Entreprises depuis 2016 par le mystère de la Ville et des démolitions, les opérations des déguerpissements des emprises des voiries publiques ont repris à Cona-cris et environs. Alors que la mesure était saluée au départ, des abus, règlements de compte et des démolitions sélectives ont été enregistrés par endroits note le Conseil national des organisations de la société civile (CNOSC), lequel fait des recommandations. Son Prési, Dansa Courroux-mat, s’est confié au Lynx. Sans langue de bois.
Le Lynx : Le CNOSC a mené des enquêtes sur le déroulement des opérations de déguerpissement. A quel constat êtes-vous parvenus ?
Dansa Kourouma : Cette opération au départ a été appréciée par bon nombre de citoyens. Nous avons fait le constat que ce sont eux-mêmes qui se précipitaient pour décoiffer leurs maisons avant le passage des agents de l’Habitat. D’autres, connaissant les délimitations, se sont précipités pour libérer la voie, avant même que l’Habitat ne vienne marquer les maisons. L’opération était appréciée, parce que beaucoup savaient qu’ils avaient irrégulièrement envahi la route. Beaucoup d’autres ont apprécié que les voies soient libérées. Dans certains quartiers, des voies secondaires ou tertiaires étaient complètement bloquées par des habitations, des ateliers ou des garages. Leur libération a été un ouf de soulagement pour de nombreux usagers quand on connaît les embouteillages sur les voies principales.
Nous avons étudié le cadre juridique pour savoir ce que le code de l’urbanisme et de l’habitat a prévu. On s’est renseigné aussi par rapport aux différents plans cadastraux qui existent. Il y en a un de 1934, je crois, un autre qui est venu après et les différents décrets qui ont classé certains domaines comme propriétés de l’Etat. Le cadre est pauvre : aucune des dispositions légales, tous les actes juridiques que nous avons lus, la question de déguerpissement n’est pas expliquée, définie, encadrée, en cas d’utilité publique. Le constat est identique pour les autres pays de la sous-région et même pour le cas du Gabon. Mais une différence : pour ces pays, le délai de préavis est au minimum de trois mois, entre le marquage de la maison et le passage à l’opération de déguerpissement. Cela est suivi d’une campagne de sensibilisation de la population (cible) avant de passer à l’acte. Ce qui n’a pas été le cas en Guinée. C’était parfois très ridicule : la décision est prise au sommet et exécutée par les directeurs préfectoraux ou communaux de l’Habitat. On parle d’une sorte de note circulaire à laquelle tout le monde faisait allusion, mais nous n’en avons pas vu copie, même au niveau des services compétents décentralisés ou déconcentrés.
Elle aurait été prise par quelle autorité, cette note circulaire ?
Le ministère de la Ville. Première conséquence : le délai de préavis n’était pas uniforme. Parfois, il était de 72 heures, de 48 heures et d’autres de 24 heures. Contrairement aux autres pays où on parle de trois mois, voire six mois. C’est le premier problème juridique que nous avons rencontré. Deuxième problème : il n’y a pas de commission de recours ou de réclamations. C’est un élément très important qui existe dans les autres pays. Il devrait y avoir une commission, les populations qui se sentent brimées pourraient se plaindre et l’Etat devrait prendre des dispositions pour corriger le tir. C’est la commission de casse qui a été prévue où on se mettait derrière la machine pour faire tomber les maisons au vu et au su de tous. Un autre élément de constat secondaire : même le (court) délai de préavis accordé n’a pas été respecté.
Une simple formalité autrement dit !
Juste une formalité. Parfois on indique 72h, le lendemain, on vient casser. Le propriétaire s’apprête à sortir ses biens petit à petit en attendant les 72 heures, à 24 heures, la maison et son contenu sont déjà démolis. C’est un constat très désagréable. Il y a eu des ateliers cassés avec leur contenu. Au moment où le jeune artisan qui se débrouille dans une vitrerie à Coyah se préparait à sortir, le contenu de son atelier et un contrat de portes et fenêtres de 120 millions qu’il avait signé ont été complètement cassés. Dans les autres pays, l’Etat met en place un fond d’indemnisation pour les opérations de déguerpissement avant de passer à l’acte. Nous avons également constaté une sorte d’amateurisme des agents au niveau déconcentré. Les agents de terrain ne parvenaient pas du tout à justifier la base légale de l’opération de déguerpissement. Ils disaient seulement avoir reçu des ordres et agi. C’est tout.
Ces ordres étaient-ils justement clairs ?
Justement, on n’a pas retrouvé le communiqué. Autre constat important pour nous société civile : l’opération a été sélective par endroits : elle n’a visé que des couches vulnérables et épargné les gros bonnets. Les commerçants et les jeunes débrouillards ont été les plus impactés. Aujourd’hui, l’impact économique se chiffre à plusieurs milliards de francs guinéens.
Des concessions ont été cassées, sans lien aucun avec la libération des emprises des voiries publiques…
Pour être clair, on ne peut pas séparer les casses des maisons et la libération des emprises des routes. Quand une habitation est dans les emprises de la route, elle est considérée comme encombrant physique.
A Hafia 2 (Dixinn) et à Kénendé (Dubréka), on a voulu improviser des routes.
Dans le premier cas, des habitations sur les emprises de la route ont été démolies. Un autre élément de confusion : le code de l’urbanisme et de l’habitat délimite les autoroutes, routes nationales, transversales. Mais on n’a pas eu suffisamment d’informations sur les emprises des routes tertiaires et secondaires. On n’a pas eu accès à ces données, ces informations. Je me dois de le signaler.
Il y a eu bel et bien des démolitions de maisons qui n’étaient pas dans les emprises des routes. Des cadres chargés d’appliquer la décision ont commis des abus et des règlements de compte par endroits. Des espaces, des domaines de l’Etat vendus à des particuliers par des supposés de l’Etat, ils en ont profité pour les raser. Il en est de même pour ces routes non prévues, ils ont profité de leurs nouveaux plans directeurs pour appliquer une mesure imprévue. Il y a eu des excès. Les agents ont profité de l’opération pour faire passer d’autres décisions qui n’émanent pas du gouvernement mais contenues dans leur plan directeur, car la population se faisait coopérative et soumise. Or, cela ne pouvait se faire qu’au bout de négociations, indemnisations des familles qui occupent les lieux. Cela a été le cas de Hafia 2, de Dubréka, où un espace prévu pour l’université a été libéré.
Enfin, ils en ont profité pour agrandir des routes, en dehors de ce qui était prévu dans le plan cadastral. Il y a des routes comme la Route nationale Coyah-Forécariah. Sa largeur selon le plan de l’urbanisme est de 25 m. Ils en ont profité pour l’étendre à 40 m. Ils ont marqué des maisons, quand elle s’est rendue sur les lieux, la ministre (des Travaux publics) a ordonné d’arrêter les casses de ces maisons. Les Chinois ont libéré les emprises, dédommagé la population sur 25 m de part et d’autre. Ils en ont profité à partir des axes de la route pour prendre 40 m. Ce genre d’abus est une sorte d’opportunisme des cadres à la base. Il y avait de vieux projets dans les tiroirs, ils ne voulaient pas dédommager la population. Ils en ont profité pour casser parce que la population laissait faire. Il y a eu des bavures de ce genre.
A quoi tient toute cette anarchie ? Que recommandez-vous ?
Je recommande que les opérations de libération des emprises des routes se poursuivent, avec plus d’organisation : le recensement des familles détentrices de papiers légaux, avant la démolition. Certains endroits étant libérés, on doit créer une commission de réclamations dirigée par un acteur indépendant. Toutes les plaintes doivent être enregistrées pour que l’Etat dédommage les victimes. Les opérations de libération des emprises doivent se poursuivre pour une modernisation de la ville. Conakry est l’une des rares villes au monde qui n’a pas de trottoir pour les piétons. Quand vous marchez dans les rues de Conakry, vous craignez de vous faire renverser par un véhicule.
L’Etat doit respecter les dimensions des routes contenues dans le plan de l’urbanisme et de l’habitat. Les personnes installées clandestinement sont des occupants illégaux, celles installées au-delà du périmètre défini dans le plan cadastral doivent être purement et simplement dédommagées. Qu’ils détiennent un titre foncier ou pas. Toute initiative d’agrandissement d’une route en dehors des conditions définies dans le plan cadastral de l’urbanisme et de l’habitat doit être précédée d’une information de la population et de la prise de mesures de compensation, avant toute démolition.
Nous recommandons la mise en place d’un fonds d’indemnisation pour les PME, les accidents et les commerçants qui y étaient installés et qui tiraient profit de leurs activités. Dès lors qu’il y a eu excès, abus ou violation du délai de préavis. L’Etat doit dédommager les personnes qui ont été impactées à la fois par la mesure et son contenu, parce qu’on a signalé des cas où les contenants sont écrasés avec les contenus.
Enfin, je vais paraphraser le Burkina Faso : il faut une rectification de la Révolution. L’acte qui a été commis doit être rectifié à travers une communication en conseil des ministres, tenue par le porte-parole du gouvernement pour informer ce qui doit être fait et comment le préjudice causé devrait être réparé sur la base d’un acte officiel et solennel. Tant que cela n’est pas fait, il y aura un abus d’autorité contre une couche vulnérable de la population.
Dernière remarque, il faut que l’Etat nous présente un plan d’aménagement après le déguerpissement, son coût et comment trouver les moyens pour le réaliser. A défaut, cette opération aura été prématurée avec des conséquences humanitaires et un impact socio-économique énormes sur la population, au moment où les prix grimpent et la vie devient de plus en plus chère.
Propos recueillis par
Diawo Labboyah