la police a organisé la manifestation a également été vue plus de 100.000 fois sur la messagerie cryptée. Quelques jours avant l’invasion du Capitole, des publications faisant référence à un nœud coulant à installer devant le Congrès pour «pendre Mike Pence» (vice-président de Donald Trump), ont aussi connu une audience importante sur Parler, un réseau social qui fait la part belle à l’extrême droite.
H. Bouremouna