«On peut dire que la déception est totale» : plus qu’ailleurs en Afrique, les opposants au Congo-Brazzaville célèbrent avec amertume le 30è anniversaire de leur «conférence nationale» vers la démocratie, quelques semaines après la réélection écrasante de l’indéboulonnable président Sassou Nguesso.

C’était en 1990-91, dans la foulée de la chute des dictatures soviétiques. Le président français, François Mitterrand, mettait en garde les autocrates africains, dont Denis Sassou Nguesso, au sommet de la Baule: sans démocratie, moins d’aide. Du Bénin au Zaïre, actuelle RDC, en passant par le Gabon et la Côte d’Ivoire, des «conférences nationales» ouvertes aux opposants ont tenté d’écrire les règles du multipartisme.

Le succès a été foudroyant à Brazzaville. Un an après la fin de la conférence, le 10 juin 1991, le président Denis Sassou Nguesso était battu par Pascal Lissouba aux élections. Encore aujourd’hui, il s’agit du seul exemple d’alternance en Afrique centrale, mis à part le compromis politique qui a conduit à la passation de pouvoir entre Joseph Kabila et Félix Tshisekedi en République démocratique du Congo en janvier 2019. Trente ans et quatre guerres civiles plus tard, le président Denis Sassou Nguesso, 77 ans dont 37 au pouvoir, a été réélu en mars pour un quatrième mandat avec plus de 88% des voix. Son fils a été nommé ministre.

Né de la conférence nationale, le principal parti d’opposition UPADS a boycotté le scrutin du 21 mars, en dénonçant ses conditions d’organisation. Fils d’une figure de 1991, le candidat de l’opposition, Guy-Brice Parfait Kolélas, est décédé du Covid le lendemain du scrutin. Il a été crédité de 7,84% des voix selon le résultat officiel. Les opposants du précédent scrutin de 2016, Jean-Marie Michel Mokoko et André Okombi Salissa, sont en prison, condamnés à des peines de 20 ans pour «atteinte à la sécurité de l’État

Dans ce pays où l’opposition est décapitée, l’esprit de la «conférence nationale» s’est largement dissipé. «On peut constater avec regret que la plupart des acquis de la conférence ont été remis en cause», affirme à l’AFP l’opposant Clément Miérassa.

La promotion de la démocratie, la lutte contre la corruption, la réconciliation nationale étaient entre autres valeurs prônées par la conférence nationale, se souvient M. Muiérassa, 72 ans, un économiste qui a joué un rôle actif à l’époque. Fondateur du Parti social- démocrate congolais (PSDC), il a fait partie du gouvernement de transition (1991-1992) avec un Premier ministre, André Milongo, disposant des prérogatives d’un chef d’Etat. La lutte contre la corruption passait par «la Commission des biens mal acquis», ajoute Clément Miérassa.

«Aujourd’hui, l’indice de perception de la corruption est de 19/100, faisant apparaître le Congo comme l’un des pays les plus corrompus du monde, dans le top 10 des pays les plus corrompus d’Afrique», constate-t-il. Des enquêtes ont été ouvertes en France sur les «bien mal acquis» de la famille présidentielle. «La Conférence a suscité beaucoup d’espoirs au sein de la population», se rappelle Grégoire Lefouoba, un autre ancien de 1991.

 La conférence voulait débarrasser le Congo de tous ses vieux démons, ajoute-t-il: «le tribalisme, le clanisme, le favoritisme, le clientélisme et surtout la violence politique érigée en art politique». Participant à la conférence nationale, M. Lefouoba a été ministre du président Lissouba. Il milite aujourd’hui au PCT, le parti au pouvoir.

 En 30 ans de démocratie, le Congo a enregistré au moins quatre guerres civiles, dont celle de 1997 qui a permis le retour au pouvoir de Denis Sassou Nguesso. «L’histoire politique du Congo depuis l’indépendance n’est qu’une succession de violences», remarque Ulrich Stevio Baralangui, enseignant d’histoire à l’université Marien Ngouabi.

Dans son dernier discours d’investiture, le président Sassou Nguesso a parlé de «rupture avec les mentalités déviantes et les comportements pervers du passé», dont «la corruption, la fraude,  le népotisme et la tendance à la gabegie.»

 Ailleurs en Afrique, les «conférences nationales» ont connu des fortunes diverses, des alternances au Bénin au maintien de la famille Bongo au pouvoir au Gabon, en passant par des épisodes de violence en Côte d’Ivoire et en RDC. Quant au président Sassou Nguesso, ses homologues de Guinée et de Côte d’Ivoire l’appellent désormais «l’Empereur

Avec AFP