Agnès a six ans quand ses parents la confient à une autre famille togolaise, loin de chez elle. Douze années plus tard, elle raconte les coups, l’exploitation subie, comme des millions de filles dans le monde, rendues aussi vulnérables qu’invisibles par le travail domestique.

Car son calvaire, vécu à huis clos, passe sous le radar des évaluations du travail des enfants, selon l’Organisation internationale du travail (OIT) et l’ONG Plan international.

«Au début, ça allait. Mais ensuite ils ont commencé à être méchants », se souvient la jeune femme au visage poupin et aux cheveux courts, interrogée à l’occasion de la Journée internationale des filles, dont la dixième édition a lieu lundi.

Agnès, qui témoigne sous un faux nom car elle vit toujours dans cette famille, est autorisée à aller en classe jusqu’au brevet des collèges. Tout en assurant les tâches domestiques. Mais ses «parents adoptifs », selon ses mots, refusent ensuite qu’elle poursuive ses études.

«Après mon BEPC, quand je leur disais que je voulais aller à l’école, ils me battaient », narre-elle, la voix hachée par l’émotion.

Les coups pleuvent quand elle n’exécute pas assez bien les corvées qui lui sont assignées, affirme-t-elle lors d’un conversation vidéo avec l’AFP. « Ils me frappent souvent. Ils sont très exigeants. »

« Je voudrais partir, mais je ne sais pas où aller. Et j’ai peur d’aller voir la police », soupire la jeune femme, qui a perdu tout contact avec sa famille biologique.

– « Invisibles » –

Ce genre de récit est “monnaie courante” au Togo, déplore Sibabi Djalissa, spécialiste des violences de genre à Plan international au Togo. Dans ce petit pays du golfe de Guinée, parmi les plus pauvres au monde, 80% des enfants âgés de 5 à 17 ans avaient une activité économique en 2010, année du dernier recensement de l’OIT.

 « Pour les garçons, c’est saisonnier. Ils vont et reviennent pour des activités agricoles. Les filles partent plus longtemps », à l’intérieur du Togo ou à l’étranger – principalement dans les pays voisins, mais aussi au Liban, aux Emirats arabes unis ou encore au Koweït -, remarque Sibabi Djalissa.

«C’est au cours de l’année scolaire qu’on se rend compte que les filles ne sont pas revenues », confirme son collègue Yorou Ismaila. Sinon, « on ne les voit pas car elles restent dans les maisons. »

Quelque 160 millions d’enfants travaillaient dans le monde en 2020, selon l’OIT. Ce chiffre, en hausse de plus de 8 millions par rapport à 2016, augmente surtout en Afrique subsaharienne, observe Cyril Cosme, directeur de l’OIT en France.

Sur ce total, quelque 63 millions étaient des filles, « davantage touchées par le trafic humain et la prostitution », mais aussi « beaucoup plus concernées par le travail domestique », ce qui les rend plus « vulnérables » et « invisibles », déplore-t-il.

Selon Plan international, leur nombre est de ce fait largement sous-évalué et elles seraient même plus nombreuses que les garçons à travailler.

– École « sanctuaire » –

La crise liée à la pandémie de Covid-19 a dans de nombreux pays en développement empiré leur sort. Car elle s’est accompagnée d’une “augmentation de l’extrême pauvreté, et les filles sont souvent les premières à être mises au travail”, observe Anne Bideau, directrice générale de Plan international France.

Elle a aussi engendré de la déscolarisation. Pourtant, l’école protège les filles des violences et leur permet « de s’épanouir en ayant un projet d’avenir », ajoute-t-elle.

En Tanzanie, l’échec à l’examen sanctionnant la fin de l’école primaire pousse nombre d’entre elles vers le travail domestique. Comme Awa (prénom d’emprunt), qui, à 15 ans, «voulait voir où travailler chez des gens (la) mènerait », raconte-t-elle à l’AFP. Mais cela ne s’est pas passé comme prévu.»

Si la première famille qui l’a employée l’a bien traitée, elle a été battue par la deuxième et la troisième ne l’a jamais payée.

Quelque 4,2 millions d’enfants de 5 à 17 ans travaillent en Tanzanie, soit près du tiers de cette classe d’âge, selon l’OIT. Plus de 2 millions sont des filles.

A présent mère célibataire et petite commerçante, Awa, 24 ans, «partage son histoire avec d’autres filles » désireuses de devenir domestiques pour «les décourager ».

Agnès rêve elle de «continuer l’école » et «passer son bac ». Pour à terme «devenir sage-femme ».

AFP