Mediapart, l’un des plus respectables journaux d’enquête français en ligne est revenu vendredi 26 février sur une enquête judiciaire ouverte en 2012 par la justice française sur une possible corruption de deux présidents africains par le Groupe Bolloré, une multinationale française de transport, de logistique et de communication. Les deux présidents en cause sont le togolais Faure Gnassingbé et le guinéen Alpha Condé. En effet, M. Vincent Bolloré, actionnaire majoritaire de la multinationale vient d’avouer sous serment devant le Tribunal Judiciaire de Paris sa culpabilité dans cette affaire en reconnaissant être l’auteur du financement des campagnes présidentielles de ces deux présidents africains en échange, d’une part, de la prolongation de sa concession portuaire du port de Lomé pour le premier, et d’autre part, de l’acquisition de la gestion du Terminal à conteneurs du port autonome de Conakry pour le second.

Au sujet de la cession de la gestion du port de Conakry au Groupe Bolloré, un article du Journal Le Monde intitulé « Bolloré : la saga du port maudit de Conakry », paru le 16 septembre 2016, indique que le président Alpha Condé avait déclaré cette année-là en parlant de Vincent Bolloré : « C’est un ami. Je privilégie les amis. Et alors ? ». Ainsi, la rupture du contrat d’une durée de 25 ans qui liait depuis 2008 la Guinée au gestionnaire français Getma international (filiale de Necotrans) ne pouvait qu’accroître les soupçons qui pesaient sur Bolloré. Surtout que Getma international, après avoir été expulsé par la force du port de Conakry le 8 mars 2011, sur ordre du président Alpha et attaqué Conakry en justice, a finalement subi un redressement judiciaire avant d’être racheté par le Groupe Bolloré en 2017 pour une bouchée de pain.

Dès lors, ces aveux du milliardaire français suffisent aujourd’hui pour mieux comprendre pourquoi le président guinéen s’obstinait avec autant d’énergie à se faire maintenir au pouvoir à tout prix. Car, s’il y a une vérité que cette affaire dévoile c’est bien d’aider à comprendre que ce n’est pas seulement la campagne présidentielle de 2010 du candidat Alpha Condé que le groupe Bolloré a financé, mais aussi celles de 2015 et 2020. Aussi, elle révèle que ce n’est pas un hasard si en 2014, le Groupe Bolloré a décidé d’offrir son appui au projet des « Bluezones » du président Alpha en assurant le financement du premier projet de ce genre dans la capitale guinéenne. Or, il n’est pas nécessaire d’avoir un cerveau comme Einstein pour comprendre que tous ces gestes ne sont pas sans contrepartie. Cela demande obligatoirement des retours, voire des dettes à rembourser.

C’est pourquoi depuis lors se sont enchaînés : parjures, violation de Constitution, répression barbare de manifestations, arrestation et emprisonnement arbitraires d’opposants au régime, tueries fantaisistes de populations civiles par les forces « d’offense et d’insécurité », interdiction de broncher à toute voix discordante, et ainsi de suite. Pire, le président de la république une fois réélu à la suite d’une présidentielle pourtant entachée d’opacité et de tours de passes juridico-politiques, au lieu de se tourner vers l’avenir en tâchant de rassembler les guinéens pour construire le pays, s’est plutôt engagé dans une lutte sans merci contre l’opposition en cherchant à l’écraser totalement, se laissant ainsi entraîner dans une chasse aux sorcières qu’il refuse pourtant d’admettre. Les récents événements de déguerpissement orchestré à Conakry par son gouvernement dans un soi-disant projet de récupération des « domaines de l’État » ainsi que sa déclaration publique de ce vendredi 26 février devant la presse en font foi.

Dans un élan de colère et de haine à l’égard du peuple de Guinée, Alpha Condé n’a pas hésité de qualifier ses concitoyens « d’indisciplinés et de tordus ». De même, a-t-il explosé deux jours plus tôt, lors de la première édition du Forum pour les investissements en Guinée tenue à Conakry, visant expressément la presse française en affirmant n’avoir « jamais mis d’opposants en prison » et les reprochant le fait qu’ils ne « respectent pas les chefs d’État africains » et doivent se comporter avec lui comme ils le feraient avec leur propre président.

Ces déhanchements inappropriés donnés en public par le président guinéen n’ont pas tardé à être critiqués par la communauté internationale. En effet, Mme Michelle Bachelet, Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’Homme, s’est exprimée ce vendredi même devant le Conseil des droits de l’Homme en déclarant que « L’arrestation et la détention de membres de l’opposition et d’activistes de la société civile sous de fausses accusations d’atteinte à la sécurité intérieure de l’État, dans le contexte des élections présidentielles de l’année dernière, sapent gravement les fondements de la gouvernance démocratique ». De son côté la Radio France Internationale (rfi) a répliqué par la voix de son ex-directrice générale, Geneviève Goëtzinger qui a twitté sur son compte, s’adressant à Alpha Condé, en écrivant : « La différence entre vous et un président français, c’est qu’un président français respecte sa Constitution et n’envisagerait pas un instant de la violer pour s’arroger un 3ème mandat. La différence entre vous c’est aussi qu’un président français respecte la liberté de la presse. »

Autant de honte pour le pays tout entier que pour un homme politique qui aura consacré un demi-siècle de sa vie dans la lutte politique et dans un « soi-disant » combat pour la démocratie et la libération de son peuple, qui ne peuvent laisser la conscience citoyenne sans un électrochoc et sans humiliation face au regard du monde extérieur.

Face à tous ces faits avérés, quoi espérer de plus pour l’avenir d’un pays où ceux qui appellent à la démocratie adoptent des comportements anti-démocratiques, où les idées socialistes ont perdu de leur valeur, où la haine l’a emporté sur l’amour et où les membres de la société civile et de l’opposition politique ne sont intéressés que par la seule conquête du pouvoir et de ses privilèges ?