A travers le rappel à Dieu de Bah Mamadou Lamine, BML, sa famille biologique, professionnelle, Le Lynx et ses fidèles lecteurs déplorent la disparition d’un journaliste accompli, sincère, juste, fidèle à ses convictions, à la république, dans le sens le plus noble du  terme. Vendredi 8 juillet, il a rejoint par la volonté du Créateur, d’autres célébrités, acerbes bien sûr envers l’injustice, mais honnêtes en tout point de vue, courageuses, sincères, qui ont constitué la sève nourricière de votre satirique du lundi. La liste est déjà bien garnie : Alassane Diomandé, Williams Sassine, Sékou Amadou Condé, Sacko Sambry, Ahmed Tidjani Cissé, Prosper Doré, Assan Abraham Keita, Thierno Diallo, Koro Mory, Mohamed Diallo et j’en passe avec toutes les peines du monde. « Partir, disaient les anciens, c’est mourir un peu. » Mais rester ne signifie pas, a priori, vivre pleinement.

Bah Lamine s’en est allé victime du Camp Boiro au double plan psychologique et …physique. Son père, Amadou Baillo Bah, était à la fois riche et nationaliste. Il faisait partie des principaux nantis de sa génération dont les espèces sonnantes et trébuchantes ont assuré les premiers salaires des fonctionnaires de la Guinée fière et jeune. Il avait également, pour son malheur, prêté des sommes faramineuses à d’éminents membres du premier gouvernement du Président Sékou Touré. Il s’est avéré qu’il est plus rentable d’exiger du Camp Boiro qu’il avale le bienfaiteur que de payer des mensualités. Si feu Kéita Fodéba l’avait su, il aurait probablement tourné sa langue deux fois avant de dire au gouvernement de 1958 qu’il lui offrait ses premières « Mercedès Benz.» Quant à BML, il a été non seulement sevré du deuil de son cher papa, mais il s’est retrouvé contraint et forcé à l’intérieur de ce camp de la mort qui a englouti dans l’injustice la plus absolue, la plus abjecte, la plus barbare, l’être qui donnait le plus de sens à sa vie.

Une nuit de 14 mai 1980, au Palais du Peuple à Conakry, quelqu’un lance une grenade non dégoupillée en  direction du Responsable Suprême de la Révolution, le Président Ahmed Sékou Touré. Deux gestes, trois mouvements, la police identifie le pseudo-assassin. Il s’appelle Bah Lamine. Il est en Côte d’Ivoire. La Révolution déploie ses moyens habituels. On commence par attraper deux pauvres Ivoiriens qui vivaient à Conakry, deux Bétés, «les ennemis sûrs d’Houphouët Boigny». Puis, on édite un journal à tirage extrêmement limité selon lequel un certain Bah Lamine, dangereux dealer en drogue dure, est activement recherché en Guinée. Si on le retrouve sur le territoire ivoirien, il faudra absolument que Conakry le récupère, sous-entendu, même par échange de prisonniers. Houphouët marche…à une condition : on ramasse tous les Bah Lamine vivant sur le sol ivoirien pour les débarquer à Conakry. Le tri se fera loyalement, promis et juré. Ainsi dit, ainsi fait. L’Homme de Yamoussokro met l’avion présidentiel à disposition et la chasse aux Lamine commence.

BML avait deux postes de travail. Le matin, il enseignait « La connaissance du monde contemporain » aux candidats au BAC du Cours Loko de Marcory, Abidjan. Le soir, il était en service à Fraternité Matin et Ivoire-Soir. Le 27 avril 1981, la DST, la Direction de Surveillance du Territoire se présente au Cours Loko pour arrêter BML sans probablement savoir que cette date marque également le 10è anniversaire de l’arrestation de son père. Il est conduit dans les locaux de la DST au Plateau. Sa voiture passe la journée et la nuit à Marcory. La direction de l’établissement annonce la mauvaise nouvelle discrètement à la famille. Le lendemain, pied de grue à la DST et voilà BML qui apparaît. Menotté. Il n’a eu le temps que de montrer ses poignets joints avant d’entrer dans une voiture ultra banalisée de la police ivoirienne. Direction, l’aéroport national de Port-Bouët. Accès strictement limité, mais à la passerelle du Grumann présidentiel, le ministre de la Défense de la République de Côte d’Ivoire en personne, en compagnie d’un membre du personnel de l’ambassade de Guinée à Abidjan, actuellement leader d’un parti politique qui ne se débrouille pas mal en Guinée. Le Ministre ivoirien de la Défense, Charles Konan Banny, prend place dans le coucou présidentiel avec trois Bah Lamine à bord, ramassés çà et là sur le territoire ivoirien. Direction, Conakry. Les Guinéens d’Abidjan restent inquiets. Il faut absolument que l’arrestation de BML et son transfèrement à Conakry restent secrets. Sa mère qui commençait à prendre de l’âge, venait à peine d’arriver à Adjamé, chez son fils, pour fuir un peu les tracasseries de Conakry. Patatras !…si elle apprenait la nouvelle. Son mari est mort à Boiro !

Là, la commission d’enquête se réunit en toute hâte pour examiner le butin. Identification expresse. Sékou Chérif, le patron de la commission, demande à BML où se trouve son père. Et Lamine de répondre : « J’espère que vous me le direz aujourd’hui. Depuis qu’il a été arrêté à Boussoura le 27 avril 1971, nous le cherchons.» Sékou Chérif regarde les membres de sa commission et maugrée quelque chose. Un petit silence, il reprend à haute voix : « Dans quel ERC travailliez-vous avant de quitter la Guinée? »   « C’est quoi ERC ? » rétorque BML. Sékou Chérif de lancer en direction des autres commissaires : « Non, pas le père et le fils à la fois. » Voilà BML sous le régime salvateur de garde à vue au camp  Boiro. Quelque deux semaines plus tard, le ministre Charles Konan Banny débarque à Conakry. On lui remet BML et un autre Lamine. Aucune nouvelle du 3è Lamine, ni des deux Bété incarcérés en prélude à l’arrestation des Lamine guinéens de Côte d’Ivoire. On apprendra plus tard que le fameux Bah Lamine recherché avait réussi à passer entre les mailles du filet, pour rejoindre Ouagadougou. Le plus calmement possible.

Diallo Souleymane