La gueule de bois avant-même la fête ! C’est dans un état piteux que la Guinée a célébré le 63ème anniversaire de son Indépendance ce 2 Octobre. Le flamboyant petit pays qui avait osé dire non à De Gaulle le 28 septembre 1958, fait penser à un boxeur à bout de souffle qui attend désespérément le coup de gong final. Le rêve que sa fameuse rebuffade a suscité d’un bout à l’autre du continent s’est transformé en un cauchemar dont plus rien ne peut le distraire.

« Indépendant-tristes ! », disait, Williams Sassine.

Une date mérite d’être notée pour bien retracer cette inexorable descente aux enfers : le 3 Novembre 1961. Ce jour-là, vent debout contre la dictature naissante de Sékou Touré, le syndicat des enseignants publie un violent mémorandum et appelle à une grève générale, la dernière de l’histoire du régime. Ses principaux dirigeants, sont incarcérés au Camp Alpha Yaya et condamnés à de lourdes peines de prison. Accusé d’être de mèche avec le « complot » (c’est ainsi que le président guinéen désignait la moindre de ses difficultés), l’ambassadeur soviétique, Solod est expulsé manu-militari.

Une lame de fond qui ébranlera si bien le régime que celui-ci n’aura plus le choix : se radicaliser ou disparaître. La Guinée dès lors, se trouvera prise en étau par deux systèmes particulièrement cyniques : celui de Sékou Touré et celui de Foccart. Le premier a compris que l’ostracisme de la France est un fonds de commerce bigrement lucratif dans un continent, aux masses sous-alphabétisées et aux élites enclines à l’esbroufe et à la démagogie. Le second trouvait en Sékou Touré le parfait contre-modèle à montrer aux pays dits modérés, ceux qui avaient prudemment voté pour le « Oui » en 1958 : « Vous voyez ce qui va vous arriver si jamais vous avez la folie de vous éloigner de nous ? »  La politique étant ce qu’elle est, les ennemis, Foccart et Sékou Touré visaient paradoxalement  les mêmes intérêts : l’isolement de la Guinée et l’affliction de son peuple. Plus les « complots » pleuvaient, plus Sékou Touré devenait un héros. Et plus la Guinée saignait, plus Foccart savait que ni le Sénégal ni la Côte d’Ivoire ne se hasarderaient à imiter leur turbulente voisine.  

L’Histoire, si l’on en croit les savants, découle d’un ensemble de causes objectives tenant à la fois de l’économie et de la société. Mais elle est aussi et bien souvent, le produit d’actes individuels et de petits hasards. Ceci est particulièrement vrai pour ce qui est de l’Indépendance guinéenne. Le destin de Sékou Touré et donc de son pays s’est joué à la toute dernière minute et dans un mouchoir de poche. Ce n’est qu’en 1952 et sous l’instigation d’Houphouët-Boigny, que ce syndicaliste autodidacte, méprisé par ses collègues (« un arriviste mal éduqué », disait de lui, Koumandian Keïta) a été porté à la tête du PDG (un parti créé en 1947) et dont il fera très vite, son cheval de bataille. Ce n’est qu’en 1956, grâce à un sérieux coup de pouce de Bernard Cornu-Gentil, alors gouverneur de l’AOF, qu’il remportera sa première victoire électorale et deviendra député au Palais-Bourbon sur les traces de Yacine Diallo, Mamba Sano et Barry Dianwâdou.

Quant à son « Non » historique du 28 Septembre 1958, il mérite d’être largement nuancé : aucun parti politique guinéen n’avait appelé à voter « Oui ». Sékou Touré fut d’ailleurs le dernier à se prononcer pour le « Non », le 14 Septembre soit 14 jours avant le référendum alors que dès Juillet, ses adversaires avaient réclamé l’Indépendance immédiate. C’est le peuple de de Guinée (à 94 %) et non Sékou Touré qui a voté « Non » à De Gaulle. C’est cela qui mériterait de figurer dans les livres. En attendant que les historiens fassent enfin leur boulot, la République de Guinée a 63 ans. 63ans de sang, de misère et de haine !

Une petite lueur d’espoir tout de même avec la chute libératrice du sinistre Alpha Condé ! Il y a de ces coups d’Etat que l’on attend comme on attend la venue du Messie, n’en déplaise aux ronds-de-cuir de la Cedeao ! D’autant que pour l’instant tout ce que dit et fait, le lieutenant-colonel Doumbouya va dans le bon sens. Notre beau légionnaire a réussi à établir avec son peuple un lien ou plutôt une fibre qui n’est pas près de se rompre. On sent comme une vibration ; une vibration  qui rappelle vaguement celle de 1958.

Pourvu que ça dure !

Tierno Monénembo

Source : Le Point