ADLaM est un alphabet créé par les frères Ibrahima et Abdoulaye Barry, pour écrire le pular et d’autres langues guinéennes et africaines. Il a fait son entrée chez Unicode en 2016. Depuis, ADLaM connaît un progrès technologique considérable. Google, Apple et Microsoft l’ont successivement introduit dans leurs systèmes. Ce qui permet aujourd’hui d’avoir accès à l’alphabet sur tous les appareils (ordinateurs, smartphones).
Andrew Zeiter est un vidéaste basé à New York (Etats-Unis). Il a été dépêché en Guinée par Microsoft à travers McCann, l’Agence de communication américaine, dans le cadre de la réalisation d’un documentaire pour illustrer visuellement l’utilisation de l’alphabet ADLaM et son impact dans la préservation des cultures et la compréhension entre les communautés peules dans le monde.
Après une tournée dans certains lieux d’apprentissage de l’alphabet et des rencontres avec des responsables à Conakry le 24 mars, une délégation pilotée par Abdoulaye Barry, cocréateur d’ADLaM, s’est rendue à l’intérieur du pays. A Kindia, Mamou, Dalaba, Pita et Labé, la délégation a visité des lieux d’apprentissage de l’écriture, des centres de métiers, échangé avec des enseignants et apprenants, fait des constats et recueilli des avis et préoccupations des acteurs. Partout, M. Barry a expliqué les raisons de la visite d’Andrew et a encouragé l’auditoire à prendre au sérieux ADLaM.
Le 25 mars à Mamou, la délégation a été reçue par l’Association Winden Diangen ADLaM Mamou, basée au centre-ville. Puis, elle a visité les foyers de Sabou, Loppet, Abattoir et Télico. Mais aussi le centre de confection de puutô (bonnet traditionnel peul), situé aussi dans le quartier Sabou, où des jeunes font preuve de talent. La première étape s’était déroulée à Linsan (Kindia).
Ibrahima Diogo Baldé, président de l’Association Winden Diangen ADLaM Mamou : «L’alphabet a changé ma vie. J’enseignais la littérature, mais depuis que j’ai découvert et appris ADLaM, j’ai compris que c’est ce qui me manquait. C’est pourquoi, nous menons le combat pour le rayonnement de cette écriture qui nous développe et nous montre le chemin. Nous faisons de l’enseignement, de la sensibilisation. Aussi, nous exposons l’écriture, négocions avec les promoteurs des écoles pour voir dans quelle mesure on va pouvoir insérer ADLaM dans les programmes d’enseignement. La révolution en Afrique doit passer par l’écriture ». Ibrahima Diogo a séjourné dans plusieurs pays de la sous-région, pour enseigner l’alphabet.
A Dalaba et Pita, les hôtes ont visité et échangé avec les responsables de la COCODAL (Coopérative des cordonniers de Dalaba), puis le Centre artisanal de la ville qui présente une décoration interne faite des outils traditionnels : léfas et nattes. Aussi, le foyer d’apprentissage d’ADLaM à Guémet (Pita) et les tisserands, non loin de là.
Le 26 mars à Labé, la délégation a fait son entrée par la FEPAL (Fédération préfectorale des artisans de Labé) où elle a trouvé des enseignants et apprenants en nombre. Y étaient aussi, des sages de la ville qui font de leur mieux pour promouvoir ADLaM. Le lendemain, les foyers de Daaka 2, Baldé ont été visités.
Haie d’honneur, repas exotiques
Partout, la délégation a eu droit à un accueil chaleureux. Les valeurs culturelles peules étaient au rendez-vous : des filles vêtues de leppi, coiffure en cimier parées, des hommes coiffés de leurs puutôs et du chapeau de paille (bonnets traditionnels peuls). Un accueil digne de l’hospitalité foutanienne. Des repas exotiques : fonio, taro, patates, chips de patate, couscous à base de patate, lait et colas, bananes, mangues et oranges. Tous ces mets étaient emballés dans des sourires et accompagnés de la phrase : « Kô sadhi kô tooli, on iwii ka môn, ôn seeniké ka môn » (Bienvenue, vous avez quitté chez vous et vous êtes venus chez vous).
Les défis
Dans toutes les villes visitées, de nombreux manuscrits ont été présentés à la délégation. Le souhait des auteurs est de les voir numériser. Au collège Daaka 2 (Labé), les enseignants et apprenants ont fait des démonstrations de l’usage de l’alphabet sur les ordinateurs et smartphones. Thierno Mamadou Saliou a donné un cours de biologie en pular à partir de son ordinateur. Thierno Oumar Barry, tradi-thérapeute, exerce à Labé. Il n’a pas fréquenté l’école française, mais depuis qu’il a appris ADLaM, il a écrit six ouvrages sur des thématiques comme la santé, l’agriculture. Son registre et ses carnets de soin sont en ADLaM. Il y a quelques années, il a participé à des activités d’ADLaM aux Etats-Unis sur invitation de Harvard University. A Mamou, Thierno Alarény Bah a transcrit le Coran en pular ADLaM. Il souhaite numériser ses 1019 pages et éditer le document. Il y a aussi des poèmes, des chants et autres ouvrages transcrits qui attendent d’être numérisés. Thierno Mamadou Dian, un des sages de Labé, a interpellé ses concitoyens : « Si Microsoft et les autres compagnies se sont intéressés à cette écriture, c’est parce qu’elle est le résultat d’une création, une pure invention. Ils sont venus voir ce qui est derrière ADLaM, qui sont derrière ces deux jeunes bénis qui ont aidé une communauté, au-delà, un pays, un continent, à trouver son identité ». Le sage a remercié Microsoft à travers son envoyé pour le soutien et promis qu’ADLaM est l’écriture de l’avenir.
Andrew, tout impressionné !
Andrew Zeiter note que les Guinéens sont accueillants, ouverts et curieux. La curiosité est importante pour l’apprentissage. « Je suis impressionné par la rapidité avec laquelle les gens ont appris ADLaM. Que ce soit les enfants ou les parents. Et surtout qu’ils arrivent à écrire des livres en quantité et sur des sujets aussi importants que la santé, l’environnement, la religion, l’agriculture, les métiers. Je suis très touché par la générosité des gens qui, après avoir appris, ont le plaisir de partager leur connaissance. Aux Etats-Unis, l’enseignement est perçu comme un fardeau, alors qu’ici, les gens ont de l’engouement à apprendre et à transmettre le savoir », se réjouit Andrew Zeiter. Il salue les valeurs culturelles guinéennes où « les personnes âgées sont respectées et bénéficient de l’attention et de l’écoute. Elles sont impliquées et mises devant, quand il s’agit des affaires de la communauté. » Il espère que le documentaire donnera encore plus de visibilité et lui ouvrira beaucoup plus de possibilité à travers le monde, surtout avec les autres peules de l’Afrique.
Th Hassane Diallo