Alors que le Covid-19 perdure, la Guinée a neutralisé trois crises sanitaires entre mars 2020 et août 2021. Le pays a pu faire face à des cas d’Ebola, de Lassa et de Marburg durant cette période. Une performance due autant aux expériences acquises sur le terrain qu’à la montée en puissance de l’Agence nationale de sécurité sanitaire, pivot de la résilience contre les épidémies. C’est du moins le constat fait par Ouestafnews et Le Lynx, dans cette enquête.

Le 2 août 2021, un homme meurt de la fièvre Marburg à Guékédou (sud du pays). En vertu du protocole d’alerte mis en place par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la Guinée déclare être touchée par la maladie à fièvre Marburg. Un mois et 14 jours plus tard, les deux parties proclament la fin du premier épisode du virus de Marburg en Afrique de l’Ouest.

A Yomou (sud), c’est la fièvre Lassa qui est déclarée le 17 mai 2021. Mais le 17 juin suivant, avec un bilan de 2 morts, le gouvernement décrète la fin de la maladie.

Le 14 février 2021, une deuxième épidémie d’Ebola survient, précisément dans le sud du pays, à Nzérékoré. 12 personnes en meurent sur 23 cas. Après quatre mois de lutte acharnée, la fin de l’épidémie est actée le 19 juin.

En 7 mois, les autorités sanitaires guinéennes ont donc réussi à maîtriser trois épidémies potentiellement dévastatrices pour tout le pays en cas de dissémination. L’efficacité des dispositifs d’intervention et de prise en charge des cas déclarés a permis d’éviter le pire, même si 15 morts sont à déplorer.

Cette performance est d’autant plus significative que les opérations contre ces trois épidémies ont dû être menées en concomitance avec la lutte contre le Covid-19 qui perdure depuis mars 2020. La qualité des ressources humaines dont dispose la Guinée dans ce domaine n’y est pas étrangère.

Communication et engagement communautaire

Selon Jean Traoré, chef de l’Unité communication et médias à l’Agence nationale de sécurité sanitaire (ANSS), « le personnel dédié à la lutte contre ces épidémies a été bien formé en épidémiologie de terrain, dont une vingtaine en épidémiologie avancée. »

Parmi ces médecins, « certains ont même été envoyés en République démocratique du Congo pour aider à juguler l’épidémie d’Ebola », rappelle Dr Lansana Camara, médecin au Service des maladies infectieuses et tropicales à l’hôpital Donka à Conakry. 

Au-delà des compétences du personnel sanitaire, la communication développée pour toucher les communautés menacées par les épidémies a été déterminante et salutaire. « Aujourd’hui, les gens sont bien informés sur les symptômes de chacune de ces maladies grâce à l’information et à la formation », ajoute le spécialiste des maladies infectieuses.

Selon Jean Traoré, il existe des facteurs essentiels qui « ont aidé à faire adhérer la population à la lutte contre les épidémies pour que les virus soient vaincus ». Il cite, entre autres, la sensibilisation, la communication, la mobilisation sociale, l’engagement des communautés et des leaders communautaires, l’implication des ressortissants des zones touchées et des ONG locales.

De plus, ajoute Dr Camara, « globalement les maladies à fièvre hémorragique se ressemblent, donc elles se gèrent de la même façon, même s’il y a des nuances au niveau des protocoles de traitement ».

L’expérience de l’ANSS

L’apparition en 2016 du virus Ebola avait traumatisé la Guinée et mis en évidence la déliquescence de son système sanitaire. Cette douloureuse expérience qui s’est soldée par la mort de 2.544 personnes sur 3.814 cas enregistrés a permis à la Guinée d’en tirer une leçon : se préparer aux prochaines crises. Comme celles vaincues au cours de cette année.

A ce propos, le Dr Lansana Camara explique la récurrence de ces épidémies par les contacts entre l’homme et les animaux qui aboutissent à la transmission des virus. Ce phénomène est favorisé par la densité des forêts qui abritent de nombreuses espèces animales en Guinée forestière. Les chauves-souris sont les vecteurs des virus Ebola et Lassa, alors que les souris et rats et autres rongeurs transmettent le virus Marburg.

C’est après la catastrophe Ebola de 2016 que le gouvernement guinéen a créé l’Agence nationale de sécurité sanitaire (ANSS). Indépendante du ministère de la Santé pour échapper aux lourdeurs et lenteurs administratives, l’ANSS est alors chargée du volet épidémie sur l’étendue du territoire et dotée de l’autonomie financière.

En plus de son budget annuel, l’ANSS bénéficie du soutien de partenaires comme Médecin sans frontières (MSF), Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC Atlanta, en anglais), Institut pasteur. D’autres organisations internationales dont l’Organisation mondiale de la santé (OMS), CDC, l’Unicef, MSF, l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID en anglais) et l’Agence de coopération internationale allemande pour le développement (GIZ en allemand) interviennent chacune dans les domaines de la surveillance, de la communication, du fonctionnement des laboratoires, de la prise en charge des cas déclarés, etc.

Depuis, l’ANSS a mis en place 38 centres de traitement à travers tout le pays, en particulier dans chaque préfecture, et installé des équipes opérationnelles d’alerte et de riposte aux épidémies. Après avoir formé et réorganisé le personnel médical, elle a renforcé l’efficacité de ses laboratoires d’analyse.

Système sanitaire toujours faible

Si l’ANSS est en mesure d’assurer la surveillance épidémiologique du pays grâce aux moyens dont elle dispose, le reste du système sanitaire guinéen reste très pauvre. Interrogé par Ouestaf News, le Dr Bangaly Mara, économiste de la santé, note que le niveau record des dépenses courantes en Guinée a été observé sur la période 2014-2016 pour 4.160,38 milliards de francs guinéens (26.002.375.000 FCFA), d’après les comptes nationaux de la santé.

Mais les transferts issus des revenus nationaux de l’administration publique (alloués à la santé) représentent seulement 9,1% des dépenses courantes, l’essentiel étant couvert par les ménages et les partenaires.

En dépit de l’engagement des chefs d’Etats africains à la conférence d’Abuja d’accorder 15% du budget national à la Santé, le budget accordé au secteur en Guinée n’a jamais dépassé 8% tandis que le niveau de décaissement des prévisions budgétaires n’a pas excédé 50%.

« Cela signifie que la part du budget accordé à la Santé est encore en dessous de 5% », s’alarme Dr Mara qui préconise une réorganisation du système de santé guinéen à l’image de celui du Rwanda où chaque citoyen est obligé d’avoir une carte sanitaire et d’être affilié à une mutuelle de santé.

Ce mécanisme permettrait, dit-il, à chacun de se soigner partout dans le pays et au système sanitaire de s’autofinancer efficacement sur la durée.

OuestafNews et Le Lynx