Dans la matinée du 5 septembre 2021, l’armée guinéenne, sous l’égide du Conseil National de Rassemblement pour le Développement (CNRD), s’emparait du pouvoir à Conakry. Le fait catalyseur de cette intervention militaire sur la scène politique guinéenne aurait été l’entêtement du Président déchu, Alpha Condé, d’assumer un troisième mandat. La constitution de 2010, qui l’avait sacré président de Guinée en 2010 et en 2015, limitait le nombre d’exercice de la présidence de la République à deux mandats. C’était donc pour s’octroyer un troisième mandat illégal que monsieur Condé a dû recourir à l’adoption d’une nouvelle constitution pour « techniquement » bénéficier du premier mandat de la 4ème République. C’est dans cette ligne de mire qu’il avait organisé, en défiance de la constitution sur laquelle il avait deux fois prêté serment, un referendum à double scrutin, le 22 mars 2020. Cette manœuvre machiavélique a évidemment divisé les Guinéens en deux camps : les pro et les anti 3ème mandat. Cette division a engendré des violences qui ont fait plusieurs morts et maints blessés parmi les militants de l’opposition et des organisations de la société civile. Malgré ce tribut, la nouvelle constitution a été adoptée et Alpha Condé a ainsi amorcé son troisième mandat.

Toutefois, la période post-électorale a été marquée par une grave crise sociopolitique qui a causé nombre d’incidents économiques et sécuritaires. Certains leaders de l’opposition se sont vus interdits de sortir du pays, d’autres ont été emprisonnés à la maison Centrale de Conakry où certains sont morts. Les subséquentes marches de protestations étaient violement réprimées…Face à la spirale de contestations qui s’aggravait, l’armée a dû mettre le président aux arrêts, suspendre la constitution, dissoudre le Gouvernement et les institutions républicaines et prendre le pouvoir. Cependant, dans le premier discours à la Nation, le leadership militaire s’est engagé à œuvrer pour le retour à un régime constitutionnel en Guinée. C’est ainsi qu’il a ouvert une période de transition politique dans l’histoire de ce pays. Il faut cependant noter que cet engagement de la part du CNRD est tacitement un « contrat social » vis-à-vis des Guinéens, comme l’a défini Jean-Jacques Rousseau.

Qu’est-ce que la transition ? C’est une période quasi-révolutionnaire de vide dynamique au cours duquel un régime politique est construit pour remplacer celui qui vient d’être défait. C’est donc un intervalle temporel entre deux régimes, le premier étant éteint et le second, naissant. L’instauration d’un nouveau régime se fait généralement par le biais d’un organe législatif. Il faut noter que le CNT a été prévu par la Charte de la Transition, que le CNRD a édicté. Dans le cas actuel de la Guinée, c’est cet organe qui sera chargé de l’élaboration de la nouvelle constitution qui ouvrira l’ère de la 5ème république. Si dans la pratique de la gouvernance actuelle, la branche exécutive du gouvernement assume la gestion des affaires courantes, le CNT est chargé de concevoir le cadre juridique de la nouvelle république.

En fait, les membres du CNT seront principalement responsables de la production de textes constitutionnels qui mouleront la nouvelle république de Guinée. Cependant, pour écrire des textes efficaces, il faudrait qu’ils soient adaptés aux contextes de la sociologie et aux multiples paradigmes du leadership guinéen. Pour ce faire, les législateurs devront faire preuve d’intelligence latérale, d’esprit critique et de créativité. Ils devront faire de la recherche et procéder à des triangulations afin d’orienter l’esprit des textes vers l’idéal collectif…c’est aussi pourquoi ils devront se garder de se livrer à un travail facile de mimétisme de textes existants ; car ces documents qui seraient ainsi tirés des archives poussiéreuses sont désuets ou, pire, conçus pour d’autres peuples dont les cadres culturels et historiques sont différents de celui des Guinéens. 

Également, pour produire une constitution fonctionnelle, les membres du CNT devraient tenir compte de l’existence de diverses cultures et confessions en Guinée ; car chacun de ces ensembles humains ont des valeurs différentes qui définissent leur perception et leur pratique du leadership politique. Cette approche protègerait, d’une part, leur identité psychosociale, et garantirait la laïcité de notre Etat, d’autre part.

Toutefois, les différentes équipes qui constitueront le CNT ne devraient pas être composées que de grands juristes, bien au contraire. Elles devraient être composées de membres de disciplines diverses et inclure tous les niveaux de scolarisation, et tous les genres ; car ces législateurs rédigeront les lois qui, une fois adoptées, s’appliqueront à tous les Guinéens, inclusivement.

Par-dessus tout, la rédaction de la nouvelle constitution dans son application est un projet de refonte des lois fondamentales qui régiront la Guinée. En tant que tel, cet exercice devrait obéir aux préceptes qui gouvernent la gestion des projets. Conséquemment, il devra être planifié (définition et articulation cohérente des objectifs) et organisé (définition des voies et ressources humaines, financières et matérielles nécessaires) ; ensuite, son exécution devra se faire conformément au plan conçu lors de son initiation. Ces étapes de gestion devraient être intégrées afin de créer un produit pérenne, autant que possible, et cela, dans un délai imparti.

Enfin, pour être efficaces, les membres du CNT devront adopter les cinq perspectives managériales décrites par les professeurs Jonathan Gosling and Henry Mintzberg, du Canada: (1) l’auto-management (la définition des compétences et limites des membres qui composent le CNT, par le biais d’une analyse SWOT)] ; (2) le management collaboratif (le CNT inclura des membres de tous les horizons culturels et confessionnels, et de tous les niveaux scolaires et des deux genres), il faudrait une bonne gestion relationnelle pour obtenir le meilleur de chaque membre et de tous. (3) Le management rationnel (gestion des capitaux humains, financiers et logistiques dans un esprit de rigueur) ; (4) le management du contexte (prenant en compte la tendance des normes nationales et internationales); et (5) la gestion du changement (la conception de la nouvelle constitution nécessitera un changement d’attitude mentale de la part des législateurs pour établir un document original ; son adoption nécessitera également un changement mental de la part des citoyens qui légaliseront ces nouveaux textes par voie de referendum ; et enfin, son application comme creuset de lois nécessitera aussi un changement de comportement chez tous les citoyens sans discrimination.

En conclusion, comme en 1958, en 1984, en 2007 puis en 2008, la Guinée se trouve à la croisée des chemins politiques. Le pays se trouve dans le vestibule d’une nouvelle ère sociohistorique ; c’est pourquoi, cette fois-ci, la refonte de la constitution doit être pour la Guinée l’occasion de se forger une identité politico-juridique originale, exempte des erreurs commises lors des transitions passées. En fait, les nouveaux textes devraient ouvrir la voie à la culture de la justice sociale et au respect de la dignité humaine pour tous. Ces nouveaux textes devraient affermir l’autorité de l’Etat tout en garantissant la protection du citoyen, et garantir la pratique de l’Etat de droit en Guinée. Bien entendu, le CNT reste le maitre d’ouvrage de la transition ; sa dextérité et son professionnalisme en détermineront la réussite mais aussi le respect du Contrat Social qui lie le CNRD au peuple de Guinée.

Antoine A. Sovogui